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Lucas Stassin, ça passe ou ça chasse

Par Maxime Brigand

Recrue la plus chère de l’histoire de l’AS Saint-Étienne, Lucas Stassin, 19 ans, est encore au milieu de la sacro-sainte période d’adaptation, alors que les Verts retrouvent Lyon, dimanche. Un bon moment pour découvrir le renard belge.

Lucas Stassin, ça passe ou ça chasse

Tout a commencé par une longue nuit ou une courte matinée, c’est selon, et une scène que l’on croirait tout droit sortie de l’enfance, au détail près que l’enfant en question n’en est plus vraiment un. Un matin comme les autres pour le commun des mortels, mais pour le commun des footballeurs de haut niveau, c’est l’un des matins de l’année où tout peut basculer, où une valise peut être faite en dix minutes avant de sauter dans un jet privé et où une saison peut prendre plus ou moins toutes les directions possibles, sans que le footballeur en question n’ait toujours son mot à dire sur ladite direction. Ainsi, le 30 août dernier, Lucas Stassin, 19 ans, a été réveillé par son père, Stéphane, 48 ans, un ancien pro qui affiche sur son CV une bonne soixantaine de matchs pros avec Anderlecht, presque autant avec l’Union saint-gilloise, et un tout petit peu moins avec Angers. « Lucas, réveille-toi. Westerlo a accepté de rediscuter ! » Voilà comment un vendredi d’été, que Stassin fils devait boucler par un match de Jupiler Pro League et qui arrivait au terme d’une semaine marathon, marquée par des discussions avec Sunderland et des négociations avec Saint-Étienne, a fini par tourner. Et l’intéressé de se retrouver à 23h25 dans un tout autre pays, avec un tout autre maillot et avec une toute nouvelle étiquette. Pas n’importe laquelle : celle de recrue la plus chère de l’histoire des Verts.

Dès le tout premier appel, j’ai été impressionné. On a discuté de mes points d’amélioration, du projet du club, de tactique, de ma capacité à être très efficace par rapport à mes expected goals.

Lucas Stassin

Ce choix a-t-il été facile à faire ? « Clairement, car j’étais dans l’optique de partir, répond le jeune buteur. Maintenant, je faisais un gros début de saison avec Westerlo (2 buts et 3  passes décisives en 5 matchs, NDLR) et si le club ne s’y retrouvait pas, je serais resté. Dans les deux cas, je savais que ma décision allait être bonne. Après, quand la possibilité de jouer en Ligue 1, à 19 ans, s’est présentée… » Et pourquoi Sainté, au juste ? « Tout simplement car j’ai senti que les dirigeants me connaissaient vraiment. Dès le tout premier appel, j’ai été impressionné. Parfois, on peut te parler de tes stats, de deux trois éléments, sans que ça n’aille très loin. Là, on m’a parlé concrètement de ce qu’on voulait faire avec moi. On a discuté de mes points d’amélioration, du projet du club, de tactique, de ma capacité à être très efficace par rapport à mes expected goals (9 buts pour 6.7xG, NDLR). On est rentré dans le détail, le concret. » Derrière, tout est allé très vite : numéro 32 dans le dos, choisi en clin d’œil à l’indicatif téléphonique de la Belgique faute de pouvoir prendre son 76 fétiche, Lucas Stassin, qui a d’abord vécu au centre d’entraînement de l’Étrat, a été propulsé dans le groupe pro et a connu sa première titularisation dès son premier match, face au LOSC. Depuis, il découvre la Ligue 1, pièce par pièce. Il est dans le jeu de la concurrence avec un tout autre profil que le sien, celui d’Ibrahim Sissoko, et a déjà filé trois passes décisives, ce qui fait de lui le meilleur passeur de l’effectif avant de gober dimanche son premier derby. Ça, ce n’est qu’un détail. Précieux, OK, mais un détail, car Stassin sort sur un terrain pour être autre chose : avant d’être un assistant, ce mec a, dans le grand tableau du foot, la réputation d’être un tueur.

Le filet qui tremble

Mi-septembre, son nouveau coach chez les Verts, Olivier Dall’Oglio, a ainsi concédé avoir vite découvert le caractère de sa nouvelle pointe : « Il a 19 ans, de l’ambition, il sait où il veut aller. Il sait qu’aujourd’hui, s’il veut être un attaquant de haut vol, il faut courir. La première de ses qualités, c’est le déplacement. Il sent le jeu, il est très juste sur les choses simples : le contrôle, la passe. Après, c’est un attaquant. Il n’est satisfait que quand il marque. C’est une obsession. » C’est même un truc qui le dévore, depuis l’enfance. Stassin savait cependant qu’en arrivant en Ligue 1, il devrait régler quelques boulons. Il dit, déjà, être tombé « dans une autre sphère. J’ai tout de suite été marqué par l’intensité, la qualité des joueurs. J’ai été avec les Espoirs belges en octobre et on en a discuté entre nous. On se disait qu’il faut vraiment aller dans l’un des clubs des cinq plus grands championnats européens pour comprendre ce qu’est le vrai foot, le très haut niveau. Samuel Mbangula était d’accord. Tout ce que tu fais doit être plus rapide, beaucoup plus rapide. » Sans doute encore plus à l’endroit où Lucas Stassin vit depuis qu’il est gosse, dans les seize mètres, une surface où son instinct l’a vite emmené, mais avec laquelle il a petit à petit pris un petit peu plus de recul : « Oui, les chiffres sont importants. Les stats, c’est ce qui parle tout de suite, mais aujourd’hui, un attaquant doit savoir beaucoup plus de choses. Ça va au-delà. Bon, maintenant, la meilleure sensation restera toujours de voir un filet trembler. »

Cette sensation, Stassin avance avec depuis le premier jour. Son père décrit une image de son fils, gosse, blotti avec plusieurs ballons dans son lit à la place de doudous, qui a grandi dans une famille où le foot a toujours été partout. « Au-delà de mon cas, il y a aussi eu mon cousin, mais surtout son grand-père, qui a joué à un niveau amateur durant de nombreuses années, en D3-D4, sourit Stéphane Stassin. Il ne jouait pas très bien au foot, mais c’était un vrai buteur. Quand j’en parle avec des anciens, ils me disent tous : “Franchement, ton fils ne te ressemble pas. C’est clairement Guy Stassin, son grand-père.” C’est très vrai : Lucas est comme lui, il a le nez pour le but. »

Il a ce truc où le ballon retombe toujours sur lui et ça ne peut être un hasard quand ça arrive autant de fois.

Thierry Siquet

Pour reprendre les mots d’Aimé Jacquet, Stassin a cette aisance à jouer « entre les cornes du taureau » et il dit même que c’est ce qui l’a parfois sauvé, notamment à ses débuts à Anderlecht, club où son père est entraîneur chez les jeunes et que Lucas Stassin a rejoint à l’âge de 9 ans après avoir été repéré par un responsable de la formation. « Je pense vraiment que si j’ai réussi à rester à Anderlecht, c’est grâce à mes goals, développe l’intéressé. Je dis ça parce que j’ai un profil vraiment à part, qui ne rentre pas du tout dans l’ADN type du joueur d’Anderlecht. Un joueur d’Anderlecht, c’est avant tout un joueur technique, créatif. Moi, au départ, je n’étais pas très doué techniquement. J’ai progressé ensuite, mais mon truc à moi, c’était l’instinct du placement. » Thierry Siquet, qui a connu le diable dans les sélections nationales U18 et U19, prolonge : « C’est un petit peu bête à dire, mais Lucas sait où se trouve le but, et ça, peu de joueurs le savent. Peu importe où il est, il sait où il doit mettre le ballon, comment se positionner. Il a ce truc où le ballon retombe toujours sur lui et ça ne peut être un hasard quand ça arrive autant de fois. Si on ajoute à ça le fait qu’il sait aussi prendre ses responsabilités et n’a pas peur de grand-chose… » Cela donne une gâchette qui a toujours empilé les buts, chez les jeunes comme chez les pros, et dont la cote a très vite grimpé.

Micro, Ibiza, podium

En janvier 2023, Stassin a même claqué un but lors d’un match amical face à Troyes, avec un micro sur le maillot. Anderlecht avait décidé de le lui accrocher avant de balancer la vidéo sur les réseaux, déclenchant alors un petit buzz autour de sa personne. Ce qui a beaucoup fait causer, ensuite, c’est surtout le choix du bonhomme de quitter son club formateur durant l’été pour rejoindre Westerlo, ce juste après avoir terminé, à 17 ans, sur le podium des meilleurs buteurs de D2 avec les U23 d’Anderlecht. Son entourage a beau lui avoir dit d’être patient, Lucas Stassin ne cherchait qu’une chose : du temps de jeu, au haut niveau, même en tant que doublure, ce qu’Anderlecht ne lui a jamais vraiment proposé. Il se justifie : « Quand on est jeune, je pense qu’il faut jouer et je n’avais envie que de ça, d’être au plus haut niveau, pour grandir. Ça n’a pas été simple parce qu’à Anderlecht, je connaissais tout le monde dans les vestiaires, les bureaux, mais j’ai senti que c’était le moment pour partir, pour habiter seul, pour passer cette étape. Ça a été une très bonne idée, car à Westerlo, j’ai découvert le vrai foot, même si j’ai dû m’ajuster en matière de mentalité. J’ai connu le banc, les blessures, les bons moments… Ça endurcit. » Sur place, le natif de Braine-le-Comte, qui est aussi la ville de la famille Hazard, dont la famille Stassin est proche, a également fait comme toujours en se rapprochant des vieux du groupe, à commencer par Nacer Chadli, avec qui il est parti à Ibiza en vacances cet été. Il y a l’idée, ici, d’un mec de 19 ans qui préfère tuer le temps avec des pères de famille, à jouer aux cartes ou à regarder du foot, plutôt qu’à faire autre chose.

« La vraie différence qu’a apportée sa saison à Westerlo, selon moi, c’est ce qu’elle lui a offert sur le plan physique, analyse Jonas de Roeck, l’entraîneur d’Antwerp, qui a été le coach de Stassin à Westerlo lors des premiers mois et l’a connu à Anderlecht. On savait qu’il apporterait face au but, qu’il pouvait jouer avec une forte pression, mais son corps a fini de se former. Il s’est rempli. Avant, c’était un vrai maigre. S’il continue de mûrir là-dessus et s’il reste malin, intelligent, toujours dans la proposition de solutions, tout peut s’aligner et il peut réussir en Ligue 1. » Le foot a changé, le buteur a reculé, avec beaucoup plus de choses à faire. Lucas Stassin, lui, continue, pour le moment, de bûcher. Son apprentissage du foot français est en cours, lui qui se fait pas mal bousculer depuis son arrivée (seulement quatre tirs tentés en 300 minutes), mais qui use les défenses et affine de plus en plus les connexions au sein d’un effectif où il a été très vite responsabilisé. Trop vite ? Peut-être, mais le projet de l’ASSE le veut. « Il y a peu, on a regardé un Anderlecht-Westerlo ensemble et il m’a dit : “Purée, j’ai l’impression que les joueurs jouent en marchant”, se marre Stéphane Stassin. L’intensité de la Ligue 1, c’est différent, et c’est normal qu’il ait besoin d’un temps d’adaptation. » Le Belge tient cependant vite à réaliser un rêve : déclencher une « descente » derrière les buts de Geoffroy-Guichard, où il s’est promis, en cas de forfait, d’aller un jour pour s’immerger. En attendant, un derby, à Lyon, est à l’horizon. Un bon soir pour retrouver ce pourquoi Lucas Stassin a jusqu’ici réussi à monter les marches : les coups à flairer, le but, les filets qui tremblent. La vie de renard, quoi.

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Par Maxime Brigand

Tous propos recueillis par MB.

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