- CAN 2021
Plaidoyer pour la CAN
Le drame d’Olembe a plongé dans l’effroi cette CAN 2021 au Cameroun. Des dysfonctionnements organisationnels se sont ajoutés à ce désastre. Malgré toutes ces critiques légitimes, il convient toutefois de raconter à nouveau ce qu’est la CAN. Une compétition qui épouse les soubresauts politico-sportifs d’un continent jeune qui cherche à avancer comme il le peut.
Avant toute chose, à la façon de Jacques Brel, « le temps de l’ombre d’un souvenir, le temps du souffle d’un soupir », on aimerait avoir une pensée émue pour les victimes, décédées ou blessées, du drame d’Olembe. Les huit personnes (bilan officiel) qui étaient allées à la grande fête du football pour célébrer les Lions indomptables ont trouvé la mort dans des circonstances atroces. La CAN portera donc pour toujours le deuil de ces inconnus dont les familles attendent désormais que justice soit faite. Alors, oui, rien que pour ces morts et ces blessés, cette édition 2021 restera un désastre, un fiasco. « Plus jamais ça. Je veux être sûr que ça ne se reproduira pas », a déclaré Patrice Motsepe, président de la CAF. Il appartient désormais aux autorités camerounaises de faire toute la lumière sur cette tragédie. Voilà, c’est dit. Et puis la vie reprend son cours : il faut avancer. Sans jamais oublier le drame, bien sûr.
CAN 2021, variable d’ajustement du foot mondialisé
D’un peu partout, on tire à boulets rouges sur cette CAN et sur le football africain en général. Selon Twitter, par exemple, on assisterait à la pire CAN de l’histoire (le hashtag #PireCan fait fureur). Outre les morts d’Olembe, on stigmatise pêle-mêle les infrastructures inachevées, les hôtels inconfortables aux conditions hygiéniques indignes, la piètre nourriture, le mauvais accueil des « petites équipes » , les pelouses déplorables, l’arbitrage très moyen et enfin les normes sanitaires très fluctuantes autour de la Covid qui ont pénalisé, entre autres, les Comores. Là aussi, ça doit être dit : oui, cette CAN n’honore pas le football africain. Mais le reste du monde devrait aussi faire profil bas. La prestigieuse UEFA ne nous a-t-elle pas offert récemment un tirage de Ligue des champions digne d’une caméra cachée ? L’Euro 2021 résonne encore de cris de singe, d’hymnes sifflés, des pleurs des joueurs danois forcés de reprendre le jeu, alors que Christian Eriksen était plongé dans le coma sur le gazon. Les émeutes aux portes de Wembley juste avant la finale auraient pu, elles aussi, tourner au drame de type Olembe. Question éthique sportive, l’Angleterre a joué tous ses matchs à Wembley sauf son quart contre l’Ukraine à Rome. Toujours dans le domaine de l’éthique, Lionel Messi a remporté un énième Ballon d’or pour s’être distingué à une Copa América désastreuse qui a tourné à une parodie de compétition. Sans vouloir tout justifier par un relativisme primaire qui excuserait toutes les inconséquences organisationnelles, l’Europe et l’Amérique du Sud devraient toutefois en rabattre avant de juger trop sévèrement l’Afrique.
Le coût exorbitant du sport mondialisé
Car comme l’Euro dans toute l’Europe et la Copa América au Brésil, le Cameroun, pays organisateur de la CAN actuelle, a dû gérer comme il l’a pu la crise sanitaire inextricable liée à la Covid 19. Et comme l’Euro et la Copa América, cette CAN a été retardée d’un an et elle a subi les mêmes aléas de protocoles médicaux qui entravent depuis deux ans la plupart des activités humaines dans le monde entier. Allons à l’essentiel, maintenant : l’édition camerounaise de cette CAN a malheureusement servi de variable d’ajustement du football mondial. La patrie de Roger Milla a reçu l’attribution de la CAN 2019 le 21 septembre 2014 pour une compétition à 16 équipes. Or, en juillet 2017, la FIFA a validé le projet de la CAF (Confédération africaine de football) de passer à 24 équipes… Déjà en difficulté pour organiser une CAN à 16 équipes, le Cameroun s’est vu retirer la compétition 2019 au profit de l’Égypte tout en étant désigné pays hôte pour la CAN de juin 2021. Problème : en juin 2021, la FIFA organisait la nouvelle formule de sa Coupe du monde des clubs. L’instance du football a donc décidé d’avancer la CAN à janvier 2021 avant de la reporter, pour cause de pandémie, à janvier 2022 ! On peut évidemment stigmatiser la corruption et l’incurie des autorités camerounaises qui, somme toute, avaient eu le temps de mener à bien l’accueil de « leur » CAN. Sauf que… le cahier des charges de plus en plus pharaoniques des grandes compétitions sportives internationales ne peut plus être satisfait que par peu de pays dans le monde. En Afrique, une CAN à 24 équipes ne peut être supportée économiquement que par, en gros, l’Égypte, le Maroc ou l’Afrique du Sud, surtout. L’exemple malheureux du Cameroun 2022 disqualifié dans sa gestion globale de la compétition doit pousser à la réflexion autour d’un retour à une CAN à 16 équipes ou bien à des co-organisations à plusieurs pays.
La CAN, c’est l’Afrique
La CAN 2023, qui se déroulera en Côte d’Ivoire, pourrait décliner malheureusement aussi toutes les scories du football africain en proie, plus qu’ailleurs, aux pandémies (CAN 2015 passée du Maroc à la Guinée équatoriale à cause du virus Ebola), aux troubles politiques meurtriers (tuerie de Cabinda à la CAN 2010), aux interventions extérieures déplorables (CAN 2013 en Libye annulée), aux coûts économiques très (trop ?) élevés en matière d’infrastructures et aussi à la « mal gouvernance » de nombreux pays du continent. Parce que c’est l’Afrique d’aujourd’hui, telle qu’elle se révèle indirectement tous les deux ans à travers sa CAN. Il faut savoir oublier un peu les standards d’excellence de la Ligue des champions ou de la Premier League et redescendre au niveau d’un football africain qui n’offre pas encore les qualités optimales de jeu, de terrains, d’infrastructures ou d’arbitrage. Cette CAN ballottée par le calendrier international et la crise de la Covid n’a pas pu permettre aux équipes qualifiées de bien se préparer avant la compétition, et l’ECA (association européenne des clubs) n’a pas oublié de faire pression sur la CAN en cherchant à retenir ses internationaux au motif de protocole sanitaire : Victor Osimhen, retenu par Naples, a joué dimanche soir contre la Salernitana à l’heure où son Nigeria a été éliminé par la Tunisie… À propos de la qualité du jeu si décriée, la plupart des critiques qui se sont abattues sur la CAN (dont les plus dures émanent souvent et injustement des communautés afro-maghrébines dispersées de par le monde) témoignent parfois d’une méconnaissance du football africain. Car la CAN n’est pas exactement la fête chamarrée du football spectaculaire jouée par des artistes du ballon rond (même s’ils sont légion). C’est une compétition âprement disputée lors de matchs souvent fermés par des équipes qui portent sur leurs épaules les espoirs pesants de leur peuple, regroupées à la hâte et entraînées par des coachs en sursis. Le tout avec une chaleur, une humidité et des terrains très moyens qui tirent le jeu vers le bas. La CAN est une fête du football qu’il faut savoir appréhender sans un regard trop géocentré. Pour le meilleur et, hélas cette semaine, pour le pire.
Par Chérif Ghemmour