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- Rachat de l'OM
Plus belle la vente, épisode 2
La vente de l'OM semble être chose faite, et quelques poignées de main avec un Américain dans un hôtel et une conférence de presse tapageuse avec le maire auront donc suffi pour mettre un terme au roman. Vraiment ? « On n'est vraiment rien sans elle, qu'on soit noir ou blanc. Si on tend la main pour elle, la vente est plus belle... » C'est l'épisode 2.
Starring :
La Reine Marga’ – Margarita Louis-DreyfusLe Forain – Gérard Lopez
Hollywood Frank – Frank McCourtL’Éternel – Jean-Claude Gaudin
Loco ‘Celo – Marcelo BielsaCoach K-rter – Kyril Louis-Dreyfus
Le Turfeur d’argent – Jacques-Henri EyraudDon Vincenzo – Vincent Labrune
La Dominiquette – La femme de ménage
Dans les épisodes précédents :
« Ho ! Ho ! Allez, dans ta cage ! Non, pas par là ! » Un coup de fouet résonne soudain dans l’air. Vif, sec, et qui vient claquer à quelques centimètres des fesses du tigre récalcitrant. Avec la démarche fatiguée et l’œil terne des grands animaux abîmés par une vie de captivité, le félin se faufile difficilement dans sa cage trop petite. Finalement allongé dans une paille de mauvaise qualité, il contemple de son regard triste ce terrain vague de la périphérie marseillaise qui lui servira de domicile ce soir. Assommé par le soleil, le Forain peut enfin essuyer son visage ruisselant de sueur. Et dire qu’il y a encore une semaine, tout le monde en ville le prenait pour le libérateur. Il se voyait déjà parader sur le Vieux-Port avec le torse bombé, chemise ouverte jusqu’au milieu du torse. Son mois d’août 1944 à lui. En bon forain qu’il est, il avait toujours su magouiller, profiter des zones d’ombre, et se donner à fond dans la roublardise. Son spectacle miteux, avec son tigre maigre et maladif, son clown dépressif et alcoolique, ses quelques numéros de jonglage à peine dignes de mendiants de feux rouges et ses jeux truqués pour soutirer des pièces aux gogos, voilà quelques années qu’il le trimbalait aux quatre coins de la France.
Calcul diabolique de Perdican
Dans chaque ville dans laquelle il passait, c’était le même manège. Il montait dans sa Citroën ZX année 1997, allumait son haut-parleur, et paradait dans les rues en hurlant dans le micro, l’enceinte trop vieille posée sur le toit vomissant sa voix rauque : « Le grand cirque Lopez est arrivé ! Des fauves, du feu, du fou ! Lopez, le cirque qui pèse, c’est ce soir à 20 heures, juste après le sens giratoire du Leroy-Merlin. » Il s’estimait heureux quand il jouait devant plus de vingt personnes, et que son chamboule-tout impossible à briser et son stand de fusils à air comprimé truqués lui rapportaient de quoi payer l’essence pour la prochaine étape. Alors forcément, en arrivant à Marseille, il avait senti le créneau. Le coup d’une vie, le casse du siècle. Tout avait démarré lorsque le Forain avait feuilleté un numéro de La Provence qui traînait sur le zinc de ce bar glauque dans lequel il s’était arrêté prendre une mauresque. Partout, il n’était question que de la vente de l’OM. Un chef-d’œuvre de situation inextricable, un sac de nœuds sans nom, avec un tel nombre de charlatans au mètre carré qu’il n’y avait aucune raison pour qu’il n’y trouve pas sa place. Alors il avait tenté sa chance, au culot, à l’audace, en se présentant sous les fenêtres de la Reine Marga’ pour lui chanter sa sérénade.
Le Forain l’avait lu quelque part, il ne savait plus où, mais les étudiantes Erasmus adoraient quand leurs jeunes amants français leur faisaient la cour en récitant quelques vers. Alors le Forain avait potassé, et s’était permis de ressortir la déclaration de Perdican à Rosette dans On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred de Musset. Un des plus gros mensonges de l’histoire du théâtre, un calcul diabolique de Perdican qui n’avait pas le moindre sentiment pour la pauvre Rosette dont il s’est servi par stratégie, et qui conduira finalement la jeune fille à la mort. Le plan parfait, en somme. « Sais-tu ce que c’est que l’amour, Marga’ ? Écoute ! Le vent se tait ; la pluie du matin roule en perles sur les feuilles séchées que le soleil ranime. Par la lumière du ciel, par le soleil que voilà, je t’aime! Tu veux bien de moi, n’est-ce pas ? » Après avoir terminé de lire l’antisèche qu’il avait écrite sur sa main pour ne pas se planter, le Forain avait ajouté la partie du poème écrite de sa main : « J’arrive avec Loco ‘Celo, et plusieurs joueurs ! » La presse locale avait chaviré, et avait supposé que la Reine Marga’, fatiguée par les SMS des dragueurs lourds qu’elle avait reçu depuis le début de l’été, avait fait de même. C’était mal la connaître. En cette fin d’été étouffante, elle avait trouvé assez d’énergie pour démentir fermement la romance, en expliquant que le Forain n’était pas dans la course.
Et la meilleure manière d’écarter un amoureux éconduit étant de mettre en photo de profil un cliché de soi-même accompagné de son nouveau flirt, la Reine Marga’ n’avait mis que quelques jours avant d’annoncer qu’elle s’était dégoté un amant américain. Toujours planté devant la cage de son tigre, le Forain fixait les pages des journaux consacrées à la nouvelle étalées par terre, dans l’enclos. Furieux, il s’en était servi comme de litière pour que sa bête fasse ses besoins dessus. Et ça ne le consolait qu’à peine.
L’épisode du jour :
Le fauteuil de l’Éternel n’est pas un fauteuil, c’est un trône. Et sur son visage vieux, mais jamais fatigué, se dessine une joie impossible à dissimuler. La Reine Marga’ trouvait la scène incroyable. Cet homme qui avait tout vu, tout entendu, tout vécu, en une vie entière de combats politiques dans la ville la plus folle du pays, trouvait encore des sources d’émerveillement. En fixant vaguement le buste de Marianne, posé sur la cheminée entre une photo du président Chirac et une de Gaston Defferre criblée de traces de fléchettes, la Reine Marga’ pensait à son enfance. Si on lui avait dit, lors de sa jeunesse à Leningrad, qu’un jour elle serait là, à finaliser la vente d’une équipe de football occidentale avec un Américain frimeur comme celui qui se trouvait sur le siège à côté d’elle… Lors de cette aventure, ce n’était pas la première fois que des fils de l’Oncle Sam venaient l’embêter. Un peu plus tôt dans l’été, un sombre fonds d’investissement nommé Guggenheim Partners s’était proposé. Mais l’OM n’est pas un musée de Bilbao, et elle n’avait plus entendu parler d’eux. Cependant, le deuxième dossier made in USA avait été le bon. Sur le bureau de l’Éternel, le gros dossier était d’ailleurs posé de façon triomphale, seul élément mis en valeur au milieu du fouillis. « OM Champions Project » , pouvait-on lire sur la couverture. Un nom tellement racoleur qu’il aurait mérité d’être imprimé en strass. Le pire, c’était que cet Hollywood Frank avait typiquement la tête d’un homme ayant ce genre d’idées.
La Reine Marga’ n’avait jamais regardé une seule seconde de baseball de sa vie, et elle savait qu’elle mourrait avant d’avoir trouvé le moindre intérêt à ce sport. Mais il paraissait que ce jeu avec des petites balles et des longs bâtons avait du succès en Amérique, et l’expérience d’Hollywood Frank à la tête d’une équipe était censée être un argument en sa faveur. Les Los Angeles Dodgers. La Reine Marga’ avait déjà vu leur logo sur les casquettes de quelques gamins en ville, et même sur certains de ses joueurs. Ce L et ce A entrelacés, qu’elle ne trouvait même pas beaux. Quelques heures plus tôt, elle s’était entretenue avec Hollywood Frank sans l’Éternel, mais en compagnie se son fils à elle, Coach K-rter, dans une chambre d’hôtel du Pullman Palm Beach de Marseille. Un rendez-vous inutile, pour la forme, mais qui lui avait permis de mieux cerner le personnage. Fanfaron obsédé par son image et qui avait manifestement une très haute opinion de lui-même, Hollywood Frank était de ces hommes qui se baladent avec une pancarte « Charlatan » collée dans le dos. Quoi qu’ils fassent, ces gens-là passeront toujours pour des pitres. Pour peaufiner sa candidature, Hollywood Frank avait tout de même eu le bon goût de collaborer avec un Français, connu pour avoir dirigé plusieurs publications sur les courses de chevaux. Ce second, le Turfeur d’argent, apportait donc une french touch qui ne rassurait qu’à moitié la Reine, mais elle ne pouvait désormais plus rien y faire.
Dans quelques secondes, ils sortiraient du bureau de l’Éternel pour se présenter devant la presse. Elle aurait l’air triste et mal à l’aise au milieu de cette foire, de ces discours à la limite du sketch, et de ces poignées de mains viriles, et elle le savait. Mais c’était la dernière couleuvre qu’elle aurait à avaler. Les deux dernières minutes de malaise en direct sur BFM, avant le grand saut vers l’inconnu, et l’après OM qu’elle attendait depuis si longtemps.
Dans le prochain épisode :
« Ho, man ! What a day ! » Hilare, Hollywood Frank claque la porte de se suite du Pullman Palm Beach. Après un rapide coup d’œil à son téléphone pour constater que son ex-femme lui demande encore quelques centaines de milliers de dollars de pension alimentaire, il balance l’engin sur le canapé avec insouciance. Le Turfeur d’argent est là, et assiste à la scène l’air contrarié. À moins de cinquante ans, et après avoir travaillé chez Disney Land, au Club Med, ou avoir fait partie de l’équipe de France de taekwondo, il n’avait clairement rien à faire ici. Pourquoi n’était-il pas resté à diriger ses journaux de paris hippiques, sa vraie passion ? Trouver des cotes, se farcir des noms de chevaux improbables, expliquer pourquoi Gracieuse de Dordogne allait battre Danube de Retz, il savait faire. Participer à la gestion d’un club, entre un Américain taré, un public anisé, et Romain Alessandrini, ce n’était pas du tout sa came. N’importe quel investisseur un brin sérieux aurait trouvé ça suspect, et se serait posé des questions avant de faire affaire avec lui. Mais Hollywood Frank n’avait rien vérifié. Le parcours du Turfeur d’argent l’amusait, puis il était lui-même un habitué de la Californie, où il avait été gouverné par un Autrichien qui avait été le plus grand bodybuildeur du monde avant de devenir l’acteur d’action le plus bankable de la planète, puis d’entrer en politique. Niveau destin farfelu, Hollywood Frank était un homme difficile à surprendre.
Après une journée à courir la ville en enchaînant le rendez-vous, le Turfeur d’argent était enfin seul avec lui. Il allait pouvoir passer à l’action. Comme tous les hommes s’apprêtant à réaliser quelque chose de trop gros pour eux, il suait à énormes gouttes malgré la clim, mais cela lui donnait une excuse parfaite. « Je vais faire un tour dehors, prendre un peu l’air. » Toujours amusé, Hollywood Frank opine du chef, comme pour mieux lui dire : « Va donc ! » Le Turfeur s’en va, en fermant la porte précautionneusement, et attend d’être dans l’ascenseur pour sortir son téléphone. Comme prévu. Qui tremble le plus de sa main ou de sa voix ? Impossible de le dire, mais la voix qui lui répond est ferme et décidée. « Alors, il est seul ? On peut envoyer la Dominiquette ? » Pas la peine de s’éterniser : « Oui, Don. » La conversation coupe au moment où les portes de l’ascenseur s’ouvrent au rez-de-chaussée. En sortant dans la rue, il croise cette femme de ménage en faisant mine de ne pas la remarquer, mais il sait pertinemment ce qu’elle est sur le point de faire. Cette fois, c’est tout son corps qui tremble, au moment où la Dominiquette pénètre dans l’élévateur sans broncher. Quelques secondes plus tard, la voilà au deuxième étage, devant la porte d’une chambre, d’où s’échappe le rire d’un homme seul. Elle vérifie autour d’elle, personne ne l’a suivie. Alors d’un geste assuré, elle sort son trousseau de clé, débloque la serrure, et entre sans bruit dans la suite 2806.
Par Alexandre Doskov