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- 29 février 1984
Platoche, Hools & Skins…
La pelouse et les tribunes. C'est lors de cette rencontre amicale que la France du foot dans son ensemble découvrit avec effroi et consternation qu'un match de football se jouait sur le terrain (pour le meilleur), mais aussi dans les gradins (pour le pire)…
L’équipe d’Angleterre n’était pas venue à Paris depuis 21 ans pile, le 27 février 1963. Beau souvenir : les Bleus avaient tapé les Three Lions 5-2 en qualif de l’Euro 1964… Ensuite, Albion avait pris trois fois sa revanche en gagnant au Mondial 66 (2-0), en amical à Wembley (5-0) et au Mundial espagnol 82 (3-1). Et ce qu’il y avait de bien avec l’équipe de France de Michel & Michel (Platini & Hidalgo), c’est qu’elle savait remettre ses comptes à jour en battant toutes les grandes sélections qui nous tapaient quasiment tout le temps dans le passé, en amical ou en compètes officielles : Italie, Brésil, Allemagne, Hongrie… et Angleterre ! Car en ce mois de février 84, c’est cette dernière qui débarquait au Parc, nimbée de tous les succès de ses clubs en coupes d’Europe (Liverpool gagnera encore une C1 en mai à Rome). Il y avait de la revanche dans l’air, notamment sur l’affront de Bilbao du Mundial 82.
France bat Angleterre (1)
Or, en février 84, l’équipe de France, c’est du lourd. C’est même du très lourd, mais on ne le saura que trois mois plus tard quand elle gagnera l’Euro chez elle, à dom. Ce France-Angleterre sera donc en fait la répétition générale d’un triomphe printanier à venir. Platini est déjà au top européen. Déjà Ballon d’or 1983, le taulier de la Juve qui mènera son club au titre de champion d’Italie 1984 a inculqué à ses potes en bleu la culture de la gagne 100 % ritale : défense agressive, efficacité offensive et victoire systématique à tous les matchs ! C’est aussi la fin de la pleurniche « made in Séville 82 » : on joue désormais sans complexe et sans peur de vaincre. Ce mercredi 29 février 84, tous les futurs héros de l’Euro en juin sont là. Bats dans les cages, Battiston (puis Tusseau à la 72e), Le Roux, Bossis, Amoros, derrière. Un milieu de malade en carré magique : Giresse, Tigana, Fernandez, Platini. Devant, deux p’tits nouveaux qui n’en veulent : Touré et Bellone (remplacé par Rocheteau à la 83e). En face, c’est pas mal : Shilton, Lee, Butcher, Glenn Hoddle, Bryan Robson, et puis John Barnes et Woodcock (entrés à la 78e).
Équipes de rêve pour match de rêve. Sauf que… On apprend que des « incidents causés par des supporters anglais ont émaillé l’avant-match autour du Parc des Princes » . La Marseillaise et le God save the Queen sont chantés comme des hymnes guerriers. Les fumis dégagent d’épais nuages de brouillard ici et là dans l’enceinte, des détonations de pétards maousses font l’effet de bombes, et les fameux chants anglais n’ont rien de british pop sucrée. L’électricité dans l’air du Parc est palpable à l’écran… Sur la pelouse, le ballet Bleu régale comme jamais. José Touré en 9 prend souvent le dessus de la tête sur les défenseurs anglais, réputés comme étant les meilleurs au monde. Shilton sauve sur la ligne en cata un coup de boule du buteur nantais… Notre super milieu rayonne ! Battiston lancé par un Platini lumineux rate son duel face à Shilton et tire au-dessus. Platini pour Bellone dont la reprise est repoussée par Shilton sur Giresse qui rate de peu… Malgré quelques attaques, les Anglais sont bouffés, et le 0-0 à la pause leur est flatteur.
France bat Angleterre (2)
En deuxième mi-temps, petit numéro de Gigi qui balade son monde côté droit, puis centre au laser pour Platini : tête de Michel en déséquilibre placée au poteau opposé : 1-0 à la 58e ! Albion se liquéfie… Une percée plein axe en triangle ultra rapide envoie Touré seul en duel face à Shilton. Le tir du Canari est repoussé par Shilton sur Platoche qui frappe au-dessus du but vide ! Petite réaction brittanique : Hoddle lobe en brossé, mais hors cadre… Arrive la 71e minute : coup franc plein axe pour la France sur la ligne des 16 mètres. Le monde te regarde, Michel ! À cette époque, un coup franc pareil, c’est l’équivalent d’un péno pour Platoche… Le Parc retient son souffle alors qu’un pauvre mur de six couillons s’aligne sans conviction pour protéger un Shilton qui les a à zéro. Quasi sans élan, Michel shoote en force ! Les filets tremblant indiquent que y a bien but. What else ? Et 2-0 pour la France… Des « Pla-ti-ni !… Pla-ti-ni ! » déferlent des tribunes. À ce moment, rien qu’avec ce nouveau coup franc légendaire, Michel est déjà Ballon d’or 84. Il le sera effectivement après avoir remporté l’Euro en juin à lui tout seul (9 buts en 5 matchs). Ce 29 février, en battant finalement l’Angleterre 2-0, les Bleus atteignent un des sommets de leur histoire, serti dans cet âge d’or platinien 1982-1986. Un souvenir inoubliable, alors, ce France-Angleterre 84 ? Pas vraiment, hélas…
Car ce match amical restera à jamais comme le point de départ du phénomène du hooliganisme à la française. On ne l’a pas trop vu à l’image, mais pendant le récital symphonique de l’orchestre Bleu, un déferlement de violences inouïes a embrasé certaines tribunes du Parc. Les affrontements d’avant-match se sont poursuivis pendant la rencontre. On avait bien aperçu l’intervention de CRS, mais les caméras restaient fixées sur le jeu… Le lendemain aux infos, les images font froid dans le dos. Les charges de CRS à matraques rabattues sur les « supporters » anglais impressionnent : en France, on ne connaissait pas cette « violence des stades de foot » . On savait que ça existait surtout en Angleterre avec les « hooligans » et les « skinheads » , mais pas chez nous… Le film des événements autour de la horde sauvage des supporters anglais a tout du film d’horreur : ferry trans-Manche dévasté, train SNCF Boulogne-Paris saccagé, Bar des Trois Obus vandalisé et supporters français agressés avant la rencontre, puis, après le match, voitures cassées et commerces pillés, et enfin échauffourées nocturnes autour de la Gare du Nord… Les arrestations en masse de très jeunes Anglais n’ont pas freiné les ardeurs de leurs potes. Les événements violents choquent à tel point qu’ils occultent la belle victoire française. Si les médias français les relatent longuement le lendemain, il en va de même en Angleterre, dans une tonalité glaçante. La honte domine… Le ministre des Sports anglais doit présenter ses excuses à son homologue français, l’opposition travailliste demande des sanctions lourdes contre les supporters violents. La France découvre aussi ce que l’Angleterre savait déjà : ces « hooligans » sont de tous âges, ils ne sont pas forcément des chômeurs ou des extrémistes de droite…
En tribunes, la rencontre au sommet du pire
De retour de Paris, le patron de la Fédé anglaise, ulcéré par les violences anglaises, aura ces mots prémonitoires : « Si cela continue, l’équipe d’Angleterre et tous ses supporters pourraient être bannis de tous les stades européens » . On est un an avant le drame du Heysel de mai 85 qui aboutira, entre autres, au bannissement des clubs anglais pendant cinq ans des coupes d’Europe… En fait, en ce mois de février 1984, il est déjà trop tard. Le France-Angleterre 84 a écrit l’un des chapitres sanglants qui aboutiront à la tragédie du Heysel. En France, dans la mouvance supportériste, on savait que le Parc des Princes était devenu depuis le début des années 80 un terrain de conquête de « supporters » d’extrême-droite. Skinheads et hooligans (ces mots étaient nouveaux à l’époque), progressivement regroupés dans le KOB (Kop of Boulogne) s’étaient déjà tristement distingués à l’occasion de matchs du PSG. On pense au PSG-Juventus d’octobre 1983 en 8e aller de C3 : deux à trois centaines de skins du PSG s’étaient sévèrement frités aux tifosi placés en Auteuil Rouge pendant le match (à l’époque, l’accès à toutes les tribunes était libre, et les séparations entre blocs facilement escaladables) et après la rencontre (2-2). Le France-Angleterre de février fut ensuite l’occasion tant attendue pour les hools et skins parisiens de se mesurer à leurs « modèles » britanniques. Une rencontre au sommet du pire, dans les tribunes, contrastant avec le match de toute beauté, sur la pelouse… Et à ce jeu stupide où Rosbifs et Froggies se fracassèrent tout le jour et une partie de la nuit, la France brilla. Les violences au Parc pendant le match furent le fait des deux factions rivales, et pas qu’anglaises. Le 29 février 1984 résonne toujours comme un fait d’armes héroïque dans la mouvance dure du supportérisme français. Le PSG laissera pour longtemps le KOB devenir le sanctuaire de plus en plus violent du hooliganisme hexagonal. Le France-Angleterre 84 fut en fait la seule défaite de l’équipe de France en cette année magique.
Par Chérif Ghemmour