- Ligue Europa
- 8e de finale
- Juventus Turin/Fiorentina
Pirlo et Borja Valero en tête d’affiche
Une finale avant l'heure ? Un choc entre le favori et un prétendant au titre ? Au-delà de ces considérations propres à l'Europa League, les Juve-Fio de l'ère actuelle sont toujours intéressants. Pour Conte et Montella, qui proposent le football le plus abouti de ces dernières saisons en Italie. Pour cette rivalité à la fois provinciale et exaltante, dont le parfum, fait de souvenirs de l'avvocato Agnelli, du conte Pontello et de Roberto Baggio, n'a jamais changé. Pour les joueurs : le possible duel des revanchards entre Osvaldo et Matri, la bataille de couloir entre Cuadrado et Asamoah. Et enfin, surtout, pour les deux acteurs principaux : Borja Valero et Andrea Pirlo.
Dimanche dernier à l’heure du déjeuner, alors que la Juve battait la Fio 1-0 à Turin, Borja Valero et Andrea Pirlo étaient suspendus. Du côté de la Juve, Marchisio faisait office de bon remplaçant, sans toutefois sortir de ce rôle de substitution. Claudio, c’est Michael Corleone dans Le Parrain III. Indéniablement devenu un Padrino, mais ce n’est pas Vito. Et ce ne le sera jamais. Côté bande violette, Pizarro est kidnappé par le superbe pressing juventino et, comme souvent dans les grands matchs, Aquilani semble avoir perdu son manuel d’instructions de milieu créateur. La Fiorentina, sans guide, se perd. Et le match donne le sentiment de voir un film auquel on aurait coupé l’acteur principal au montage. Une cruelle censure.
Cinéma, football et censure
Le cinéma ne connaît pas de telle absurdité. A priori, on ne verra jamais un acteur se faire « interdire de jouer » . On pourrait l’imaginer, après tout. Christian Bale aurait pu écoper d’une suspension après son coup de sang lors du tournage de Terminator Renaissance. En football, c’est fréquent. Ainsi, quand Borja Valero échange de douces paroles avec l’arbitre Gervasoni à Parme, le football italien lui donne quatre matchs de suspension (trois après appel). Quatre, c’est long, surtout quand il y a la Juve et le Napoli dans le lot. Mais le règlement est le même pour tout le monde, magicien du milieu de terrain ou maçon de la défense.
Le même, ou presque. Le dimanche 2 mars sur la scène de San Siro, Pirlo tacle Saponara en plein dans le tendon d’Achille, par derrière, comme il faut. N’importe quel autre acteur verrait certainement rouge. Pas Andrea : l’immunité présidentielle existe, mais seulement pour le président. Logique. Après tout, ce n’est rien d’autre qu’une certaine façon de « protéger les artistes » . Finalement, pour accumulation de jaunes, Pirlo finit quand même par être suspendu. La bataille entre les deux meilleurs milieux de Serie A (aux côtés de Vidal) est donc reportée de quatre jours : changement de scène, de la Serie A à l’Europa League. Comme si les deux meilleurs acteurs de Serie A en venaient à tourner un film d’auteur pour mieux s’affronter. Et le film d’auteur, cette fois-ci, c’est la modeste Europa League.
Pirlo Valero
En mai 2013, Carlo Ancelotti est annoncé du côté du Real Madrid. D’emblée, dans une capitale espagnole rongée par trois années mourinhesques, deux noms sont lancés dans la presse. Deux noms associés à une idée de beau jeu. Peut-être les deux seuls joueurs à réconcilier les footballs italien et espagnol depuis Luis Suárez dans les années 1960, après l’échec du talent fou de Cassano à Madrid. L’un met le Bernabéu debout lorsqu’il traverse la Méditerranée, l’autre est encensé par toute la presse transalpine depuis une saison et demie, au point d’avoir été élu par les « Oscars du football italien » dans le milieu à trois du onze type de la saison dernière. En début de saison, la Gazzetta titrait carrément un article Pirlo Valero : « La Fiorentina est un spectacle de vitesse et d’harmonie, de bons pieds et d’accélérations imprévues. L’Espagnol est au-dessus de tous les autres, comme Pirlo pour la Juve, mais vingt mètres devant : on dirait presque un fantôme par la façon avec laquelle il disparaît d’un côté et réapparaît du côté opposé. »
Quand Pirlo fait le quarterback, et dessine des courbes somptueuses de long en large, Borja Valero travaille le détail, petit à petit, pas à pas, passe après passe. La panoplie de Pirlo est plus puissante, faite de grands coups de pinceau, de longs ballons, de couleurs vives : Pirlo frappe le spectateur par la force de la justesse de ses mouvements. La palette de Borja Valero se construit de façon plus intime, plus proche du ballon, presque dans la confidentialité. Une série de petites touches, retouches et corrections, dans tous les sens, partout sur le terrain, pour finalement attirer l’œil du spectateur une fois l’œuvre terminée, et le milieu adverse exténué. Toujours dans la Gazzetta : « Pour comprendre où il est, on aurait besoin de la technologie de la ligne de but. Sans position fixe, l’Espagnol traverse le troisième quart du terrain de gauche à droite, avec tant de légèreté qu’il ne semble jamais toucher le sol. »
La montée des marches de Borja Valero
En 2004, Guardiola nous avait prévenu : « De nos jours, on insiste énormément sur le travail défensif des milieux centraux. Il y a vingt ans, il y avait bien plus de joueurs avec mes caractéristiques. Aujourd’hui, je n’en vois plus qu’un : Pirlo au Milan. » Durant ces années milanaises, Andrea est nommé quatre fois au prix de meilleur joueur italien de Serie A, sans jamais le remporter. Il a 32 ans lorsqu’il débarque à Turin. La consécration arrive une saison et un Euro plus tard, une fois réinstaurée l’évidence des meneurs reculés. Meilleur joueur de l’Euro, meilleur joueur de Serie A et un livre qui vaut une carrière : Je pense donc je joue. À côté de sa Coupe du monde et ses deux C1, cette Europa League n’est qu’une petite marche. Une de plus.
Borja Valero, lui, a déjà 29 ans, et une seule sélection, amicale, avec la Roja. Pour résumer, sa consécration à venir ne peut être que plus grande que ses succès passés. La saison 2009/2010 en est le symbole. Dans une discrétion totale, avec le maillot pourtant bruyant de Villarreal, Borja Valero remporte le prix Don Balon, celui du meilleur joueur espagnol de la Liga. La même année, l’aventure galactique de Pellegrini échoue à Madrid, mais personne ne fait le lien. La même année, encore, l’Espagne remporte le Mondial sans Borja Valero. Et personne ne pleure le Madrilène. Pour le milieu florentin, cette Europa League est une sorte de dernière chance. Une première marche a été franchie avec cette reconnaissance absolue en Italie. Mais pour convaincre son pays, la Serie A ne suffira jamais. Deuxième marche, l’Europa League, pour espérer l’ascenseur jusqu’à Rio, voire même un vol retour jusqu’au Bernabéu…
Par Markus Kaufmann
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