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Pour leur sélection, les ultras hongrois signent une trêve

Par Joachim Barbier, à Lyon
Pour leur sélection, les ultras hongrois signent une trêve

À chaque match de la sélection hongroise, ils sont quelques centaines vêtus d’un T-shirt noir barré d’un sobre « Magyaroszag ». Sous la neutralité de la couleur, les ultras des différents clubs du pays ont mis de côté leur rivalité historique pour assurer le soutien de leur équipe nationale le temps d’un Euro. « Pas de violence ni de politique », prétendent-ils, même si la nostalgie de la Grande Hongrie n’est pas très loin.

Ils sont aux premiers rangs de la tribune réservée aux supporters hongrois qui suivent leur sélection durant cet Euro. Tous de noirs vêtus, loin des couleurs – rouge, blanc, vert – du pays d’Europe centrale. Un T-shirt noir barré d’une simple « Magyarorszag » , « Hongrie » avec quelques variantes : le nom de leur ville ou de leur club en sous-titre, voire un message à caractère politique dans le dos. Ils avaient organisé une longue marche à Bordeaux, puis depuis le Vieux-Port de Marseille jusqu’au Vélodrome pour le deuxième match de la sélection face à l’Islande. Ils ont remis ça ce mercredi entre Vaulx-en-Velin et le Stade des Lumières. Un cortège « quand on arrive en ville » à mi-chemin entre la démonstration de force et la procession de Pâques à Séville conduit par les ultras de la sélection hongroise, agrégés autour d’un groupe nommé « Carpathian Brigade 09 » .

Contrairement à beaucoup de pays, les ultras des grands et petits clubs hongrois mettent de côté leur rivalité du week-end dès que l’unité nationale l’exige et basculent vers un soutien sans faille pour leur sélection. Une trêve de circonstance observée le temps de cet Euro historique pour la Hongrie, incapable de se qualifier pour une phase finale depuis la Coupe du monde de 1986 au Mexique. « Cela faisait tellement longtemps qu’on attendait ça » , soupire Pal, dans le tramway qui amène les fans vers le stade de Décines-Charpieu, dont quelqu’uns vêtus de ce T-shirt. La plupart ne veulent pas s’exprimer, ou font mine de ne pas parler anglais.

« Dès demain, on peut se remettre sur la gueule »

On est venus en voiture depuis la Hongrie avec des gars d’Ujpest, mais dès demain, après le dernier match, on peut se remettre sur la gueule.

Tomasz, petit rondouillard rouquin dont l’allure tranche avec les belles bêtes qui l’entourent, s’y aventure : « On a laissé nos couleurs à la maison, ce noir c’est la neutralité pour ne faire référence à aucun club. » Même à Ferencváros, le club de tout un pays, dont les ultras se chauffent régulièrement sur la gueule avec ceux d’Ujpest. « On est venus en voiture depuis la Hongrie avec des gars d’Ujpest » , raconte un autre Tomasz, aussi supporter de Fradi. Son pote, à côté, rajoute en rigolant : « Mais dès demain, après le dernier match, on peut se remettre sur la gueule. » Aux abords du stade, un groupe de quadragénaires carénés comme des bikers du Middle West venu de Miskolc assure : « C’est pour l’intérêt suprême de la sélection, on a croisé des mecs de Niyreghyaza, avec qui on a un derby bien chaud, mais là, on est tranquilles. »

Tous brandissent le côté apolitique et pacifique de leur soutien. « On n’est pas là pour foutre la merde et se battre » , assure Tomasz. Ils refusent d’être comparés aux Russes qui ont lancé des expéditions punitives contre les Anglais à Marseille.

Notre nouveau stade fonctionne avec une reconnaissance biométrique de notre veine. C’est pas possible. Alors on fait la grève pour montrer qu’on est en guerre contre le président.

« Nous sommes là pour le foot, eux ne sont pas des supporters, ce sont desstreet fighters. Si le football est une excuse pour se battre, alors ils n’avaient qu’à se donner rendez-vous loin du stade pour s’affronter » , estime Zlotan : « On a des mecs comme ça chez nous, mais la police leur a confisqué leur passeport, ils n’ont pas pu venir en France. » De toute façon, poursuit Zlotan en rigolant, « nos mecs un peu givrés de Ferencváros n’ont aucune opposition crédible en Hongrie, alors ils sont obligés d’aller en Allemagne pour se fritter. » Le séjour en France est aussi un moyen pour les ultras du pays d’oublier la médiocrité du championnat hongrois et les mesures de sécurité liberticides qui accompagnent ses matchs : « Notre nouveau stade fonctionne avec une reconnaissance biométrique de notre veine. C’est pas possible. Alors on fait la grève pour montrer qu’on est en guerre contre le président » , grogne Zlotan.

Un T-shirt né à Bucarest en 2013

Les T-shirts noirs de l’unification pour la grande cause de la sélection nationale sont nés en septembre 2013 à l’occasion d’un déplacement à Bucarest. « On était au coude-à-coude pour la qualification avec la Roumanie, l’équipe que certains supporters détestent le plus, à cause de l’histoire et de la minorité hongroise des Carpates qui n’est pas très bien traitée » , éclaire un salarié de Ferencváros. « C’était une façon de montrer qu’on était tous ensemble, mais aussi un moyen d’empêcher les identifications par la police et les caméras de surveillance en cas de baston. » Qui n’ont pas eu lieu selon Tomasz : « C’est un mauvais souvenir, on avait perdu 3-0, mais c’était aussi le début de quelque chose pour les supporters. »

Tomasz (encore un) est venu de Zalaegerszeg avec une bande de potes pour suivre les trois matchs du premier tour. Il montre son tatouage au mollet : une croix sur laquelle est écrit « Trianon » . Dans le dos de son T-shirt noir : une carte de la Hongrie d’avant la Première Guerre mondiale et à l’intérieur celle des frontières actuelles. Une date : 04/06/1920 et un slogan en trois langues : « Justice pour la Hongrie. » Une référence qui oblige à ressortir les livres d’histoire au chapitre du traité du Trianon qui règle le sort de l’Autriche-Hongrie vaincue. Les vainqueurs, au nom de l’émancipation des peuples d’Europe centrale, dépiautent de ses deux tiers le territoire de l’Autriche-Hongrie. Conséquence, un tiers des Hongrois deviennent de facto des minorités en Yougoslavie, Roumanie et Tchécoslovaquie.

« Maintenant, on est plus sur la fierté d’être hongrois »

Pourquoi je porte ce T-shirt dans un stade ? Et pourquoi les Français font grève ?

Presque un siècle plus tard, la pilule n’est toujours pas passée et le sentiment d’humiliation continue de hanter l’orgueil national. « Pourquoi je porte ce T-shirt dans un stade ? Et pourquoi les Français font grève ? » badine Tomasz avant de refaire l’histoire : « Parce que ces Hongrois sont maltraités dans ces pays et que c’est douloureux. » Alors qu’il avait accepté un poste de directeur sportif du club d’Ujpest en 2011, l’ex-entraîneur du Real Madrid de la période « Quinta Del Buitre » , le Néerlandais Leo Beenhacker, avait sondé l’âme du pays et de son football tombé en désuétude : « À part se lamenter en convoquant le passé glorieux des années 50, la Hongrie a bien du mal à se réinventer. »

À côté du football, la nostalgie de la Grande Hongrie n’est jamais loin des stades, puisque, comme le souligne un supporter de Ferencváros, « chez nous, le football, c’est toujours de la politique » . Avec les résultats improbables de la sélection à l’issue du premier tour, les ultras hongrois ont légèrement oublié l’ennemi historique et les stéréotypes attribués au voisin des Carpates. « Avant, on chantait des trucs sur les sales Roumains. Maintenant, on est plutôt sur la fierté d’être hongrois » , résume l’un d’eux. Pas sûr que cela suffise à élargir les frontières du pays pour lui permettre de récupérer ses territoires bradés par les vainqueurs de 14-18. En attendant, le T-shirt noir des ultras trace sa route. Ce mercredi, à Lyon dans les tribunes, on a même vu des mamans le porter.

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