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Plan social à la Fédération française de football : l’argent n’a pas d’honneur
À la FFF, on n’aime pas parler d’argent. Mais la Fédération française de football est aussi une entreprise, peut-être même bien davantage aujourd’hui que cette fameuse grande maison du foot amateur et de ses milliers d’associations, sans parler de l’armée dévouée des bénévoles. Et comme toute les boîtes, elle sait dégraisser, quand la dure loi du marché l’impose, et ce processus commence rarement avec les plus gros salaires...
L’information est relativement passée inaperçue, mais la FFF a remporté une belle victoire récemment. Non pas qu’elle soit parvenue à vendre les droits télé des Bleus ou de sa Coupe de France, toujours en souffrance d’une offre satisfaisante. Pour résumer, la cour administrative d’appel de Paris a rétabli vendredi dernier, au nom de points procéduraux, le plan social qui avait été dans un premier temps annulé en décembre dernier.
Ce plan dit de sauvegarde de l’emploi avait suscité des remous fort peu courants au sein de ce petit monde qui préfère se nimber de sa vocation de « service public » plutôt que de révéler les dessous d’une « boîte » avec un chiffre d’affaires avoisinant les 250 millions d’euros. Et comme dans de nombreux secteurs, le Covid-19 s’est révélé une « opportunité » inespérée pour essorer les effectifs. L’idée, le fond et la forme (18 postes supprimés) de ce PSE ont été attribués à Florence Hardouin, directrice générale. Cette confirmation n’épuise pas le feuilleton juridique, puisque que dix salariés concernés ont lancé une procédure devant les prud’hommes, et qu’un dernier recours va sûrement être déposé devant le Conseil d’État.
Prime à la prime
Cette péripétie semblera horriblement familière aux oreilles de bien des salariés de notre pays. Toutefois, ce PSE éclaire surtout quelque chose de singulier, la culture « interne » de la FFF et de sa direction. Un fonctionnement particulier dont Jean-Michel Aulas, peu soupçonnable de gauchisme, s’était ému : « Comme chef d’entreprise, j’ai été un peu surpris de la manière dont les choses se sont déroulées. On avait deux échos. Celui venant du Comex(comité exécutif, NDLR), de quelque chose de très maîtrisé et qui ne poserait pas de problème, mais d’un autre côté, on avait des remontées en interne de gens inquiets. » Au-delà des rumeurs de purge, avec des bruits de couloir qui évoquent davantage Les Sopranos que feu Plus belle la vie, la décision de faire peser sur les seuls employés les « dégâts » de la crise conjoncturelle de la pandémie laisse sceptique et interdit.
La FFF dispose en effet de fonds propres et d’une véritable marge de manœuvre budgétaire avec les primes des Bleus. Dans quelques clubs européens, des pros ont pu accepter une baisse de leurs émoluments afin de préserver des postes. On doute que les internationaux les plus capés auraient osé refuser ce sacrifice, et certains auraient sûrement partagé cette décision de renoncer une saison ou deux à leur quote-part sur les dotations FIFA pour sauver des emplois. La réaction de Florence Hardouin aurait été très vive à ce propos, limite insultante envers les salariés (ce qu’elle nie aujourd’hui). « Tous les sportifs de haut niveau ont des primes. C’est comme ça. C’est une volonté politique, c’est le fonctionnement de ce secteur d’activité », a-t-elle asséné dans les colonnes du Monde. Le « c’est comme ça » laisse pantois. Il renvoie clairement à une approche franchement libérale de la gestion de l’entreprise et à un fatalisme managérial qui encourage à traverser la rue pour trouver son bonheur. Tout cela sans même prendre la peine de solliciter les premiers concernés, les joueurs.
L’argent coi
Car l’argent, et celui des Bleus, reste un sujet sensible, voire tabou. La réaction de Noël Le Graët dans L’Équipe à la décision de Kylian Mbappé de ne pas se rendre a une opération commerciale lors du dernier rassemblement à Clairefontaine en mars l’illustre à merveille. À ses yeux, cette démarche cacherait un banal appât du gain. On en voudrait à sa « cagnotte » : « S’il n’accepte pas le fonctionnement, il n’aura pas d’argent, c’est tout. » Sauf que l’attaquant, que l’on partage ou non son choix ou pointe ses ambiguïtés, s’était surtout inquiété de la dimension éthique de certaines marques et il avait également posé la question de la redistribution des sommes engrangées par la Fédé grâce aux Bleus (un tiers de son budget). L’attaquant parisien, à l’instar de tous ses partenaires, n’est certes guère dans le besoin, reverse ses primes à des associations. Ce qui soulève en creux, on y revient, l’usage qui est fait de cet manne financière du côté de la FFF…
Pour conclure, du côté de la LFP aussi, les vieilles habitudes n’ont pas disparu. Alors que les clubs furent largement aidés, pour rester mesuré, par les fonds publics durant la pandémie, et après le crash de Mediapro, entièrement imputable à l’aveuglement de la direction de la Ligue, Vincent Labrune entonne le doux refrain des lendemains qui chantent, en s’appuyant sur l’inespéré apport des 1,5 milliard d’euros d’investissement du fond CVC et le rêve de récolter 1,8 milliard de droits télé sous peu. En attendant, on va procéder notamment à une réduction de « la masse salariale », comprenez du nombre de joueurs sous contrat. Cependant demeure une seule ombre au tableau : « Nous souffrons d’une fiscalité particulièrement lourde. » La redistribution, quelle plaie…
Par Nicolas Kssis-Martov