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Pogba : Au-delà de ce que l’on ne sait pas
L’affaire Pogba monopolise l’actualité à quelques jours de la rentrée. Son écho fait trembler les murs bien au-delà du petit monde du ballon rond. Personne ne connaît véritablement les tenants et les aboutissants de ce qui semble être une sordide histoire d’extorsion et de chantage. Pourtant, tout le monde en parle. Tout simplement parce que le foot s’avère bien plus qu’un sport..
Le souffle court, de nombreux journalistes doivent avoir les yeux rivés sur les divers réseaux sociaux de Mathias Pogba, en attendant que les fameuses révélations arrivent, les audios accusateurs, les preuves ou les noms (s’ils finissent par arriver). Pour le moment, à part quelques fuites de l’audition de Paul Pogba révélées par FranceInfo et des allusions elliptiques distillées par son grand frère, rien de solide pour se faire une opinion ou du moins donner un avis juridiquement irréprochable. La police enquête. Les communiqués répondent aux posts Instagram ou Tik-Tok. Et sur les plateaux télé, on glose sur ce que l’on croit deviner derrière chaque mot. On tremble aussi pour les Bleus avant la Coupe du monde au Qatar. Et surtout on élargit le débat.
L’engrenage de l’entourage
L’aspect peut-être le plus intéressant, faute de faits avérés ou de pouvoir confronter les versions, réside dans le fait que l’affaire Pogba a très vite (re)lancé le débat sur les fameux entourages des joueurs. Une inquiétude qu’Antoine Kambouaré, entraîneur de Nantes, a notamment exprimé en conférence de presse. Il existe évidemment des précédents. Le plus connu reste le chantage à la sextape subi par Mathieu Valbuena et le rôle trouble joué par Karim Benzema, via un « ami proche » , qui lui-même connaissait « des gens » . Les stars à crampons issues des « quartiers » et généralement de l’immigration semblent plus facilement se prêter à ce genre d’amalgame, entre fantasmes version Bac Nord et rumeurs de vestiaires.
Des pressions « amicales » , des balades dans le coffre d’une voiture, des membres de la famille qui très vite veulent vivre du talent du jeune prometteur puis de la star confirmée. Les anecdotes remplissent les papiers et les échanges devant les caméras, personne ne pouvant évidemment révéler les noms de tel ou tel Bleu concerné. On bascule rapidement de situations particulières, et souvent réelles, à des généralités, au procès d’un « milieu » d’origine, voire des « mauvaises familles » sans scrupules. La démagogie peut vite alors basculer vers d’autres pentes qui alimentent aujourd’hui le monde politique. Au passage avant de sourire de l’exotisme, et donc de la « crédulité africaine » , du recours à un marabout, il serait peut-être bon de rappeler le chiffre d’affaires de l’astrologie en France, et sa clientèle qui se recrute jusque dans les CSP+ et les artistes de renom…
Souriez, vous êtes clichés
Le point le plus amusant demeure la dénonciation du « trop d’argent dans le foot » . Évidemment personne ne va cibler les clubs et leur montage financier, la LFP et ses contrats avec des fonds de pension ou sa course effrénée aux droits télé. On pointe les salaires faramineux des joueurs, de plus en plus jeunes, des pères ou mères qui soutirent de l’argent à de pauvres agents déboussolés, des directions confrontées aux exigences indécentes de leurs salariés « tout puissants » . Et qui donc en retour se trouvent confrontés à la rapacité de leurs proches, plus ou moins respectables. Vous savez, « chez ces gens-là » . Derrière cette vision tient toujours l’idée que l’ascension sociale par le football, surtout des jeunes des cités, reste suspecte, presque illégitime, comme si aider ses proches et sa famille s’avérait propre et uniquement une pratique des milieux populaires. Une fois encore, Paul Pogba a sûrement vécu des événements dramatiques et illégaux. Mais ce fait divers va sûrement, à l’instar de ce qu’a vécu Karim Benzema, mobiliser et agiter dans la société bien d’autres enjeux qui dépasseront les protagonistes. Parce que le foot constitue désormais bien plus qu’un sport, et les Bleus bien davantage qu’une simple sélection nationale…
Par Nicolas Kssis-Martov