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Zhegrova, le gentil dribbleur

Par Andrea Chazy, à Lille
10 minutes

Après avoir dynamité Lorient, Edon Zhegrova espère désormais troquer son habit de supersub pour celui d’un titulaire en puissance sur le flanc droit de l’attaque lilloise. Portrait d’un feu follet.

Zhegrova, le gentil dribbleur

Edon Zhegrova fait partie de ces gens dont le sourire irradie tous les visages qui se trouvent autour de lui. En ce jour de triomphe face au FC Lorient, il se tient là, posé au milieu des DVE – les ultras lillois qu’il a rejoints au coup de sifflet final -, célébré par tout un public conquis par sa sortie. Dans le processus de séduction du jour, il y a ses dents blanches, bien sûr, mais aussi sa générosité, son envie, sa folie, et surtout ses deux coups de patte gauche qui ont permis au LOSC de pêcher les Merlus de Régis Le Bris quelques minutes avant la fin de la sortie en mer. « Edon a sauvé la maison en nous débloquant la situation », glissait en zone mixte Lucas Chevalier. Franchement, sa mentalité est bonne. Il ne boude pas. Et quand il entre, il court. Il a un pied gauche de folie. On le voit à l’entraînement. Avant, c’est parfois ce qui péchait. Il rentrait sur ce pied, frappait fort et loupait des occases. S’il veut devenir titulaire indiscutable, ça passe par ce genre de performances. Le coach a vu et a apprécié. » Ce n’est d’ailleurs pas la première fois, en 2023, que Zhegrova sauve les miches de Lille ou de sa sélection, le Kosovo, à qui il a évité une honteuse défaite à domicile face à Andorre pas plus tard que la semaine passée (1-1). « Quand l’entraîneur fait appel à toi, il faut donner 100 %, ne pas être triste, expliquait le héros du jour après Lorient. Ce n’est pas la bonne attitude. Je savais que je pouvais changer le cours du match. C’est mon profil. Mon séjour en sélection m’a fait du bien. C’est important de représenter son pays, de voir sa famille en tribunes, de marquer. Donc ce soir, je vais bien dormir. »

Banquette, Milan et le Kosovo

Depuis qu’il a posé ses valises dans le Nord à l’hiver 2022, c’est peu dire qu’Edon Zhegrova n’est pas souvent parti se coucher avec le sentiment du devoir accompli. S’il avait fini par enchaîner les titularisations lors de la fin de saison en roue libre des Dogues avec Jocelyn Gourvennec, le transfuge du FC Bâle n’a pas profité de l’été et de l’arrivée de Paulo Fonseca pour se faire une place au soleil. Barré par Adam Ounas avant la Coupe du monde, puis par Timothy Weah à la suite de la blessure à la cuisse de l’Algérien en janvier, Zhegrova a dû attendre les forfaits en pagaille au sein de l’arrière-garde nordiste – et donc le repositionnement comme latéral de Weah – pour gratter du temps de jeu. C’est lors de la première semaine de février, à Rennes (1-3) où il est décisif sur les trois buts lillois puis à Lyon (1-1, 6 TAB à 4 pour l’OL) en Coupe de France où il marque encore, qu’il redevient une solution crédible aux yeux de son entraîneur qui dira à son sujet, malgré l’élimination : « Je suis content de son match, il est devenu un joueur différent dans ses décisions, dans sa façon de jouer pour l’équipe. Il est devenu différent positivement : il comprend que c’est important de jouer pour l’équipe. »

C’est assez rigolo, car j’ai été enregistré en tout dernier sur la liste, mais finalement, j’ai terminé premier parmi tous les participants. Et c’est vraiment là que tout a changé pour moi.

Edon Zhegrova

Un sens du sacrifice pour le collectif que Zhegrova n’avait pas, lorsqu’il est arrivé à Lille il y a un peu plus d’un an. Un manque qui peut s’expliquer en partie par l’histoire de ce gamin de Prishtina, qui a grandi au Kosovo, mais qui est né en Allemagne. C’est outre-Rhin qu’Edon a passé les six premières années de sa vie, près de Bielefeld, à cause de la guerre, avant de retourner vivre sur la terre de ses parents. Fils d’un père juriste et d’une mère cuisinière, frère d’un footballeur professionnel passé notamment par Saint-Trond et d’une sœur, Valza, qui a une petite notoriété dans la chanson kosovare, Edon a rapidement surclassé les autres gamins de son âge ballon au pied. « Un jour, en 2012, l’AC Milan a organisé un grand camp d’entraînement au Kosovo, racontait-il au site du club. Pendant plus d’une semaine, 200 jeunes joueurs étaient invités à faire des tests. Je n’ai appris l’existence de ce stage qu’au dernier moment. Mon entraîneur m’y a alors conduit un peu dans l’urgence. Je suis arrivé vraiment sur le fil, j’ai dû m’habiller en vitesse alors que les enfants étaient déjà sur le terrain. C’est assez rigolo, car j’ai été enregistré en tout dernier sur la liste, mais finalement, j’ai terminé premier parmi tous les participants. Et c’est vraiment là que tout a changé pour moi, que ma famille a commencé à se dire que je pourrais peut-être devenir footballeur professionnel. Au fond de moi, j’avais de toute façon déjà cette ambition. »

Un essai non concluant au LOSC en 2014

Outre Milan, Zhegrova a fait pas mal d’essais dont un… au LOSC, à l’été 2014, qui n’a finalement rien donné. Un rendez-vous manqué dont profite le Standard de Liège, puis Saint-Trond en Belgique, qui font venir la jeune pépite kosovare et sa famille après pratiquement dix ans passés dans les Balkans. « Edon est très attaché au pays, les gens le ressentent, confirme Alain Giresse, l’actuel sélectionneur, qui a tissé un lien à part avec lui. Il ne fait pas semblant de venir jouer avec la sélection. » Reste qu’un premier hic intervient rapidement dans la quête du Graal du jeune Edon : le Kosovo n’étant pas encore affilié à la FIFA ou à l’UEFA (il le sera finalement en 2016), il ne peut disputer aucun match officiel jusqu’à ses 18 ans. Pendant près de quatre ans, Zhegrova ne dispute que des matchs amicaux ou des entraînements en Belgique. « C’était très difficile à vivre pour moi. C’était d’autant plus frustrant que j’avais le niveau pour évoluer dans les équipes jeunes. D’ailleurs, j’ai été repéré par un scout de Genk, l’un des meilleurs clubs belges, uniquement via ces matchs amicaux et entraînements. » C’est chez l’actuel leader de Jupiler Pro League que le Kosovar débute chez les pros, avant d’être couvé par Bâle pendant trois ans et demi. Jusqu’à taper dans l’œil de la cellule de recrutement du LOSC, qui cherche alors un remplaçant à Jonathan Ikoné. « Quand Jonathan est parti, on savait qu’on perdait un joueur qui avait beaucoup performé sur les six premiers mois, notamment en C1, et que l’on récupérait avec Edon un jeune joueur en devenir, même s’il était déjà international, replace son ex-coach Jocelyn Gourvennec. On savait qu’il y aurait un temps pour qu’il s’habitue aux exigences de la Ligue 1. Mais que c’était aussi un gars très talentueux, capable de faire la différence, un dribbleur. » 

Je lui montrais des séquences à la perte du ballon, il n’était pas du tout actif. Il se mettait en route uniquement quand le ballon arrivait dans sa zone. Ça, ce n’est pas possible.

Jocelyn Gourvennec

Dès ses premières entrées en jeu avec les Dogues, Edon Zhegrova affiche une activité à double tranchant. Côté pile : une superbe frappe sous la barre à Angers qui permet au LOSC d’arracher un nul. Côté face : deux cartons jaunes en huit minutes, à Metz, alors que Zhegrova était entré à la 81e minute de jeu. Des conséquences un tantinet prévisibles pour un joueur qui veut en foutre plein les yeux d’entrée. « J’ai tout de suite senti qu’il voulait montrer, peut-être un peu trop, se souvient Jérémy Pied. Même à l’entraînement, c’était “Je prends le ballon, je veux dribbler tout le monde et marquer pour montrer que techniquement, je suis là”. Tu ne peux pas lui en vouloir, parce qu’il devait rapidement montrer ses qualités, mais dans les petits jeux, je lui disais : “Vas-y dribble, tant que c’est efficace. Mais si tu dois faire la passe, fais la, on te la rendra.” » Lors de cette phase d’adaptation, Gourvennec et son staff font également pas mal de vidéos avec lui pour insister sur un point précis : son jeu sans ballon, qui est au mieux médiocre. « Je lui avais montré des images où il faisait des différences incroyables en un contre un, glisse Gourvennec. On lui disait : “Ça, on a vu et on continue de le voir, c’est super.” Ensuite, je lui montrais des séquences à la perte du ballon, il n’était pas du tout actif. Il se mettait en route uniquement quand le ballon arrivait dans sa zone. Ça, ce n’est pas possible. Quand le ballon est à l’opposé, que ton équipe n’a pas le ballon, il n’y a pas trente-six solutions : il faut courir. Quand c’est un coach étranger qui dit ça, tout le monde applaudit, quand c’est un coach français, tout le monde regarde de travers. Mais c’est la réalité. » Une carence qui ne pardonne pas dans un groupe champion de France en recherche d’un second souffle, combiné aux nouvelles exigences d’une Ligue 1 qui ne met pas longtemps à comprendre le petit secret du tour préféré de Zhegrova et de son jeu souvent trop monocorde. Alain Giresse abonde : « Encore aujourd’hui, on travaille sur le fait de lui faire comprendre que pendant un entraînement ou un match, on ne peut pas être tout le temps le pied au plancher. Il y a des temps de jeu qui sont dictés par les circonstances, parce qu’il n’y a pas d’espaces, parce qu’il faut préparer. C’est cette partie-là de son jeu qui est perfectible, parce que c’est une pile : quand il prend le ballon, c’est des accélérations, il y a de la puissance dans ses appuis, et un pied gauche qui fait le reste. Il surprendra encore plus ses adversaires s’il avance là-dessus, car si ton jeu est monocorde, c’est plus difficile de pousser à l’erreur de l’adversaire. »

L’heure de parler français

Là est tout l’enjeu des prochains mois pour Edon Zhegrova : donner suffisamment de garanties à ses différents coachs pour ne plus seulement donner de la joie en sortie de banc. Face à Lorient, il n’était par exemple toujours pas le premier choix de Paulo Fonseca au moment de remplacer Adam Ounas, de nouveau touché, qui lui a préféré Mohamed Bayo à la 35e minute. Une question de temps pour Jérémy Pied, qui s’il n’est plus au club aujourd’hui, voit Zhegrova monter en puissance : « Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile de défendre sur lui quand tu es défenseur, car tu as tendance à vouloir anticiper qu’il se mette sur son pied gauche, ce qu’il va faire, jusqu’au moment où il va partir pied droit et te laisser sur place. C’est très difficile d’anticiper. Je dirais que ce qui lui manquait et ce qui lui manque encore un peu aujourd’hui, c’est l’efficacité. Lorsqu’il aura trouvé le cheminement, ça va être un crack. » Tout simplement car hors du terrain, l’artiste kosovar est très apprécié partout où il passe. Que ce soit dans le vestiaire lillois ou en sélection, Zhegrova a ce côté « boute-en-train » dixit Pied et surtout « attachant » pour Giresse. « Il est encore jeune, il n’a que 24 ans et il n’est pas calculateur : il est nature, explique l’ancien mousquetaire du “Carré Magique”. Un jour, je me souviens qu’il avait voulu me montrer ses vidéos de quand il avait 13-14 ans. J’ai trouvé ça marrant, je lui ai dit : “Dis donc Edon, je vais te montrer les miennes maintenant !” Il m’avait répondu : “Ah non coach, vous je sais, je sais !”(Rires.) » Pas calculateur ? Du moins, quand ça l’arrange. Avec bienveillance, Gourvennec sourit avant de raccrocher le combiné en se remémorant le moment où il a découvert le côté taquin de son nouveau joueur au LOSC, quelques semaines après son arrivée : « Vu qu’il avait passé une partie de sa vie en Belgique, il m’avait dit qu’il avait quelques notions de français, mais qu’il préférait parler en anglais. Très bien, partons sur l’anglais. Et puis on s’est rendu compte avec le staff très rapidement que lorsqu’il déconnait avec ses potes du vestiaire, c’était souvent en français. Un jour, je l’ai fait venir et je lui ai dit : “T’es un petit malin toi, avec le français.” Il a éclaté de rire. Edon, c’est un gentil dribbleur. »

Dans cet article :
Kosovo : Edon Zhegrova dénonce son exclusion de la sélection nationale
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Par Andrea Chazy, à Lille

Tous propos recueillis par AC, sauf ceux de Zhegrova issus du site officiel du LOSC.

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