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ACTU MERCATO

Pirlo a croqué la Pomme

Par Éric Maggiori
5 minutes
Pirlo a croqué la Pomme

C'est officiel : Andrea Pirlo jouera la saison prochaine en MLS, à New York City. Une perte pour la Juventus et le football italien, forcément, mais Andrea a eu le courage de partir avant de devenir un poids. Ciao, grande maestro.

Dans le salon du domicile familial, planté entre un canapé en cuir moderne et une table basse en bois de qualité certaine, il y a cette vieille lampe. Elle est à la fois belle et moche, cette lampe. Mais elle est vieille. Elle est orange. Elle ne va pas du tout dans le décor. Une lampe design irait bien mieux à cet endroit-là, en dessous du petit cadre qui va bien. Pourtant, la lampe est là. C’est le paternel qui l’a achetée il y a trente ans. Elle fait partie du décor. Personne n’ose vraiment la toucher, ni la déplacer. Tout le monde sait qu’elle a fait son temps, mais le premier qui oserait ne serait-ce qu’émettre l’idée de la balancer risquerait de se faire foudroyer du regard par le reste de la famille. Il existe, heureusement, une différence notable entre une lampe et un être humain. L’humain n’a besoin de personne pour se balancer aux encombrants. Et comme Andrea Pirlo n’est pas une lampe, mais que son génie a éclairé pendant près de deux décennies le football italien, il a pris la décision tout seul. Comme un grand. Il s’en va. Il quitte le domicile familial la tête haute, avant de devenir ringard et encombrant. Andrea le sait. Il a fait son temps en Serie A. Il pourrait tirer sur la corde, se contenter d’une place de remplaçant de luxe. Mais il n’est pas fait de ce bois-là. Les ampoules à économie d’énergie, très peu pour lui.

Des larmes d’adieu ?

Alors voilà, c’est comme ça qu’on se dit « ciao » . Andrea quitte la Juventus, quitte l’Italie, quitte la Serie A, pour rejoindre son rêve américain. De la Vieille Dame à la Grande Pomme, New York l’accueille en son sein. Il s’en va retrouver David Villa et Frank Lampard dans la nouvelle franchise de MLS. Cela faisait longtemps que cela le démangeait. L’un de ses meilleurs potes, Alessandro Nesta, tentait régulièrement de le convaincre de le rejoindre de l’autre côté de l’océan. Mais Pirlo avait encore des choses à faire. Encore des titres à gagner. Avec la Juventus, qui lui a offert une seconde jeunesse, il a remporté cette saison un doublé historique : Scudetto-Coupe d’Italie, qui aurait pu se transformer en triplé avec cette finale de Ligue des champions. Sa quatrième finale, pour un bilan en parfait équilibre de deux victoires et deux défaites.

Une finale que le beau barbu avait terminée en larmes, comme celle de l’Euro 2012 perdue face à l’Espagne. Les supporters turinois s’étaient alors inquiétés : étaient-ce des larmes d’adieu ? Le joueur avait lui-même calmé le jeu, en utilisant une jolie pirouette stylistique : « Non, j’ai pleuré parce que je sais que je n’aurais peut-être pas l’occasion de disputer à nouveau une finale de Ligue des champions. » Mais quelque chose se tramait. Le joueur est parti aux États-Unis. « En vacances » , officiellement. Après des rumeurs et autant de démentis, ce lundi 6 juillet 2015, la Juventus a officialisé le transfert de Pirlo vers New York City. Tiens, le 6 juillet 1984, il y a 31 ans tout rond, sortait en Italie le chef-d’œuvre de Sergio Leone, C’era una volta in América (Il était une fois en Amérique). Un signe du destin. Andrea Pirlo dans le rôle de Robert De Niro, ça fonctionne.

Rater une ouverture, un blasphème

Forcément, le départ de Pirlo est un coup dur pour le football italien, qui perd là l’un de ses derniers gardiens du temple. Trois ans après avoir perdu Del Piero, Nesta et Gattuso, six ans après Maldini. Il ne reste plus que Totti, Toni, Di Natale et Buffon. Mais à la différence d’un Totti qui restera à la Roma jusqu’à la fin de sa carrière, quitte à devenir un cas de conscience épineux pour ses entraîneurs, Pirlo a su partir au bon moment. Cette saison, il a clairement baissé de régime. 20 matchs disputés seulement en Serie A, son plus petit total depuis sa dernière saison au Milan AC, au cours de laquelle il n’avait comptabilisé que 17 apparitions. Surtout, son influence sur le jeu turinois s’est faite plus discrète. Avec Conte, chaque absence de Pirlo était crainte. « À qui confier les clefs du jeu ? » s’interrogeait-on. Allegri, qui avait déjà cohabité avec un demi-Pirlo lors de la saison 2010-11 à Milan, a tout de suite pris le problème à bras-le-corps. Il fallait, en toutes circonstances, que sa Juventus puisse jouer, créer et exister même sans Pirlo.

Résultat : le joueur a su apporter sa pierre à l’édifice, mais ses absences n’ont jamais mis en péril l’équilibre bianconero. En Ligue des champions, il a su apporter son expérience, mais il est aussi passé à côté de certains matchs. Lors de la finale, notamment, on l’a souvent vu en retard, on l’a même vu louper des passes faciles, chose inimaginable il y a encore quelques années (lors de l’année 2012, il avait réussi 2947 passes des 3368 qu’il avait tentées, soit 87,5% de réussite, meilleur total en Europe). Et ça, pour Andrea, ce n’est pas envisageable. L’homme est un esthète, il aime les choses bien faites, il aime quand tout est beau et élégant. Quand son ouverture arrive dans les pieds. Quand son coup franc vient léchouiller la lucarne. Alors, un peu fatigué, un peu usé, mais aussi avec la conscience du devoir accompli, Andrea a décidé de partir. Les États-Unis, un pays qui adore les quarterbacks, l’accueilleront à bras ouverts, et lui pardonneront sans le moindre souci une passe ratée. L’Italie, elle, pleure l’une de ses dernières idoles. Mais les Italiens, qu’ils soient juventini, milanisti ou autres, sont bien conscients d’une chose : la vieille lampe de la casa familiale peut aussi se transformer en pièce de collection chez l’antiquaire du coin.

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