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Platini, une chute en dix étapes

Par Alexandre Doskov
7 minutes
Platini, une chute en dix étapes

Des millions de francs suisses, des communiqués en pagaille, des déclarations tapageuses, des juridictions à ne plus savoir quoi en faire, des lourdes peines... Pas facile de s'y retrouver dans la jungle judiciaire qui a conduit à la suspension de Michel Platini et de Sepp Blatter. Coups de machette dans la broussaille, avec les dix dates clé du feuilleton.

29 juillet 2015

Le monde du football vient de vivre quelques mois surréalistes. Le 2 juin, Sepp Blatter pourtant tout juste réélu pour un cinquième mandat à la tête de la FIFA, annonçait sa démission après une inédite succession de scandales. Loin de se précipiter dans les starting blocks, Michel Platini attend, consulte et se donne le luxe d’attendre jusqu’au 29 juillet avant d’annoncer, sans surprise, qu’il est candidat à la succession du Suisse. Avec en bonus, l’étiquette de grand favori.

25 septembre 2015

Pour la première fois, on apprend que le nom de Michel Platini pourrait apparaître dans une enquête judiciaire. La justice suisse affirme avoir interrogé le triple Ballon d’or en tant que témoin assisté à propos d’un virement de 1,83 million d’euros qu’il aurait reçu de la part de la FIFA en février 2011. Le tout pour un motif flou comme seules la FIFA et ses eaux troubles savent en offrir, comme l’indique le communiqué des autorités helvètes : « prétendument pour des travaux effectués entre janvier 1999 et juin 2002 » . Platoche réagit presque immédiatement, en confirmant un rôle rémunéré de conseiller technique auprès de Sepp Blatter, ce qui n’éclaire personne.

8 octobre 2015

Que les choses s’enchaînent vite pour Sepp Blatter et Michel Platini ! La commission d’éthique de la FIFA annonce qu’ils sont suspendus 90 jours pour « gestion déloyale et abus de confiance » . Le communiqué est clair : « Pendant les périodes mentionnées, les personnalités citées sont bannies de toute activité liée au football que ce soit sur le plan national ou international. » Sentant le mauvais coup arriver, Platini avait décidé d’enfiler son costume de combattant quelques heures auparavant : « Si je suis suspendu, je me battrai jusqu’à ce que la vérité éclate. »

19 octobre 2015

Une bataille qu’il tente de lancer dans les médias. Assis aux côtés de sa femme dans le canapé de son duplex suisse, à 30 minutes de Genève, juste au-dessus du lac Léman, il reçoit le grand reporter du Monde Raphaëlle Bacqué pour une interview vérité. Il justifie le virement en racontant cette scène sortie d’un Scorsese : « [Blatter] me demande d’être son conseiller pour le foot. C’est d’accord. « Combien tu veux ? » demande Blatter. Je réponds : « Un million. » « De quoi ? » « De ce que tu veux, des roubles, des livres, des dollars. » À cette époque, il n’y a pas encore l’euro. Il répond : « D’accord, 1 million de francs suisses par an. » » La suite, c’est une utilisation répétée du vocabulaire du complot, ( « Honteux » , « Traîné dans la boue » …), des explications dignes de la garde à vue d’un guetteur de 13 ans ( « J’ai appris qu’en droit suisse, un contrat oral vaut comme un contrat écrit » ), et quelques réponses confuses. Lorsqu’on lui demande simplement pourquoi sa rémunération est arrivée neuf ans après les conseils fournis, il explique : « Je ne demande pas parce que je ne manque pas. » En outre, le serpent Blatter l’aurait « d’une certaine façon envoûté » . Un magistral « Je suis le seul à pouvoir faire en sorte que la FIFA redevienne la maison du foot, mais chaque fois que je m’approche du soleil, comme Icare, ça brûle » et un « Mon honnêteté me nuit » plus tard, on tourne la page du journal sans en avoir appris beaucoup plus.

12 novembre 2015

La commission électorale de la FIFA publie la liste des cinq candidatures validées : le revenant prince Ali, l’inénarrable Tokyo Sexwhale, le fêtard Jérôme Champagne, le révolutionnaire Cheickh Salman, et le substitute de Michel, Gianni Infantino. Maigre consolation, une petite porte reste ouverte, l’assurance que sa candidature sera reconsidérée après ses 90 jours de suspension, soit en janvier.

20 novembre 2015

Trois jours après le rejet de son appel par la FIFA, Platini dépose un recours devant le Tribunal arbitral du sport (le TAS), qu’il nomme « Le vrai juge » , pour demander l’annulation de sa suspension provisoire. Problème, dans le même temps, la chambre de jugement de la commission d’éthique de la FIFA annonce qu’elle rendra un jugement sur l’ensemble de l’affaire avant la décision du TAS, qui, elle, ne portera que sur la suspension provisoire de 90 jours.

24 novembre 2015

Ça commence à sentir très fort le sapin pour l’ancien numéro 10 des Bleus. La commission d’éthique de la FIFA déclare qu’elle a requis sa radiation à vie. Ni plus ni moins. Depuis le box des accusés, Platini ne peut que regarder son avocat, Maître Thibaud d’Alès, s’agiter dans les médias et dénoncer un « pur scandale » . La veille, Sepp Blatter lançait son propre assaut médiatique en s’exprimant sur la radio suisse RTS. Capsule de cyanure entre les dents comme tous ces hommes qui n’ont plus rien à perdre, parfait dans son rôle d’ancre qui fait couler avec lui tout ceux qui le touchent, Blatter largue son cadeau empoisonné : « Platini est un homme honnête » , et sombre dans le pathos en déclarant que la pression qu’il subit l’a presque tué…

6 décembre 2015

L’oasis. Le Journal du Dimanche annonce qu’un rapport de la FIFA datant de novembre 1998 mentionne le rôle de Michel Platini auprès de la FIFA, en indiquant le montant de ses honoraires. Il n’en faut pas plus aux avocats du Français pour lancer la contre-attaque en affirmant que « le contrat de Michel Platini avec la FIFA n’avait aucun caractère occulte » . Une toute petite lumière au bout d’un très très long tunnel. La même semaine, le Tribunal arbitral du sport convoque Platini pour entendre ses arguments. Une séance après laquelle il avait lancé ce cri du cœur : « Vous savez que je n’aime pas les injustices. » Insuffisant pour attendrir celui des juges. Le TAS, ce tabouret qui tenait encore sous les pieds du futur pendu, annonce le maintien de la suspension de début octobre de 90 jours. Le samedi 12, Michel Platini, qui devait touiller les boules du tirage au sort des poules de l’Euro 2016, est absent de la cérémonie, et remplacé par son camarade glabre, Gianni Infantino.

18 décembre 2015

Jour déterminant pour Platini, convoqué devant la commission d’éthique de la FIFA. Pour frapper un grand coup, le président de l’UEFA abat la carte du boycott, choisit la politique de la chaise vide, avec ce communiqué fracassant en guise de défense : « J’ai décidé de ne pas venir devant vous présenter moi-même mes explications. Pour une raison et une seule : je suis déjà jugé, je suis déjà condamné.(…)Mon procès est donc joué.(…)Je n’ai plus confiance dans les instances disciplinaires de la FIFA. » Le barillet de Platini paraît dangereusement vide.

21 décembre 2015

L’annonce du verdict. Lourd et violent. Michel Platini et Sepp Blatter sont suspendus 8 ans par la commission d’éthique de la FIFA et ses 14 juges, pour « conflit d’intérêt » , « gestion déloyale » et « abus de position » . Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, les deux compères vont également devoir déposer des amendes sous le sapin de Noël de la FIFA. 80 000 francs suisses (un peu moins de 75 000 euros) pour Platini, 50 000 (environ 46 000 euros) pour Blatter. Ils pourront toujours se consoler en remarquant que la corruption n’a pas été retenue. Le Français s’insurge le jour même via un communiqué AFP, parle de « mascarade » , de « mise en scène » , menace de saisir la justice civile « pour obtenir réparation de l’intégralité du préjudice que je subis depuis de trop longues semaines du fait de cette procédure » . De son côté, Sepp Blatter se met en scène à peine une heure après le verdict lors d’une conférence de presse tire-larmes. Ayant décidé de vivre en n’ayant peur de rien et surtout pas du ridicule, il débarque sur scène mal rasé comme s’il ne lui restait plus qu’un couvercle de boîte de conserve pour tailler sa barbe, un pansement sur la joue comme si la chance souriait aux sosies de Nelly, et en osant citer Mandela lors de sa plaidoirie. Avec au milieu de ce grand numéro, cette phrase prononcée en forme de dernière branche à laquelle il lui reste deux mois pour s’accrocher : « Je suis encore le président. »

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