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Pochettino, l’enfant de Murphy

Par Georges Quirino-Chaves, à Buenos Aires
Pochettino, l’enfant de Murphy

Même si sa carrière de joueur puis d’entraîneur l’ont peu à peu éloigné de ses racines, Mauricio Pochettino est resté très attaché à son Murphy natal. Un village de près de 4000 habitants planté au milieu des terres les plus fertiles d’Argentine à 150km au sud-ouest de Rosario. Là-bas, dit-on, « les footballeurs poussent autant que le soja » et le nouveau coach du PSG y est un héros surnommé le « petit lapin ».

Il ne s’était certainement jamais autant confié dans un entretien. C’était en mai dernier en plein cœur de la première vague de coronavirus. Depuis six mois et son éviction des Spurs, Mauricio Pochettino est au chômage. Confiné dans son domicile londonien, l’ancien défenseur s’occupe en revisionnant de vieux matchs avec ses fils, dont le légendaire Boca-Newell’s du 9 juillet 1991. Ce jour-là, dans une Bombonera surchauffée, la bande à Bielsa remporte le titre national au terme d’une bataille physique immortalisée par l’image du maillot rouge et noir fendu en deux du numéro 6 alors âgé de 19 ans : Pochettino. Ce retour vers le passé, l’ex-technicien de Tottenham le savoure en ce printemps pandémique.

Entretien vérité

De fait, sa parole est rare et recherchée par la presse. Mais celui qui lui fait parvenir une demande d’interview en cet après-midi anglais ensoleillé n’est pas un journaliste comme les autres. Il ne travaille pas au Guardian, ni au quotidien argentin La Nación. Loin de là. L’homme qui décroche le précieux entretien s’appelle Norberto Maco Caffa. Il a 65 ans et il est vétérinaire. C’est lui qui a fini par convaincre Pochettino de créer un compte Instagram. L’entrevue en live est prévue sur le réseau social. « J’ai mis trente minutes à comprendre comment me connecter ! » se marre l’ancien international albiceleste lorsque son visage apparaît enfin. L’échange est chaleureux. C’est une discussion entre vieux amis. Pendant deux heures et demie entrecoupées de trois déconnexions, « Mauri », comme l’appelle Maco, rembobine sa carrière et sa vie sans regarder sa montre. Depuis ce qui ressemble à un bureau-cuisine, l’intervieweur aux faux airs de Michel Sapin écoute et relance, toujours avec bienveillance : « Quand je te regarde, je revois le Conejito (le petit lapin) que j’ai toujours connu ! »

Cet entretien exclusif, dont certaines parties seront mêmes reprises par des sites anglais et argentins, est proposé par un support quasi anonyme : Pasion Celeste Murphy, le média du club du village natal de Mauricio Pochettino. « Merci de m’avoir contacté, Maco. Cela m’a permis, après tant d’années, de pouvoir parler aux gens que je n’ai pas pu revoir », conclut Poche, un peu ému, mais visiblement heureux : « C’est une grande responsabilité pour moi de vous représenter dans le monde entier. Mes origines sont toujours dans mon cœur, mon corps et mon esprit. »

Nous étions supporters de l’Espanyol, de Southampton puis de Tottenham. Maintenant on est tous pour le PSG.

Ambassadeurs du bon football

Au milieu de la pampa argentine, à 150km au sud de Rosario, l’actuel maillot extérieur du Paris Saint-Germain flotte au vent, accroché au panneau d’une vieille gare ferroviaire. C’est ici, il y a 110 ans, qu’a été fondée la commune de Murphy, prononcé « Mourpi » par les locaux, certainement pour ne pas confondre avec Eddie. En ce 2 janvier 2021, ce village de près de 4000 âmes perdu au milieu des champs de céréales et de soja célèbre la nomination de son fils préféré sur le banc parisien. « Nous étions supporters de l’Espanyol, de Southampton puis de Tottenham. Maintenant on est tous pour le PSG », s’enthousiasme Marcelo Camussoni, le maire d’une localité qui, comme toute la province de Santa Fe, dépend depuis toujours de son abondante production agricole. Les fertiles terres murphenses ont une autre vertu qui fait la fierté de ses habitants et s’affiche en grand sur un panneau à l’entrée du patelin : « Murphy, Ambassadeurs du bon football. »

Ici, rappelle la pancarte, sont nés douze joueurs qui ont évolué en première division. Un miracle. De David Bisconti, attaquant de Rosario Central et international argentin au début des années 1990 à Paulo Gazzaniga, gardien de but à Tottenham en passant par Claudio Pochettino, un cousin éloigné, et évidemment Mauricio. « Un gamin simple, honnête, respectueux et bosseur. Comme tous les Pochettino. », répètent en chœur les résidents du coin. Son enfance, le jeune Mauri la passe dans les champs, souvent à cheval, pour aider son père Hector à travailler la terre et récupérer les récoltes. C’est lui, ancien gardien de but amateur, qui lui transmet le virus du ballon et son amour pour son club de cœur : le Racing Club de Avellaneda. Quand il ne donne pas un coup de main au paternel, le gamin déboule à vélo dans les rues de Murphy pour aller taper le cuir avec ses potes ou pour se rendre au Centro Recreativo Unión y Cultura, à la fois son école et le seul club du village qui propose la pratique du football. Dans l’institution, tout le monde l’identifie encore comme le Conejito, son surnom depuis les années 1980. « On l’a baptisé comme ça pour les traits de son visage. Il a les mêmes que sa maman Amalia. Il ressemble à un petit lapin, non ? » demande Maco Caffa qui, en plus d’être véto et journaliste, a aussi été joueur, éducateur et dirigeant de la Celeste de Murphy, l’autre appellation du club.

« Ce type est destiné à autre chose »

Sur les photos de l’époque, jaunies, mais précieusement conservées, l’adolescent Pochettino se démarque déjà au milieu de ses coéquipiers. Il a 11 ans et mesure une tête de plus que tout le monde. « Il a plusieurs fois dû montrer sa carte d’identité dans les tournois pour prouver son âge. Les organisateurs n’arrivaient pas à le croire. Ils pensaient qu’il falsifiait ses papiers ! » se souvient le sexagénaire. En plus de son physique, le fils d’Hector a déjà une mentalité de leader.

Depuis son arrivée au club à 7 ans, il porte le brassard de capitaine de sa génération née en 1972. « Avec son caractère, il s’imposait naturellement », assure Gustavo Spazio dit El Pato (le canard), un de ses meilleurs amis d’enfance. Ensemble, ils ont partagé les bancs de l’école provinciale n°670, les conneries de gamin et le maillot local, bleu ciel et blanc : « Dès qu’il fallait aller parler à l’arbitre ou dire un truc à un joueur, c’est toujours lui qui allait au front. Il prenait ses responsabilités, parlait de manière simple, respectueuse, mais il était ferme. C’est plus ou moins ce qu’il montre aujourd’hui en tant que coach. »

Dès qu’il fallait aller parler à l’arbitre ou dire un truc à un joueur, c’est toujours lui qui allait au front.

Si le jeune Pochettino se fait respecter sur le terrain, c’est avant tout parce que ses qualités footballistiques impressionnent. L’équipe tourne autour de lui. La plupart du temps, le crack évolue au milieu de terrain en position de « cinco ». Quand sa formation mène, l’entraîneur assure et le fait reculer en défense. Quand elle perd, Conejito mène l’offensive avec Pato. « Sur dix buts, nous, on devait en mettre un, et lui, il plantait tous les autres ! » se rappelle ce dernier. À 13 ans, Mauricio survole tellement qu’il est régulièrement invité à s’entraîner le soir avec l’équipe première. Il y retrouve son frère Javier, de six ans son aîné, un défenseur rugueux testé, mais non retenu par River Plate. Les Pochettino commencent à jouer ensemble les matchs les plus chauds de la région.

À Murphy, personne n’a oublié ce Clásico disputé à Santa Isabel contre General Belgrano, le grand rival du coin. La police avait fini par ouvrir le feu, sans faire de blessés, pour disperser une bataille rangée entre supporters des deux équipes. « J’étais sur le terrain et j’ai vu mon père et mon grand-père Reinaldo au milieu de tout ça en tribunes », se souvenait Pochettino en mai dernier : « Par la suite, mon grand-père m’a expliqué qu’il avait mis une gauche à un type et qu’ensuite tout s’est compliqué. (Rires.) » Le Pato Spazio, lui, commence déjà à suivre son pote en spectateur, fasciné de le voir s’imposer au milieu de joueurs qui ont parfois 30 ou 35 ans : « Même si c’était une ligue amateur, il faut comprendre que ça jouait très physique. À l’époque, les rencontres dans le « campo » étaient rudes, parfois brutales. C’est moins le cas aujourd’hui. Voir Mauricio dans ces oppositions, c’était hallucinant. Un jour, l’entraîneur l’a placé en numéro 9 pour un match très difficile. Murphy a gagné 2-0. Il a marqué les deux buts. Je me rappelle m’être dit : ce type est destiné à autre chose. »

Un jour, l’entraîneur l’a placé en numéro 9 pour un match très difficile. Murphy a gagné 2-0. Il a marqué les deux buts. Je me rappelle m’être dit : ce type est destiné à autre chose.

Un discours de maire

Le destin, peut-être, convoque un soir, à une heure du matin, Marcelo Bielsa et Jorge Griffa à découvrir les « jambes d’éléphant » du petit lapin qui pionçait tranquillement dans son lit. Suffisant pour convaincre ces deux fous de l’enrôler à Newell’s Old Boys. Le début d’une grande aventure que les Murphenses vont, à partir de ce moment-là, suivre de loin, mais assidument. Les Pochettino restent. Mauri, lui, ne peut plus venir que par intermittence en raison de sa carrière en Europe. Celui qui est devenu « le Sheriff » à Barcelone repassera tout de même par son village pour offrir à ses amis de la génération 1972 des maillots de l’Espanyol. Cette tunique catalane, le Pato et ses coéquipiers vont la porter toute la saison avec l’équipe première du Centro Recreativo Unión y Cultura. Ils termineront champions cette année-là.

Lorsqu’il est revenu à Murphy en décembre 2019, Mauricio Pochettino ne s’y était plus rendu depuis près de huit ans. Mais sa présence, elle, était restée permanente dans la petite commune. La finale de la Ligue des champions entre Tottenham et Liverpool ? Suivie au siège des Celestes comme une Coupe du monde sur écran géant. Lors de son dernier passage au village, c’est surtout aux gamins du club que l’ancien défenseur voulait parler.

Vous êtes là, assis à me regarder. Pensez qu’il y a longtemps, j’ai été à votre place. Je me disais qu’un jour, je pourrais atteindre mon rêve.

Ahuris de voir en chair et en os l’idole qu’il n’avait vue qu’à la télé ou entendue parler via leurs parents, les jeunes joueurs écoutent religieusement celui qui vient tout juste d’être viré des Spurs. Un peu ému, il évoque l’importance du travail, du respect et de la prise de responsabilité : « Vous êtes là, assis à me regarder. Pensez qu’il y a longtemps, j’ai été à votre place. Je me disais qu’un jour, je pourrais atteindre mon rêve. Grâce à mes efforts, j’y suis arrivé. Si vous y mettez tout votre amour et votre passion, dans quelques années, c’est vous qui parlerez aux futures générations. »

Le seigneur

Sur la pelouse du stade, le maire du patelin, Marcelo Camussoni, assiste au speech de celui avec qui il a grandi : « Ce jour-là, il a parlé avec tous les gens qu’il croisait dans la rue. Il n’a jamais oublié ses origines. Il se rappelle ou parle toujours de nous. Mauricio, je le donne en exemple dans tous les endroits où je me rends. Je dis ça pour son honnêteté, sa bonne conduite et la façon dont il s’est construit avec son propre mérite. Il est dans le football ce que j’aimerais que n’importe quelle personne soit dans son travail : un policier, un professeur ou un politique. Pour moi, c’est un seigneur. »

En cette fin d’année 2019, Maco Caffa, le journaliste-vétérinaire, avait pu apprécier un asado « en toute simplicité » avec son « ami Mauri » et ses proches. Aujourd’hui, l’homme de 65 ans est un peu fâché. Du moins, c’est ce qu’il a voulu faire croire au nouveau coach parisien récemment. Lors de leur entretien en direct sur Instagram en mai dernier, il avait fait promettre à son « Conejito adoré » que l’annonce de son nouveau contrat se ferait en exclusivité sur Pasion Murphy Celeste. Ça ne s’est pas fait. Pochettino s’en est excusé par téléphone. La conversation s’est poursuivie dans un éclat de rire. Maco continue de lui envoyer des messages régulièrement. La dernière fois, c’était après la victoire du PSG contre Brest 3-0 le 9 janvier dernier, le premier succès du fils d’Hector sur le banc parisien : « Je lui ai dit : « J’ai vu le match. J’ai bien aimé la façon de jouer de Di María et Mbappé. Sois tranquille parce que tu vas bien travailler et vous allez gagner la Ligue des champions. » Il doit être très occupé parce qu’il ne m’a pas encore répondu. Quand j’aurai sa réponse, je vous préviendrai ! »

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Par Georges Quirino-Chaves, à Buenos Aires

Tous propos recueillis par GQC, sauf mentions

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