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Pochettino, grosse tête et petite poche

Par Maxime Brigand
7 minutes
Pochettino, grosse tête et petite poche

Il y a vingt-neuf ans, Marcelo Bielsa sortait de son lit Mauricio Pochettino pour l'embarquer avec lui à Rosario. C'était en 1987, bien avant que l'ancien élève ne révolutionne le foot anglais par ses idéaux et n'amène Tottenham aux portes d'un éventuel premier titre de champion depuis 1961. En se servant des bases du travail de Bielsa pour l'adapter à sa façon. Sur un tableau noir et avec la mèche parfaite en plus.

D’un côté, une Fiat 147 modèle 1985. De l’autre, posée sur la table d’un bureau de Rosario, une carte. Pour tout prévoir, tout contrôler, signe du caractère carré d’un homme poussé à son paroxysme. Au centre du plan, des zones définies par des traits fins. Il y en a soixante-dix pour couvrir 25 000 kilomètres. Au total, le voyage se décompose en cinq étapes de 5 000 kilomètres chacune. À chaque arrêt, à chaque village, le même rituel : rencontrer le meilleur observateur en matière de football du coin. Sur la RN 33, au cœur de la province de Santa Fe, le village de Murphy et ses quelque trois mille habitants. La scène se déroule en 1987. Marcelo Bielsa, alors élève de Jorge Griffa au sein de l’académie de Newell’s Old Boys, vient d’entamer un périple initiatique à travers l’Argentine pour dénicher de jeunes joueurs et leur éviter de rejoindre les grands clubs de Buenos Aires. L’autre objectif est de griller le voisin détesté de Rosario Central, institution dont le père de Marcelo, Rafael, est supporter. L’hiver est costaud, il fait froid, mais Bielsa sait ce qu’il veut et est prêt à tout faire pour l’avoir, avec le rêve assumé de reprendre l’équipe première des Leprosos quelques années plus tard, derrière José Yudica.

Les jambes et la ligne

La Fiat 147 de Bielsa et Griffa débarque dans la province de Santa Fe, et les deux hommes assistent avec attention aux interminables picados à travers les villages de la région.

Bielsa et Griffa ont demandé s’ils pouvaient me voir. Moi, j’étais en train de dormir. Mon père les a emmenés dans ma chambre et Bielsa a demandé à voir mes jambes. Il a regardé et a dit : « Quelles jambes de footballeur ! »

Pendant ce temps-là, Mauricio Pochettino, 13 ans, passe ses journées entre les bancs de l’école et le foot dans les rues de Murphy. Il ne peut passer sous l’œil de Bielsa jusqu’à ce que l’un de ses entraîneurs ne le recommande à celui qui est à l’époque surnommé El Cabezon, soit la grosse tête. Pochettino est alors considéré comme le meilleur gamin de la zone. Bielsa et Jorge Griffa grimpent alors en voiture, s’enfilent 200 kilomètres en pleine nuit et débarquent à Murphy à deux heures du matin. Dans l’une des rares interviews qu’il a données, il y a quelques années, Mauricio Pochettino raconte l’épisode au journal espagnol El Mundo : « Dans un premier temps, ma mère ne voulait pas ouvrir la porte, et finalement, mon père leur a offert un café. Ils ont demandé s’ils pouvaient me voir. Moi, j’étais en train de dormir. Mon père les a emmenés dans ma chambre, et Bielsa a demandé à voir mes jambes. Il a regardé et a dit :« Quelles jambes de footballeur ! » » Quelques mois plus tard, Pochettino débarque à Rosario, et Bielsa a réussi son pari : le petit Mauricio n’a pas signé à Rosario Central.

C’était il y a 29 ans et l’histoire a écrit une partie de la légende de Bielsa. Mais aussi un prologue de celle de Mauricio Pochettino. Car au début des années 90, les deux hommes, Marcelo Bielsa sur le banc de l’équipe première et Pochettino en défense centrale avec Fernando Gamboa, remporteront un titre de champion d’Argentine en 1991 et un tournoi de clôture en 1992. Le tout avec une équipe de cannibales affamée de titres et libérée par la folie de son entraîneur. Il y a quelques semaines, celui qui est aujourd’hui entraîneur de Tottenham et qui rêve doucement d’un titre de champion d’Angleterre en mai prochain est revenu sur cette période : « Quand on a remporté ces titres, et quand on a atteint la finale de la Copa Libertadores (en 1992, face au São Paulo de Rai et Cafu, ndlr), on était une équipe similaire à celle que j’ai aujourd’hui. Que ce soit en matière de moyenne d’âges ou sur le plan de la balance entre jeunesse et expérience de mon effectif. On avait de très bons jeunes à l’époque – comme moi – et des mecs de grande expérience. Une balance identique, un projet identique. » Voilà où en est aujourd’hui Pochettino, après dix-huit années passées sur les pelouses entre Newell’s, la France et l’Espagne. Comme son maître, le jeune Mauricio est passé de l’autre côté de la ligne. « Déjà quand il était joueur, il aimait parler tactique avec moi, confie son ancien entraîneur Luis Fernandez*. Il était toujours dans l’analyse, la discussion et travailler avec des joueurs comme ça, c’est un plaisir. Il a puisé dans tous les coachs qu’il a rencontrés au cours de sa carrière et a construit un staff solide qui le suit partout. C’est sa force, avec son calme naturel. »

La révolution du 9

Il le sait et l’assume, la comparaison avec Marcelo Bielsa est naturelle.

Certaines personnes disent que je suis bielsista, mais je pense avoir développé mes propres caractéristiques et mon propre style de jeu.

« Certaines personnes disent que je suis bielsista, mais je pense avoir développé mes propres caractéristiques et mon propre style de jeu. On est similaires sur certains points, mais complètement différents sur d’autres, même si je ne peux pas nier qu’il m’a inspiré » , avait expliqué il y a quelques années le coach des Spurs, qui a débuté sa carrière de coach en 2008 auprès de l’équipe féminine de l’Espanyol, à Barcelone. Depuis, le refrain est identique, en Catalogne, à Southampton et aujourd’hui à Londres, Pochettino a doucement amené une certaine conception du football. Sa conception, ses idéaux et sa marque de fabrique, notamment au cœur d’un football anglais qui avait besoin d’un certain renouveau. Le gosse de Murphy a gardé de Bielsa le mouvement perpétuel, la condition physique optimale et le dépassement mental. Il a installé une défense à quatre plutôt qu’une défense à trois chère à l’ancien coach de l’OM et a surtout réinventé le rôle de l’attaquant de pointe. Il suffit de poser son regard sur le jeu de Kane ou de se repasser les bandes du Rickie Lambert de Southampton pour le voir. Sur le tableau, Pochettino installe un 4-2-3-1 qui, en phase offensive, se déforme en un 4-2-4 assez net où l’attaquant de pointe décroche en permanence pour installer le mouvement et libérer les ailiers que l’entraîneur argentin affectionne particulièrement. Que ce soit Chadli et Lamela à Tottenham, ou Lallana, Davis et Ward-Prowse chez les Saints, hier.

Là est toute la différence du football à la Pochettino qui tourne autour d’un pressing haut, intense et qui commence « au gardien adverse, là où Klopp le démarre sur un bloc médian étouffant » , comme il l’avait expliqué peu avant la rencontre entre Tottenham et Liverpool en octobre dernier. Mauricio Pochettino accepte la patience, l’attente et la construction, loin du style heavy metal dicté par le technicien allemand. Avec pour clé de la réussite des ailiers, décisifs dans la dernière passe, là où l’ancien entraîneur de Dortmund favorise la technique et la vivacité. Au fil des années, Mauricio Pochettino est devenu un mix où il favorise la jeunesse dans un onze type où le joueur le plus âgé est Hugo Lloris (29 ans). « C’est un sujet récurrent dans le football. On veut essayer de montrer que l’on peut réussir avec des jeunes joueurs, de bons jeunes qui ont la bonne mentalité et la faim du jeu » , détaillait Pochettino il y a peu. C’est le dernier aspect de sa conception du foot. Car sur ce point, il y a du Bielsa dans l’ancien joueur du PSG qui « passe une bonne partie de ses semaines à observer les catégories de jeunes de l’académie desSpurs » . L’œil et la méthode donc, comme le raconta en 2014 au Guardian Pablo Osvaldo, qui a connu Pochettino à l’Espanyol et à Southampton : « Il vous fait souffrir comme un chien. Sur le moment, vous le détestez comme vous n’avez jamais détesté personne, mais le dimanche, vous le remerciez, car ça marche. » Petite poche est devenu grande.

*L’autobiographie de Luis Fernandez, Luis, est actuellement en librairie aux éditions Hugo Sport.

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