- Ligue 2
- Le Havre
Pierre Pissavy-Yvernault : « Vouloir que le speaker soit un simple maître de cérémonie, c’est un peu dépassé »
Speaker du Havre AC depuis 2015, Pierre Pissavy-Yvernault a vu sa collaboration avec le club doyen s’arrêter à l’aube de la saison 2022-23. En cause, notamment, son comportement micro en main, jugé trop passionné. Une décision difficile à digérer pour ce fervent supporter des Normands, qui revient sur cette rupture douloureuse et évoque sa vision du métier.
Comment t’es-tu retrouvé speaker du Havre AC ?J’ai commencé en 2015. Je connaissais très bien le speaker de l’époque, un ami, qui m’a un jour proposé de lui succéder. Il savait que j’étais fan du HAC depuis ma plus tendre enfance et qu’en tant que journaliste radio, je pouvais faire l’affaire. À ce moment-là, je vivais à Montpellier, mais j’avais une petite envie d’autre chose, alors j’ai foncé. J’ai passé des essais dans un stade vide, j’ai été retenu et c’était parti. Ça me faisait vraiment plaisir de revenir, d’être impliqué dans mon club de cœur.
Qu’est-ce que ça représentait, en termes de charge de travail ?Très sincèrement, je ne préparais pas vraiment mes matchs. Je me contentais de suivre l’actualité du club au fil de la semaine, pour mon propre plaisir. Je devais arriver au stade deux heures avant le coup d’envoi, pour assister à une réunion avec les délégués de la Ligue. Ensuite, je découvrais le conducteur de la soirée, avec les animations prévues, le timing, s’il y avait ou non une minute de silence… J’en profitais aussi pour aller saluer les supporters. J’étais payé 270 euros par match.
Cette activité est venue s’ajouter à ton métier de journaliste. Finalement, être speaker, c’était ton passe-temps du week-end ou bien plus que ça ?Être speaker, je savais que ça pouvait me plaire. C’est un job qui m’a toujours fasciné, avec cette possibilité de fouler la pelouse et d’haranguer la foule. Mais être speaker au HAC, ça représentait bien plus. Là, on rentrait dans la dimension affective, ce qui avait bien plus de sens pour moi. Je voulais faire rêver les gens à mon tour.
Quand as-tu appris que le club comptait mettre un terme à votre collaboration ?Un représentant du club m’a appelé mi-juillet. Il m’a parlé pendant 45 minutes de la nouvelle direction, du futur. Puis m’a annoncé qu’on ne continuerait pas à bosser ensemble.
Pour quelles raisons ?Apparemment, certains membres du club et de la Ligue s’étaient parfois plaints de mon comportement sur le terrain. C’est vrai que j’avais un comportement de passionné. Je vivais le match à fond, sans cacher mes émotions, même si je ne pense pas avoir été le speaker le plus exalté de l’Hexagone. Et puis, les dirigeants préféraient se tourner vers quelqu’un de plus inclusif. Eux trouvaient que je parlais trop au kop et pas assez au reste du stade, ce dont je n’avais pas l’impression.
Tu ne t’adressais donc pas à tout le monde ?Selon eux, non. Effectivement, quand j’annonçais la composition d’équipe, je me tournais vers le kop, car c’est là qu’on nous répond. C’est chez les ultras qu’il y a l’ambiance, l’étincelle à allumer pour qu’ils puissent prendre le relais. Mais la direction voulait quelqu’un qui s’adresse davantage à un public plus spectateur, plus familial. C’est comme ça, et je ne cache pas que ça a été une surprise totale pour moi.
Tu le comprends, ce reproche d’être trop « passionné » ?Oui, même si je remarque qu’à Lens, on a embauché il y a un an l’ancien capo des Red Tigers comme speaker. Ce type, on sait qu’il est complètement passionné, et le message envoyé vis-à-vis des supporters du Racing est hyper intéressant. Cette stratégie me parle, c’est comme ça que je vois le métier. Vouloir que le speaker soit un simple maître de cérémonie, c’est un peu dépassé. Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est plus cohérent de se tourner vers des personnes portées par leur passion.
Sur les réseaux sociaux, beaucoup de fans havrais semblent regretter la décision de la direction. Tu te sentais proche d’eux ?La plupart, ce sont des gens que je vois depuis plus de vingt ans dans les travées du stade. J’ai moi-même été abonné dans le kop, et j’ai évidemment gardé certaines relations. Surtout, je voulais que les supporters sachent que je pouvais être l’un de leurs relais auprès du club. En fait, je me voyais comme un canal de communication entre les deux. Grâce à leurs retours, on réajustait quelques petits détails, comme le retour d’une musique d’avant-match qu’ils aimaient beaucoup. D’ailleurs, j’ai été très touché par leurs récents messages de soutien. C’est peut-être la preuve que mes animations leur plaisaient. J’ai donné le meilleur de moi-même pendant sept ans, et ils l’ont bien vu.
À Toulouse, l’ancien speaker Jacques Bréda a été remercié de manière surprenante en 2017, après 22 années passées micro en mains, ce qui avait suscité désarroi et désapprobation de nombreux supporters. On a l’impression que les tribunes tiennent à la voix qui les accompagne les soirs de match… Au stade, il y a des petits repères qui font partie intégrante d’une soirée football. La voix du speaker en est un. C’est une voix familière, habituelle, à laquelle les clubs accordent une grande importance. Et inévitablement, les gens finissent par s’attacher à cette voix. Ce gars a passé 22 ans au micro, ce qui veut dire que plusieurs générations de supporters toulousains l’ont connu. C’est quand même beau !
Toi qui aimes le lien avec les supporters, comment as-tu vécu les huis clos imposés par la situation sanitaire ?C’était horrible. Mon travail n’avait plus aucun sens. On était juste là pour faire comprendre aux joueurs, inconsciemment, qu’ils n’étaient pas dans un match amical de pré-saison. Moi, j’y allais complètement à reculons. J’ai trouvé ça extrêmement long, d’une tristesse sans nom. Je me suis beaucoup remis en question pendant cette période, je n’en pouvais plus de parler à des tribunes vides. On devait haranguer la foule alors qu’il n’y avait personne. C’était complètement ridicule.
Tu continueras à suivre Le Havre comme si de rien n’était ou tu penses avoir besoin de couper, prendre tes distances ?Là, j’ai besoin de prendre mes distances. J’étais au Havre samedi dernier, mais je ne suis pas allé au stade (0-0 face à Grenoble, NDLR). J’ai été déçu de voir cette aventure s’arrêter, mais ma passion pour le HAC dépasse tout ça. Le club m’a gentiment assuré que je serais invité pour quelques matchs. J’ai toutefois préféré décliner et me retrouver avec mes amis dans le kop, pour supporter l’équipe comme je l’ai toujours fait. Je vais bientôt revenir, car je ne peux pas rester loin de mon club bien longtemps.
Propos recueillis par Raphaël Brosse