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Piqué par les sifflets
De retour à son zénith footballistique, Gerard Piqué pensait se la couler douce durant le rassemblement de la Roja. Raté. En taquinant CR7 lors des festivités blaugrana, le central catalan s'est attiré les foudres de certains écervelés qui le conspuent sans raison.
Le Camp Nou s’émoustille toujours, le Sánchez-Pizjuán rugit encore, le football espagnol fête sa domination. Cela ne suffit pourtant pas. Certains, à l’instar du quotidien le plus vendu du pays, ne veulent pas enterrer la hache de guerre. Tant et si bien qu’au lendemain de la fête célébrant le triplé blaugrana dans son antre, Marca dégaine une Une dégueulasse. « Merci Kevin Roldan, grâce à toi, tout a commencé » : ce pic lâché par un Gerard Piqué sensiblement éméché truste la première page et range au second rang la performance inédite du FC Barcelone – seul celui de Guardiola avait réussi telle saison. Une saillie humoristique, de bon ou de mauvais goût, c’est selon, qui tout au long de la semaine fait la part belle aux talk-shows adeptes du vide cérébral et aux éditorialistes partisans. Dans cette triste ambiance, les retombées ont touché de nombreux aficionados de la Roja présents à Léon. Des supporters qui ont hué, conspué, insulté et vilipendé Gerard Piqué durant les entraînements, les sorties du bus et son entrée face au Costa Rica. Une bien triste première dans l’histoire de la sélection espagnole.
Del Bosque : « Une incitation à la haine »
« Il y a une incitation de la part de certains médias à la haine. » Vicente del Bosque, bientôt centenaire sur le banc de la Roja, n’en démord pas. La vague de sifflets à l’encontre de son poulain prend racine dans des sempiternels et vains débats. « Cela me met de mauvaise humeur, poursuit le sélectionneur espagnol sur les ondes de la Cadena Ser. Siffler un joueur espagnol qui approche les 70 matchs internationaux, qui a joué dans les catégories inférieures et qui a toujours eu un comportement exemplaire avec la sélection… Celui qui siffle un joueur de la sélection siffle toute la sélection. » Une sélection qui, déjà en automne, avait causé bien des tracas au central barcelonais, « coupable » d’avoir fait acte de présence lors de la fête de Catalogne. Pour Xavi, exilé depuis peu au Qatar, l’explication se veut plus terre à terre : « J’imagine que cela est dû au fait qu’il y a plus de supporters du Real que du Barça à Leon. Moi, j’y donne une importance zéro. Gerard a seulement dit une blague et je pense que nous aussi, nous avons dû en subir lorsque le Real a gagné des titres. »
Reste une question en suspens : mais qu’a donc fait Gerard Piqué pour se retrouver cloué au pilori d’une telle manière ? En remerciant le chanteur Kevin Roldan lors de la fiesta du triplé, il taquine gentiment Cristiano Ronaldo qui, au soir d’une cuisante défaite au Vicente-Calderón, avait fêté son trentième anniversaire en compagnie du Colombien. Une starlette sud-américaine qui, en bombardant les réseaux sociaux de photos privées, avait mis en branle la nébuleuse madridista. Bref, un pic humoristique, bien loin du « Madrid, cabron, saluda al campeon » de Samuel Eto’o en 2006 – « Madrid, salaud, salut le champion » , en VF. De fait, les capitaines du Real Madrid Iker Casillas et Sergio Ramos, présents lors du rassemblement de la Roja, n’ont pas même daigné débattre de ce non-sujet. Absents lors de ladite soirée, ils ne voient pas en quoi le chambrage dans les règles de l’art de leur compatriote représente un manque de respect envers leur Casa Blanca, toujours détentrice du record de Coupe d’Europe. Secret de polichinelle, Piqué est de toute façon connu pour sa grande gouaille et ses blagues potaches.
Piqué, l’indépendantiste sans le savoir
Le second argument en vogue pour expliquer les quolibets reçus par le señor Shakira reste son supposé indépendantisme. Un avis personnel dont seul l’intéressé connaît le fin mot. « On ne peut pas douter de moi, cela fait 16 ans que je suis dans la sélection et j’ai toujours tout donné, avançait-il à l’automne dernier suite à sa participation à la Diada. C’est une autre chose que de me sentir catalan et d’être en faveur d’une consultation, qui est un processus démocratique. » Problème d’identité toujours, certains se fourvoient à assimiler Piqué et les sifflets envers l’hymne national du soir de la finale de Coupe du Roi. Encore une fois, le central blaugrana est resté muet sur le sujet. « Qu’est-ce qu’il y a de mieux que de s’en prendre à un joueur catalan ? ironise ainsi Vicente la moustache. Nous sommes dans un grand moment pour les clubs espagnols, mais certains concentrent toute leur haine sur un seul joueur qui, sur beaucoup de points, est très intelligent. » Une intelligence que l’intéressé a fait valoir en dédiant à de jeunes fans un drapeau de l’Espagne et en expliquant « respecter la liberté d’expression de chacun » .
Par Robin Delorme, à Madrid