- Coupe du monde 2014
- 1/4 de finale
- France/Allemagne
Pour les Bleus, le passé n’existe pas
Séville, Séville, Séville. Depuis quatre jours, les retrouvailles franco-allemandes sont l'occasion de parler de ce passé qui ne passe toujours pas, mais qu'on aime tant célébrer. Une nostalgie (de la défaite) qui épargne les principaux intéressés : les joueurs de l'équipe de France.
Quand un journaliste l’interroge en conférence de presse ce jeudi sur le poids du passé entre la France et l’Allemagne, Hugo Lloris livre une réponse attendue. Celle d’un capitaine d’une équipe qualifiée pour un quart de finale de Coupe du monde qui veut « vivre l’instant présent et écrire sa propre histoire et la vivre à fond » . Lloris ne connaît sans doute pas l’existence de Simon Reynolds. En 2012, ce journaliste et écrivain britannique a théorisé dans le recommandé Rétromania sur cette maladie de notre époque qu’est la nostalgie. Une maladie qui s’observe de plus en plus dans l’industrie culturelle. « Les cycles commémoratifs sont devenus une composante structurelle et intégrée de l’industrie des médias et du divertissement » , avance Reynolds. Pour aller vite, le « c’était mieux avant » tend à devenir le courant dominant et hier n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui à travers les rééditions de disques, films, les reprises, remix, les anniversaires et la célébration permanente d’un passé plus ou moins proche.
« Je ne peux pas en parler, j’étais pas né »
Le football n’échappe pas à la règle. L’enjeu du match de vendredi (une place en demi-finale quand même) a été presque relégué au second plan au profit d’une célébration du passé /passif de la France vis-à-vis de ces Allemands légataires universels de la RFA. Séville 82 ou Guadalajara 86 dans une moindre mesure sont les mots clés de la semaine, comme si Maracanã 2014 devait attendre son heure. Une construction à laquelle contribue surtout les journalistes, mais dont les principaux intéressés ne participent pas. « Je ne peux pas vous en parler, je n’étais pas né » , coupe Mamadou Sakho qui visiblement a fait l’impasse sur l’histoire. Si on suit l’argument du défenseur, seuls Landreau et Évra (trois ans et un an à l’époque) sont susceptibles de l’évoquer. Alors bien sûr, on peut écouter les Beatles et être né après leur séparation en 1970. On peut aussi être avoir vu le jour huit ans après Séville comme Sakho et trouver que Schumacher est un salop et que Six s’est précipité lors de son tir au but. À peine plus vieux de trois ans, Blaise Matuidi évoque en « passionné de foot » , les images « Battiston, le contact avec le gardien » ou encore la défaite de 1986 « alors que l’équipe de France s’était qualifiée en quarts contre le Brésil après un grand match » .
« Vivre avec son temps »
Inutile d’insister pour en obtenir plus, les Bleus conjuguent tout au présent. Le passé affleure sur eux sans les toucher. « Il faut vivre avec son temps, justifie Didier Deschamps âgé de 13 ans en 1982. On ne va pas faire les vieux combattants. » Si le sélectionneur concède que Séville « a marqué l’esprit des gens et l’histoire du football français » , il jure qu’il ne va pas activer le levier psychologique de la revanche pour motiver ses hommes. Il ne s’agit pas de reprendre l’Alsace et la Lorraine, venger la dentition de Battiston ou réparer ce que toute une génération considère comme une injustice. Non, il s’agit juste de préparer un quart de finale de Coupe du monde, comme si rien n’avait existé avant, comme si les maillots n’avaient pas le poids de ceux qui les ont portés avant, comme si seul demain existait. « L’histoire est ce qu’elle est. Il y aura une nouvelle page à écrire vendredi » , résume Deschamps. Une page qu’on ne finira pas de lire et relire dans 20 ou 30 ans peut-être.
Par Alexandre Pedro au Maracanã