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Pogba, le miroir des Bleus
Longtemps blessé et pollué par une nouvelle saison compliquée en club, Paul Pogba entend respirer avec les Bleus et être dans la lignée de ses dernières prestations majuscules en sélection. Didier Deschamps n'attend que ça du miroir de son onze.
On l’a d’abord vu sortir d’une voiture, lundi, casquette « Almost Famous » sur le crâne, blouson Louis Vuitton sur le dos, lunettes de soleil sur le nez, bijoux brillants et sourire clinquant, laissant son « jumeau » Aurélien Tchouaméni tirer sa valise jusqu’aux marches du château de Clairefontaine. Puis, il a laissé Kylian Mbappé tomber dans ses bras avant de lui offrir, au cours de la séance d’entraînement du lendemain, une leçon pour « apprendre à défendre », alors que l’attaquant du PSG prenait l’eau au milieu d’un toro interminable. Entre ces deux moments, Paul Pogba, joueur qui ne s’ouvre que rarement sur ses pensées, est surtout sorti de son silence médiatique dans les colonnes du Figaro et s’est confié comme rarement.
Le numéro 6 des Bleus a ainsi évoqué tour à tour son plaisir de retrouver ses potes de l’équipe de France, le cambriolage dont il a été victime alors que Manchester United se faisait éjecter de la Ligue des champions par l’Atlético d’Antoine Griezmann, mais aussi les phases de dépression connues depuis le début de sa vie en crampons. Extrait : « Le football est le sport collectif le plus individuel. On est jugé tous les trois jours, on doit être bon tout le temps, alors qu’on a des soucis comme tout le monde, que ce soit avec nos partenaires, notre coach, dans notre vie de tous les jours… Forcément, tu vas le ressentir dans ton corps, dans ta tête, et tu peux avoir un mois, même une année, où tu n’es pas bien, mais il ne faut pas le dire. En tout cas publiquement. Tout est dans la tête, le mental contrôle tout, et tous les sportifs de haut niveau passent par ces moments-là, mais peu en parlent. » Un vieux sujet est également retombé sur la table : le fait qu’il existe un Paul rouge et un Pogba bleu. En 2022, peut-être plus que jamais.
La majuscule et les moments lunaires
« Je suis d’accord, a alors répondu l’international aux 89 sélections. En équipe de France, j’ai beaucoup plus de temps de jeu, le système est différent… En fait, c’est simple : chez les Bleus, je joue, et à mon poste. Je connais mon rôle, je ressens la confiance du coach, des joueurs. C’est plus dur d’être régulier quand tu changes souvent de poste, de système de jeu, de partenaires. (…) À Manchester United, est-ce que j’ai vraiment un rôle ? Je pose la question et je n’ai pas la réponse. » Avec les Bleus, on sait : lorsque Paul Pogba est sur la pelouse, on ne voit souvent que lui. Le Mancunien est un objet de fascination depuis le début de sa carrière, un joueur parfois difficile à saisir, mais qui sait sortir ses habits de lumière du dressing lorsque l’événement le demande. Avant l’Euro 2016, il faut se souvenir qu’il ne rêvait que d’une chose : « Tout faire parce que je pense que je peux tout faire et que l’entraîneur dit que je peux tout faire. J’ai envie de créer quelque chose, de créer le nouveau milieu de terrain. » Avec le temps, en choisissant d’avancer sans étiquette, Pogba a réussi son pari, mais cela lui a sûrement coûté, entre autres, dans sa vie en club. Pas en sélection, où il a progressivement construit sa plate-forme. Au Mondial 2018, le sacre était ainsi venu récompenser le jeu de transition des Bleus, où l’ancien joueur de la Juventus était la majuscule, Griezmann la phrase et Mbappé le point final. Lors du dernier Euro, on a retrouvé par séquences, notamment face à l’Allemagne, certains de ces éléments, et la Pioche est redevenu le tremplin indéfinissable du jeu français. Même chose lors de la récente phase finale de la Ligue des nations en Italie où, dans un nouveau système, Paul Pogba, l’une des oreilles préférées de Deschamps, a laissé derrière lui plusieurs moments lunaires et a confirmé son statut de patron.
Miroir pour ses coéquipiers
Tous ces moments sur les hauteurs du football international ont surtout un point commun : ils semblent faire passer le chef des Bleus dans un extracteur de jus pour n’en garder que le meilleur. Pogba y joue simple et n’y est jamais aussi dangereux pour les adversaires croisés par l’équipe de France. Il semble surtout être le miroir dans lequel ses coéquipiers se regardent : son influence sur le comportement général du onze a de nouveau pu être mesuré ces derniers mois, et les matchs face à la Belgique, à l’Allemagne, à la Suisse ou à l’Espagne en sont des preuves parfaites. À chaque fois, c’est le joueur de Manchester United qui a fait grimper l’intensité et l’agressivité d’un cran, mais c’est aussi lui qui a été, bien protégé par N’Golo Kanté ou Aurélien Tchouaméni, la source de la majorité des mouvements offensifs tricolores dans une animation avec ballon qui laisse ensuite Griezmann, Benzema et Mbappé vivre main dans la main dans des espaces réduits. Problème : lorsque l’enjeu baisse d’un cran, Pogba suit souvent, décrochant alors à l’excès, multipliant les touches de balle et imprimant sur les rencontres un rythme plutôt lent.
Chez les Bleus, le numéro 6, baladé entre les masques dans son club, a ce souci d’être contagieux, que ce soit dans le bon comme dans le moins bon, mais ses récentes performances vont dans un sens plus positif. Son match contre la Finlande début septembre, où il a accepté de donner dans l’efficace plutôt que de chercher à tout prix à allumer les bougies via des gestes parfaits, a ainsi été un modèle (17 ballons récupérés, un jeu long aussi précis que mesuré, plusieurs dribbles réussis…) et a de nouveau prouvé que lorsqu’il conserve sa discipline tout en ne rangeant pas totalement son génie, peu de milieux peuvent regarder Paul Pogba dans les yeux. Il doit être à la fois un chef équilibriste et un as du déséquilibre, ce qu’il n’a pas forcément su être sur la durée lors du dernier Euro. C’est cette version que Didier Deschamps entend emmener dans son nouveau schéma jusqu’au Qatar, et pour briller, on sait que les Bleus ne pourront pas rouler sans un grand Pogba, « leader expressif » (Deschamps) qui ne peut faire profiter à un collectif de ses idées que lorsqu’on le place au centre du cadre. La chaleur de l’événement fera le reste.
Par Maxime Brigand