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Opa, le DJ punk du Fortuna Düsseldorf

Par Andrea Chazy, à Düsseldorf

Pendant 18 ans, Marcus Haefs dit « Opa » fut le DJ du Fortuna Düsseldorf pour le meilleur et pour le pire. Près de deux décennies où il a mixé pour les fans des Fortunen avec deux objectifs : cajoler les oreilles de ses auditeurs et repousser l’extrême droite loin de son stade.

Opa, le DJ punk du Fortuna Düsseldorf

Entourée de galeries marchandes et d’hôtels, la Corneliusplatz de Düsseldorf doit son charme à une fontaine entourée d’un gazon parfaitement tondu et de quelques bancs pris d’assaut. C’est dans ce cadre plutôt agréable que Marcus Haefs a donné rendez-vous, à 17h. Il est en retard, mais ce n’est pas de sa faute : en Allemagne, lorsqu’un train est à l’heure, c’est un jour à marquer d’une pierre blanche. Après avoir serré des paluches comme un politicien et claqué quelques bises, le quinqua à lunettes et aux cheveux poivre et sel commande une Alt, la bière brune locale, avant de se replonger dans un mois de mai qu’il n’a pas vu passer. Il y a d’abord eu un kif avec son groupe de punk rock Dead Dates, dont il est le chanteur, puisque Marcus et ses potes se sont envolés pour quelques jours en Guadeloupe afin d’y partager l’affiche avec la référence locale du genre, The Bolokos. Une expérience renversante selon lui : « C’est un endroit magnifique. On pensait que les gens là-bas n’en avaient rien à faire d’un stupide groupe de punk allemand, et pourtant, c’est tout le contraire. On a commencé à 23h – normalement je vais au lit à cette heure-là –, mais finalement, on a joué 1h45 dans une humidité folle… J’aurais dû perdre du poids plutôt que d’en prendre ! » Surtout, quelques jours après avoir laissé derrière lui les paysages de cartes postales guadeloupéens, Marcus a dit au revoir à ce qui rythmait une partie de sa vie depuis exactement dix-huit ans : le Fortuna Düsseldorf, dont il était jusque-là le DJ officiel.

« Je crois que le meilleur moment pour partir, c’est quand les gens t’aiment encore »

Il n’y a pas beaucoup de façons idoines pour refermer ce genre de chapitre dans une vie. Mais il existe indéniablement de meilleurs scénarios que celui vécu par Marcus pour sa dernière à l’Arena de Düsseldorf. C’était le 27 mai dernier, lors de la manche retour du barrage de relégation de la Bundesliga qui opposait son club de cœur au Vfl Bochum, et alors que le Fortuna avait créé la surprise en balayant la formation de première division 3-0 à l’extérieur à l’aller, c’est bien Bochum qui a renouvelé son abonnement dans l’élite au terme d’un finish à couper le souffle. « Heureusement, on avait fait quelque chose la semaine précédente où le club m’avait rendu hommage, notamment pour une chanson que j’avais écrite pour eux il y a 20 ans : “Die Einzig Wahren Farben” (Il n’y a que deux couleurs, rouge et blanc, NDLR) », rassure l’intéressé. Ouf.

Dans le foot actuel, il y a de plus en plus de pubs, et je n’avais plus le temps de faire découvrir aux gens des groupes locaux, des groupes que j’aimais.

Marcus Haefs

Si le club de Düsseldorf a mis les petits plats dans les grands pour son départ, ce n’est pas pour rien : Marcus Haefs était bien plus qu’un simple dealer de plaisir muni d’une clé USB qui balançait de l’eurodance sur les buts de son équipe. Tendance qu’il abomine, au passage. Car si on ne lui a jamais rien imposé, c’est surtout l’époque qui a abîmé sa passion de passer des playlists alternatives le week-end devant 35 000 personnes en moyenne. « Je crois que le meilleur moment pour partir, c’est quand les gens t’aiment encore, pose le disc-jockey. Après tout ce temps, je n’arrivais plus à me surprendre. J’avais pour habitude dans mes sets de faire des blagues à l’équipe adverse. Par exemple, quand Dortmund se faisait sortir de la Ligue des champions et qu’ils venaient jouer chez nous, je lançais la musique de la C1 pendant l’avant-match. Là, je sentais que je commençais à me répéter. Puis le temps que j’avais pour passer de la musique est devenu de plus en plus court. Dans le foot actuel, il y a de plus en plus de pubs, et je n’avais plus le temps de faire découvrir aux gens des groupes locaux, des groupes que j’aimais. »

Opa, Gangnam Style !

C’est en partie pour marier son amour du foot à celui de la musique que Marcus s’est décidé, un vendredi soir humide et froid de 2005 lors d’un « 0-0 pourri face à l’équipe 2 du VfL Wolfsburg », à mixer pour la première fois pour les 4000 courageux qui suivaient encore le Fortuna Düsseldorf en quatrième division. Il se souvient encore de certains titres qu’il a joués ce soir-là : We’re Coming Back de Cock Sparrer, une chanson de Pink, une autre d’Ice-T, et puis The Clash bien sûr. Si Marius voue un culte au groupe de Joe Strummer qu’il passait dès que possible, et pour le punk en général, cela n’a rien de farfelu. Né en 1969, tombé à 13 ans dans la marmite, il a aussi vu Düsseldorf héberger une grosse scène du courant punk allemand et notamment naître le groupe Die Toten Hosen, de véritables stars outre-Rhin, qui soutient économiquement Fortuna depuis plus de 30 ans. Comme eux, Marcus est devenu fan du club tout en se faisant un nom, de moindre envergure certes, dans le domaine musical. Son nom de scène ? « Opa ». Le diminutif allemand de grand-père, trouvé par d’autres dans sa jeunesse un jour où Marcus a été vu marchant avec la canne en bois de son papy après un match de foot haché. Il le concède : « Les 2-3 premières années, je ne trouvais pas ça très punk. Et puis finalement, c’est resté. »

Je voulais partir, mais le président de l’époque, Peter Frymuth, m’a dit que ce n’était pas rien de se faire tabasser, et que d’arrêter maintenant, c’était les laisser gagner. Il avait totalement raison.

Marcus Haefs

Reste que cette âme punk et les convictions antiracistes qui composent son ADN n’ont jamais quitté Opa. S’il concède avoir lâché quelques larmes, en 2009, lorsque Fortuna a retrouvé le professionnalisme et la deuxième division, le combat contre l’extrême droite et ses idées rances est toujours resté sa priorité par rapport au sportif. Parfois non sans risques. « L’ambiance a commencé un peu à changer vers 2012, quand on alternait entre Bundesliga et 2. Bundesliga, se souvient-il. On a commencé à me reprocher de ne jouer que du punk rock, ce qui était faux ! Je passais du hip-hop, de la pop, des chansons des sixties… Mais quand l’extrême droite va au stade pour recruter des gens et qu’ils entendent des chansons contre eux, il y a des répercussions. D’abord, j’ai commencé à recevoir des mails du type : “On va t’avoir”, “T’es mort”, puis mes parents ont commencé à avoir des appels étranges. » Ensuite, c’est l’escalade : peu avant Noël cette même année, Marcus est agressé par plusieurs hommes dans la rue et pense à tout arrêter. « Je me sentais perdu, je voulais partir, mais le président de l’époque, Peter Frymuth, m’a dit que ce n’était pas rien de se faire tabasser, et que d’arrêter maintenant, c’était les laisser gagner. Il avait totalement raison. Je sentais alors que j’avais le soutien de tout un club. »

Même si Marcus rempilera encore douze ans, il faut croire que les temps ont vraiment changé. S’il poursuit son engagement à sa façon, en travaillant aujourd’hui dans le social avec pour mission d’aider les travailleurs étrangers qui débarquent sur le sol allemand dans leurs démarches administratives, Marcus Haefs a fait deux constats. Primo : plus personne ou presque n’écoute de punk. Deuzio, et bien plus grave : l’extrême droite gagne du terrain partout en Europe. « Quand j’étais jeune, les Pays-Bas étaient un endroit cool, rempli de libertés où on allait faire la fête, fumer, passer du bon temps. Maintenant, ils ont un leader d’extrême droite. C’est arrivé en Italie, en Hongrie, cela peut arriver en France… Ça me rend nerveux que tant de gens n’aiment plus la démocratie. Ils veulent des régimes autoritaires alors qu’au contraire, on a plus que jamais besoin d’humanité, de vie en communauté. » En ce qui concerne le Fortuna Düsseldorf, il n’a pas gardé grand-chose de tout ce temps passé au club : seulement un maillot signé de l’un de ses joueurs favoris, la légende locale Oliver Fink. Mais Opa a quand même encore un rêve avant de casser sa pipe : faire de son vivant un déplacement en Coupe d’Europe pour soutenir le Fortuna. « Pas forcément en Ligue des champions, hein, glisse-t-il un brin rêveur. Mais après avoir fait ça, je pourrais mourir. Bon, j’espère que ça ne va pas arriver dans deux ans non plus ! » Cela ferait effectivement bien trop jeune, même si Joe Strummer, lui, n’a jamais vu plus loin que le demi-siècle.

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Par Andrea Chazy, à Düsseldorf

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