- Euro 2012
Platini : « Si on m’avait suspendu à chaque fois que j’ai insulté un journaliste… »
À la veille de la finale de SON Euro, celui qu’il a porté à bout de bras pour que l’Ukraine ne crève pas un pneu en route, Michel Platini évoque son idée d’organiser la compétition dans toute l’Europe en 2020, nous apprend qu’il aime la vodka et donne ses vues sur l’équipe de France.
Il est à peu près 12h45, dans la salle de presse du stade olympique de Kiev, lorsque Michel Platini prend la parole. Gianni Infantino, le secrétaire général de l’UEFA, vient de résumer les décisions prises par le comité exécutif de l’instance, mais Platoche s’en est gardé une sous le coude. C’est quelque chose qui lui trotte dans la tête depuis un bout de temps et qu’il est parvenu à faire passer. Comme il sait que son annonce va surprendre tout le monde, il trahit déjà sa jubilation par un petit sourire en coin.
« L’idée serait, en 2020, de ne plus avoir l’Euro dans un pays, mais dans toute l’Europe. C’est une idée… (sourire) Nous allons faire des réunions avec toutes les associations nationales jusqu’au mois de décembre, puis nous prendrons une décision pour savoir si nous maintenons un « bid » pour un pays avec douze villes, ou si, pour le soixantième anniversaire de l’Europe, nous faisons un Euro dans douze ou treize villes européennes. Moi, c’est une idée qui me plaît énormément. Le comité exécutif, dans sa grande majorité, a trouvé que c’était une belle idée. Ce serait beaucoup plus simple financièrement pour tous les pays, parce que construire dix stades, des aéroports, c’est un peu compliqué. Là, ce serait un stade par pays, c’est tout ce qu’on peut dire aujourd’hui, c’est une idée. (sourire) J’ai vu vos têtes qui se sont relevées. C’est une grosse information, une petite bombe. »
Pourquoi ne pas passer à 32 équipes plutôt que 24, qui est un format un peu bâtard ?En 2007, juste avant que je devienne président de l’UEFA, deux personnes sont montées à la tribune pour demander que l’on passe de 16 à 24 équipes, un Irlandais et un Écossais. C’est vrai qu’il n’y avait aucune équipe britannique en 2008. Ce n’est pas moi qui ai pris la décision, ce sont les 53 associations nationales, qui ne sont pas bêtes et qui ont compris que ce serait plus facile de se qualifier.
Ne craignez-vous pas que le niveau se dilue en passant de 16 à 24 équipes ?Je pense qu’on a 24 bonnes équipes en Europe, si vous songez à celles qui manquent cette année : la Norvège, la Belgique, etc. Par contre à 32, c’est plus difficile, le niveau baisserait forcément.
Avez-vous déjà pensé au format que prendra la compétition ?Non, mais je vous rappelle que j’ai joué deux Coupes du monde à 24. De 1982 à 1994, c’était comme ça. Ce n’est qu’en 1998 que la FIFA a décidé de passer à 32, d’ailleurs sans demander l’avis du comité d’organisation dont j’étais le président. On l’a appris un matin à la radio. Moi, j’aime bien ce format à 24, parce qu’on a des huitièmes de finale, donc huit matchs à élimination directe. Et puis je vous rappelle quelque chose de fondamental, c’est que ça fait plus de matchs dans les stades. Quand on voit les investissements faits dans des villes où il n’y a que trois matchs, c’est cher payé.
Tout le monde a une équipe préférée dans l’Euro, quelle est la votre ?Je suis totalement neutre depuis le début. D’ailleurs, j’essaie de ne jamais montrer mes sentiments dans le stade, parce que si je fais un sourire au moment du but d’une équipe, je vais me faire critiquer par la presse de l’autre équipe. J’ai une impression lointaine du football qui se joue, parce que je suis plus en charge de l’organisation. Donc je n’ai pas d’approche très technique des matchs. Mais les deux équipes en finale sont celles qui ont le mieux joué. L’Italie m’a agréablement surpris, je ne m’attendais pas à ça.
Ne trouvez-vous pas que l’Espagne a un jeu ennuyant ?Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. En gagnant l’Euro puis la Coupe du monde, et en arrivant en finale de cet Euro, l’Espagne a prouvé qu’elle avait un style basé sur la tactique et sur l’intelligence de jeu. Le nombre de passes qu’ils font est impressionnant. C’est vrai qu’aujourd’hui, elle les fait plus au milieu de terrain, alors qu’avant c’était dans les trente derniers mètres. Mais le sélectionneur doit faire jouer son équipe en fonction des joueurs qu’il a, pas en fonction des désirs des journalistes.
Est-ce que vous partagez l’émotion ressentie en France par rapport au comportement de Samir Nasri ?Écoutez, si on avait dû me suspendre à chaque fois que j’ai insulté des journalistes, je n’aurais pas eu beaucoup de sélections en équipe nationale. Je pense que Samir Nasri mérite quelque chose, mais j’ai entendu parler de suspension de deux ans, je trouve que c’est ridicule et honteux.
Le problème de l’équipe de France, c’est le niveau des joueurs ?Non, je ne pense pas qu’on ait de mauvais joueurs. Je pense qu’on a progressé par rapport aux dernières compétitions. La France est à sa place, aujourd’hui, en quarts de finale, comme elle était à sa place au premier tour des deux dernières compétitions. Je pense que l’équipe de France a un potentiel, qu’elle n’a pas su montrer contre l’Espagne parce que c’était un match difficile, mais aujourd’hui elle est à sa place.
Que pensez-vous du débat sur les primes des joueurs de l’équipe de France ?Je pense que les propositions de madame la ministre sur les primes de match sont de bonnes propositions. Si on veut que les joueurs jouent pour leur maillot, pour leur équipe nationale, c’est vrai que de toute façon avec le salaire qu’ils ont, la plupart du temps, ça n’a aucune influence. Si j’avais 20 ou 30 ans de moins et que j’étais joueur, c’est quelque chose que je serais capable d’accepter.
Après coup, êtes-vous satisfait d’avoir confié l’organisation de l’Euro à la Pologne et à l’Ukraine ?C’est vrai que pendant les cinq ans d’organisation, ça n’a pas toujours été facile. Mais ce que je retiens maintenant, c’est la fierté de ces gens d’avoir reçu cet Euro, d’avoir travaillé pour ça et de l’avoir organisé d’une façon formidable. Ils sont fiers de vous avoir montré à vous, journalistes occidentaux, que le football existe aussi à l’est de l’Europe. C’est vrai qu’il y a encore des choses à faire, que d’aller de Gdańsk à Donetsk n’est pas facile, qu’il y a vingt ans ils n’étaient pas libres d’aller où ils voulaient. C’est l’évolution des pays.
Quand vous ne regardiez pas les matchs, qu’avez vous fait en Pologne et en Ukraine ?J’ai bu de la vodka. C’est un alcool du coin. On a aussi fait beaucoup de réunions avec les associations nationales, on fait de l’organisation, on prépare la finale. On remonte le moral de Martin Kallen (directeur exécutif de l’UEFA, ndlr), qui est fatigué, on lui fait prendre des douches, on l’emmène se coucher, parce qu’il a beaucoup de travail. Plus sérieusement, je suis arrivé très stressé, mais maintenant je suis beaucoup plus détendu. Mais dès la semaine prochaine, il y a les premiers matchs de tour préliminaire de Ligue des champions qui commencent. Le football, c’est 24h/24, 365 jours par an, ça ne s’arrête jamais.
Propos recueillis par Thomas Pitrel, à Kiev