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Pogba, un roman mancunien
De sa première aventure avec Manchester United, on ne retient que son impatience irrépressible. L’intransigeance et la colère d’Alex Ferguson lors de son départ à l’été 2012, aussi. Mais il serait injuste de réduire à cela les trois années de Paul Pogba chez les Red Devils. En Angleterre, le Français a appris son métier, construit ses premiers souvenirs en tant que footballeur et claqué de jolies pralines. Retour vers le futur.
Il n’a fallu qu’une annonce laconique pour que les cœurs chavirent et que les chœurs de Manchester United vibrent enfin à l’unisson. « Pogba’s coming home, he’s coming home ! » , pouvait-on ainsi entendre aux abords de Wembley dimanche, quelques heures avant que les Red Devils ne s’adjugent le 21e Community Shield de leur histoire. Au terme d’un feuilleton qui a longtemps semblé interminable, Paul Pogba est retourné en grande pompe sur la terre de ses débuts. Au sein de sa « première famille » , comme il se plaisait à le rappeler il y a encore quelques semaines. Là où il s’était juré dans l’intimité, lors de son départ en 2012, de revenir avec un tout autre statut. Pour ouvrir de nouveaux chapitres, écrire une histoire différente de la première aux traits plus heurtés. « Je suis heureux de rejoindre United, c’est toujours un club qui a eu une place spéciale dans mon cœur, a-t-il soufflé lors de l’officialisation de son transfert. Je reviens à la maison, je suis juste heureux. Je n’ai pas fini ce que j’avais commencé ici » . Le temps est passé mais, il y a quatre ans, les desseins affichés par l’international tricolore étaient déjà tout aussi vertigineux : « Je veux être un grand joueur pour Manchester United et devenir ici une légende comme Éric Cantona » . Pogba is back. Toujours aussi affamé. L’heure d’accomplir sa destinée et ses ambitions est donc venue.
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— Manchester United (@ManUtd) 8 août 2016
Cœur rouge et allure désarticulée
La venue de « La Pioche » en terre mancunienne s’est dessinée à partir de l’automne 2008. Tunique de l’équipe de France des U16 sur le dos, le longiligne milieu du terrain appartenant au Havre profite du tournoi du Val-de-Marne pour faire succomber l’assistance présente. Parmi laquelle figure notamment l’un des recruteurs travaillant en étroite collaboration avec Manchester United. « Il avait une vraie première touche, la « first touch » comme on dit en Angleterre. Il se donnait du temps quand il recevait le ballon et c’est très compliqué quand tu es jeune car le jeu est très regroupé, il y a beaucoup de pressing, raconte celui-ci, l’air enjoué au moment de rembobiner le fil de cette histoire. Lui était capable de faire une première touche claire et limpide puis de t’ouvrir le jeu alors que d’autres ont besoin de plusieurs touches pour se mettre dans le sens du jeu. Il se dégageait tout de suite avec la tête levée, c’est une qualité fantastique » . Rapidement, le nom de Pogba est soufflé en personne à Sir Alex Ferguson qui donne son aval afin de nouer les premiers contacts. La famille est approchée, rapidement séduite aussi par l’attention personnelle portée au joueur.
« Je n’étais pas fervent des départs des jeunes pour l’étranger, surtout que la formation française est sans doute la meilleure du monde. Mais quand ça vient d’un club légendaire qui propose un projet sur-mesure piloté par Sir Alex Ferguson, on ne peut pas être insensible, se justifie Gaël Mahé, agent de Paul à l’époque. J’ai laissé le choix à Paul et à sa famille. Rester au Havre était une possibilité. Quel jeune aujourd’hui de seize ans peut rester indifférent à une offre du plus grand club du monde ? Paul a été séduit par le projet, il était déjà Mancunien » . Les tractations, rendues difficiles en raison de la situation du gamin avec son club formateur du Havre, suivent leur cours jusqu’à l’officialisation du deal fin juillet 2009. Si à l’époque Pogba étale de réelles qualités techniques, il doit surtout composer avec une allure dégingandée balle au pied à cause d’un corps récalcitrant. « À cette époque, Paul ne savait pas courir parce qu’il était en pleine croissance, se remémore le recruteur proche des Red Devils. Il courait un peu comme une girafe, en fait. Il n’avait pas de coordination dans ses gestes. Il avait de réels problèmes de motricité car il grandissait, grandissait… Lors de sa visite médicale à Manchester, j’étais présent et il mesurait 1m88 pour 70 kg. Je me rappelle que le docteur lui avait dit : « Tu vas faire presque 1m96, 1m97 » . Et le gamin pleurait en disant : « Je ne veux pas être grand comme ça, c’est trop grand ! » » Pour voir « La Pioche » étrenner sa nouvelle tunique, il faut toutefois attendre l’automne et l’autorisation provisoire de la FIFA concernant son transfert.
« Pogbinho » , caramels d’exception et l’idole Ravel Morrison
Le 10 octobre 2009, le Frenchy amorce officiellement sa romance mancunienne. Des premiers mois qui font avant tout office d’intégration au sein de l’effectif des U18 (sept buts en 21 matchs)… L’appréhension de son nouvel environnement acquise, Pogba ne tarde alors pas à faire étalage de toutes ses qualités. « J’ai eu l’occasion de le voir jouer avec les U18 et la réserve. C’est là qu’il a appris son métier comme tout Français en Angleterre, expose encore le scout.Il a vite chopé le truc. Je me souviens que les autres à l’entraînement l’appelaient Pogbinho(rires) » . Un surnom plus que légitime tant, du haut de son mètre quatre-vingt-onze, le milieu survole les débats. « Il était déjà très fort comme aujourd’hui, ça se voyait parce que c’était le meilleur d’entre nous, appuie Michele Fornasier, son ex-coéquipier en U18 et U21, aujourd’hui à Pescara. Il savait tout faire, il n’était pas meilleur que dans un seul domaine, il était le meilleur partout » . Et « Pogboom » le prouve dès qu’il en a l’occasion. En cultivant sa singularité à travers des gestes techniques fantasques ou des buts venus d’ailleurs. Comme face à West Bromwich, Portsmouth mais surtout Derby County, le 19 mars 2011, où il sidère même ses partenaires présents sur le terrain. « Il y avait trois ou quatre personnes autour de lui, se souvenait, en février 2015, son ancien compère Ryan Tunnicliffe. Il a fait parler son habileté pour se frayer un chemin alors que les espaces étaient réduits, puis a fouetté le ballon en pleine lucarne. Je me suis dit : « Wow, quel joueur ! » » Dans un environnement qui laisse une réelle chance aux talents de s’exprimer pleinement, Paul s’épanouit à titre personnel.
Mais Pogba ne se complaît pas dans l’esthétisme et s’élève comme l’un des fers de lance de son équipe. Aux côtés de Jesse Lingard, Tyler Blackett ou encore Sam Johnstone – toujours à United –, il participe à l’épopée victorieuse des Red Devils en FA Youth Cup lors de la campagne 2010-2011. À l’époque, l’ex-Havrais partage néanmoins l’affiche avec un autre phénomène. Un certain Ravel Morrison, considéré par Alex Ferguson comme le gamin ayant « possédé le plus de talent naturel parmi tous les jeunes que nous avons signés » mais dont la carrière s’est depuis enlisée. « Paul Pogba et Adnan Januzaj avaient l’habitude de l’observer et ils l’idolâtraient, révélait Rio Ferdinand en février dernier. Fergie a dit que Morrison était le meilleur gamin qu’il ait jamais vu, plus que Giggs ou qui que ce soit d’autre. Ce gamin était le messie » . Entre les deux joyaux, il a d’ailleurs souvent été question d’émulation saine où chacun cherchait à étonner l’autre, notamment techniquement. « Quand Ravel faisait quelque chose, alors Pogba faisait quelque chose et ainsi de suite, expliquait récemment Paul McGuinness, coach des U18 à United pendant onze ans (2005-2016). C’était devenu une compétition entre eux. Parfois, ils en abusaient d’ailleurs en faisant des gestes de grande classe parce qu’ils voulaient montrer qu’ils étaient les meilleurs. Certaines choses étaient incroyables » .
Paliers franchis et rupture définitive
C’est donc tout naturellement que les portes des U21 s’ouvrent en juillet 2011. Paul Pogba poursuit sa formation sous le regard très attentif de Ferguson qui, après l’avoir convoqué une première fois avec l’équipe première quelques mois plus tôt à l’occasion du cinquième tour de FA Cup (Crawley Town, 1-0 en février), assure publiquement qu’il lui donnera « l’opportunité de voir ce qu’il sait faire » lors de l’exercice à venir. « La Pioche » alterne entre la réserve et les pros, les adjoints du boss lui répétant à maintes reprises qu’il est « à deux doigts » d’avoir sa chance. Jusqu’à ce qu’une chance inouïe se présente à lui afin de se mettre en valeur. Le jour du Réveillon et du 70e anniversaire de Fergie, United reçoit Blackburn mais se présente avec un milieu de terrain décimé. Scholes a pris sa retraite depuis quelque temps, Fletcher squatte l’infirmerie et Carrick évolue en défense centrale. Mais la figure écossaise choisit d’opter pour Rafael, pourtant latéral droit, dans l’entrejeu plutôt que le Français. L’affront de trop qui scelle la fracture définitive entre les deux hommes et son futur départ. Malgré la déconvenue palpable, le gamin de Lagny-sur-Marne finit la saison avec brio dans les rangs des U21 en glanant quelques titres. La Premier League Reserve, la Lancashire Cup ainsi que la Manchester Senior Cup face à City, seulement quelques jours après le titre historique obtenu par la bande à Sergio Agüero. S’il honore en parallèle quatre apparitions sous le maillot mancunien en équipe première pour un total de 95 minutes disputées, la rupture est déjà consommée. Poussé par ses frères et séduit par le discours d’Antonio Conte, il signe en faveur de la Juve. Non sans avoir manifesté, au départ, des regrets quant à ce choix.
« Avant le dernier entretien avec Ferguson, il avait déjà signé pour la Juve, souffle le scout à l’origine de sa venue, qui a été dégoûté par sa fuite vers l’Italie. Mais sur la fin Paul avait pleuré et dit à Jim Ryan, l’un des responsables de l’académie, qu’il voulait revenir sur sa décision. David Gill, chief executive à l’époque, a tenté de rattraper le coup mais la Juve n’a rien voulu savoir » . Patrice Évra, aussi, tentera de le dissuader de partir. En vain. Cette expérience à Manchester n’enlèvera toutefois pas les souvenirs, tout comme l’apprentissage auprès des plus grands tel que Paul Scholes. Un modèle autant qu’une source d’inspiration pour l’international tricolore : « Scholesy, son pied, il était réglé. Il pouvait frapper dix fois, dix fois il mettait balle au même endroit » . À l’heure des retrouvailles, Wayne Rooney, déjà là lors de ses premiers émois, n’a lui pas oublié son fugace et brutal passage. « Il faisait partie de ces joueurs qui, lorsqu’on s’entraîne contre eux, vont vous faire mal d’une manière ou d’une autre, révélait le capitaine des Red Devils récemment. Un genou sur le côté, un tampon. Je ne pense pas que c’était son but mais c’est ce qu’il se passait. Il n’y avait même pas besoin de tacle. Il suffisait d’aller à côté de lui pour trouver un coude ou quelque chose d’un peu pointu. Je suis impatient de recommencer ! » Tout comme le peuple mancunien, impatient de voir Paul Pogba reprendre le fil d’une romance écourtée. En espérant qu’elle débouchera, cette fois, sur un happy ending.
Par Romain Duchâteau
Tous propos recueillis par RD, sauf ceux de Michele Fornasier par Giuliano Depasquale et ceux de Rio Ferdinand extraits du Daily Mail, Ryan Tunnicliffe de Four Four Two, Paul McGuinness de Sky Sports et Paul Pogba de So Foot