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Fickou : quand y en a pour XI, y en a pour XV
Avant de devenir le capitaine de la défense du XV de France, Gaël Fickou a longtemps hésité avec une carrière dans le foot. Doué et repéré par des clubs alors qu’il était ado, le joueur du Racing 92 a finalement choisi le rugby. Retour sur ses années foot du côté de la Seyne-sur-Mer, dans le Var.
Avant chaque match, dans le vestiaire, Gaël Fickou répétait le même geste. « Il mettait son caleçon à l’envers, c’était son grigri », se marre Christophe Graziani, son ancien entraîneur au FC Seynois. Avec succès, selon son coach en benjamins et en U13. « Sa génération, celle née en 1994, avait remporté la coupe départementale et le championnat du Var. On avait même battu l’Olympique de Marseille dans un tournoi. » Capitaine de cette équipe, Fickou brille en défense centrale, au point de se faire draguer par de prestigieux centres de formation. « J’étais persuadé que j’aurais réussi à percer dans le foot », assure même le taulier du XV de France.
« Il était infranchissable »
Pendant longtemps, Fickou se tient ainsi à distance du rugby. Il grandit au milieu des immeubles grisâtres de la cité Berthe, dans le nord de la Seyne-sur-Mer, où tout le monde vibre foot. « Je n’avais que 4 ans lors de la Coupe du monde 1998, mais j’ai des flashs. Je me souviens que je regardais les matchs dans les locaux de l’association Gaspard, en bas de ma tour à la cité. Il y avait beaucoup de bruit, des cris. J’ai aussi le souvenir de poubelles qui crament les jours de match », indique l’avant-dernier d’une fratrie de quatre enfants. Il s’inscrit d’abord à la Jeunesse sportive seynoise, un club de son quartier qui fut dirigé par son grand-père maternel dans les années 1980. Rapidement au-dessus du lot, Gaël, 8 ans, tape à la porte du FC Seynois, en dehors de la cité. « Dès le premier entraînement, tout le monde avait dit qu’il était phénoménal. Mais j’ai commencé par le mettre en équipe 3 pour voir sa mentalité. Il n’a rien montré d’une possible déception et fut le meilleur », se rappelle Christophe Graziani. Charmé, le coach le prend sous son aile et aide le gamin, issu d’un milieu modeste. « Je le considère comme un deuxième père. Il me conduisait quasi quotidiennement à l’entraînement et me payait ma licence », raconte Fickou.
En compagnie des deux garçons de Graziani, arrière droit et gardien de son équipe, Fickou passe aussi des après-midi à regarder les matchs de l’OM et à jouer à la console. Parfois, la bande se rend au Vélodrome, où il chante pour ses idoles : Ribéry, Drogba, Nasri, Mamadou Niang. Et quand il regarde les championnats étrangers à la télé, Fickou vibre pour le Real Madrid et la Juventus, avec Zidane comme trait d’union. « Mon idole, c’est lui, c’est notre dieu à tous. Mais j’ai aussi adoré des mecs un peu moins mis en lumière, comme Guti », confie aujourd’hui le joueur du Racing 92. Sur le terrain, Fickou s’inspire des cadors à son poste, comme Fabio Cannavaro, Paolo Maldini et Rio Ferdinand, costauds et dotés d’un bon pied, comme lui. « Gaël était également un très bon tacleur. Il était infranchissable et marquait aussi beaucoup de buts pour un défenseur. C’était un soldat, qui ne râlait jamais et ne s’embrouillait avec personne. C’était une évidence qu’il soit mon capitaine », rejoue son ancien entraîneur. À force de victoires, les gamins du FC Seynois attirent l’œil des recruteurs, Fickou en tête. L’AS Monaco et le FC Sochaux souhaitent l’intégrer à leur centre de formation.
Entraînement avec Arsenal
C’est à ce moment-là que le rugby le rattrape. D’abord par un stage d’été organisé par le RC Toulon, puis par son frère, Jérémie, joueur de l’US Seynoise. Là encore, ses qualités physiques et techniques séduisent tout le monde en quelques entraînements. Il songe d’abord à pratiquer les deux sports. « Au départ, il ne me dit pas qu’il est allé au rugby, sourit Graziani. Puis je discute avec lui, et Gaël me confie qu’il veut prendre les deux licences. Je lui explique que s’il est vraiment fort, il doit y aller. Mais il me sort : “Je veux rester avec toi.” Il ne serait pas parti si je lui avais dit que j’avais besoin de lui. » Le week-end suivant, Fickou termine meilleur marqueur d’essai et meilleur joueur d’une session avec l’US Seynoise. Il entérine le choix du rugby. « J’aimais bien le contact, je préférais ce sport. Certains ont été surpris de ma décision et m’ont pris pour un fou », explique l’un des meilleurs centres de l’histoire du XV de France.
Toujours mordu de foot, Fickou n’a jamais vraiment lâché le ballon rond. Son statut lui a même permis de rencontrer Mamadou Niang, El-Hadji Diouf, mais aussi de participer en 2015 à un entraînement avec Arsenal et de marquer un penalty à Petr Čech sous les yeux d’Arsène Wenger, Robert Pirès et Olivier Giroud. Le 13 des Bleus continue de mater des soirées Ligue des champions, comme lorsqu’il était gamin et devait ruser pour regarder les matchs jusque tard dans la nuit. « J’ai des étoiles plein les yeux quand je visionne les belles affiches européennes. Mais je n’ai aucun regret. À aucun moment, je ne m’imagine à la place des joueurs sur le terrain », dit-il. D’autant que sa foi dans une carrière pro aurait pu être contrariée, tant les places sont plus chères au foot qu’au rugby. « Je pense qu’il aurait signé dans un club, mais est-ce qu’il aurait eu une telle carrière ? Au rugby, ce qu’il a fait, c’est exceptionnel », estime de son côté Christophe Graziani. Et pour gagner une Coupe du monde à domicile comme son idole Zidane, il reste quatre matchs à remporter. Avec le caleçon à l’envers, de préférence.
Par Guillaume Vénétitay
Propos de Gaël Fickou recueillis par GV et tirés de son livre “Derrière l’armure” (avec Maxime Raulin, aux éditions Solar), propos de Christophe Graziani recueillis par GV.