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Pierre Maes : « Je pense que l’avènement d’une ligue privée est inéluctable »

Par Adrien Candau
8 minutes
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Ancien directeur des programmes de Canal+ Belgique, le Belge Pierre Maes s'est ensuite spécialisé dans la négociation de droits télé du football comme consultant indépendant, notamment pour Telenet, l'actuel détenteur des droits de la Jupiler Pro League. De quoi l'inspirer pour écrire un ouvrage, Le Business des droits TV du foot, qui décrypte les acteurs, le fonctionnement et les coulisses d'une machinerie obscure, qui constitue de très loin la principale source de revenus des clubs professionnels. Forcément éclairant, notamment à l'heure où les enjeux autour des droits TV pourraient bien contribuer à transformer la Ligue des champions en une ligue privée déjà amplement controversée.

Dans votre ouvrage, vous commencez par expliquer que, dans le cadre des ventes de droits TV sportifs, le droit de la concurrence, qui impose théoriquement une libre concurrence entre de nombreux vendeurs et acheteurs, ne s’applique pas… Le système est donc vicié à la base ?En un sens, oui. On est dans une situation qui comprend très peu de vendeurs, à savoir les ligues, qui sont les ayants-droit des matchs, et un nombre croissant d’acheteurs. Les ligues sont donc en position de force. Le truc, c’est que la commission européenne n’a pas appliqué aux ligues cette législation sur la concurrence. Elles en sont exemptées et ça a accouché de la création de ces monstres monopolistiques, qui usent et abusent de leurs pouvoirs.

Est-ce qu’on pourrait imaginer une réponse légale pour que le rapport ligues-acheteurs de droits TV soit plus en phase avec les législations anti-trust ?

La commission européenne s’est penchée sur des ventes de droits aussi significatives que ceux de la Premier League, la Bundesliga et la F1 et a manifestement décidé que ce secteur échappait au droit de la concurrence.

On pourrait imaginer qu’il puisse y avoir une réaction législative. Histoire de dire stop, parce que ce qu’on a mis en place il y 15-20 ans a débouché sur une situation beaucoup trop déséquilibrée… Mais, pour le moment, je ne vois aucun signe qui va dans ce sens. La commission européenne s’est penchée sur des ventes de droits aussi significatives que ceux de la Premier League, la Bundesliga et la F1 et a manifestement décidé que ce secteur échappait au droit de la concurrence. On en est resté là.

Dans votre livre, vous présentez les types d’acheteurs prêts à payer très cher pour acquérir les droits TV du football. On peut citer les chaînes à péage, type Canal ou Sky en Angleterre, mais ces dernières années ont surtout vu l’émergence des TELCO (opérateurs de télécommunications), comme SFR par exemple. À vous entendre, ces grands groupes paient des sommes très importantes pour acquérir les droits TV du foot, alors même que le secteur est inflationniste, risqué et concurrentiel….
Oui, ma lecture, c’est que ces acteurs prennent énormément de risques. Ça concerne aussi bien les TELCO que des protagonistes moins connus, à savoir les agences, qui font la médiation entre les ayants-droit et les acheteurs de ces droits. Il suffit de regarder les échecs d’une chaîne comme TPS (absorbée par Canal en 2005, N.D.L.R.) ou encore de l’opérateur Orange (qui avait obtenu les droits TV de certains matchs de Ligue 1 de 2008 à 2012 sur sa chaîne Orange Sport pour 203 millions d’euros, sans résultats probants, N.D.L.R.) dans le secteur. Regardez ce qu’a fait SFR (propriété du groupe Altice, N.D.L.R.) en France : ils ont acheté des droits prisés comme ceux de la Premier League sur la période 2016-2019, quasiment au double du tarif préalablement établi. Le tout en commençant avec zéro abonné et en n’ayant que trois ans – c’est la durée de rétention des droits TV – pour rentabiliser cet investissement. La prise de risque est maximale.

Mais pourquoi prendre autant de risques, justement ? Là est toute la question.

Le foot est un produit d’appel pour ramener le client à soi.

On peut estimer que ce sont des acteurs qui n’ont pas trop le choix. Ils sont un peu désespérés. Leur marché est hyper concurrentiel et, justement, ils sont prêts à prendre des risques énormes pour se différencier de la concurrence. Le foot est un produit d’appel pour ramener le client à soi.

Les droits TV et les montants qu’ils rapportent aux clubs sont aussi précisément au cœur de cette idée de super ligue privée, sur laquelle plancherait l’association représentant les grands clubs européens (ECA) et l’UEFA ? Oui. D’ailleurs, dans le futur, je pense que l’avènement de cette ligue privée est inéluctable. Je ne vois pas pourquoi on ne prendrait pas ce chemin-là.

Et le spectateur dans tout ça ? S’il veut s’inscrire contre l’explosion des droits TV, la hausse des prix, et les réformes élitistes de la C1, il fait comment ? Il doit quitter sa posture de simple consommateur passif pour boycotter l’offre sportive ?C’est une des solutions possibles, oui. Après, l’autre solution, elle est très simple, c’est le piratage, évidemment. Celui qui veut continuer de regarder du foot sans payer, il peut le faire gratuitement.

Pour en revenir aux différents acteurs qui font l’acquisition des droits TV du football, on parle souvent des chaînes à péage comme Canal et des TELCO comme SFR/ALTICE. Mais on ne mentionne que rarement les agences de médiation.Les agences, ce sont des intermédiaires qui vont faire la liaison entre les vendeurs de droits (les ligues, N.D.L.R.) et les télévisions acheteuses. Soit elles achètent immédiatement les droits pour les revendre plus cher aux diffuseurs, soit elles travaillent sur une base de commissionnement.

Dans un marché qui est déjà inflationniste, on se doute que l’ajout d’intermédiaires comme ces agences, qui sont en plus concurrentes, ne fait qu’envenimer le phénomène…
Évidemment. Globalement, depuis 2015, on observe que les agences se livrent une concurrence acharnée qui a encore fait s’envoler les prix. C’est un facteur supplémentaire et déterminant dans l’inflation qui caractérise ce business. On pensait leur modèle de fonctionnement appelé à disparaître, mais, pour survivre, les agences ont simplement augmenté le niveau de risques de leur activité.

Récemment, la Lega Serie A a estimé que le groupe Mediapro, qui convoitait les droits du championnat italien et est aussi détenu par un fonds chinois (Orient Hontai Capital, N.D.L.R.), n’offrait pas assez de garanties financières. On peut s’en inquiéter, alors que Mediapro a récemment acquis les droits TV de la Ligue 1 ? C’est clair que, visiblement, la ligue française a préféré prendre la promesse d’argent, sans assurer véritablement ses arrières. Ils disent qu’ils ont des garanties de l’actionnaire, mais ça n’a rien à voir avec la garantie bancaire qu’a demandée la ligue italienne. C’est risqué, sans aucun doute.

Et, justement, on fait quoi s’il se trouve que Mediapro n’a pas les moyens pour procéder à la première échéance de paiement des droits TV de la Ligue 1 ?Le cas échéant, il faudra revendre les droits à la dernière minute. Ce qui rendrait les choses difficiles, car les droits devront probablement être vendus dans un timing très serré, avec des acteurs en place qui ne feront pas de cadeau à la Ligue.

La Ligue a pris un risque calculé en choisissant Mediapro ? En fait, il faut bien comprendre que le timing, c’est-à-dire le moment où l’on lance l’appel d’offre pour les droits TV, est le seul véritable levier d’action des ayants-droit. Le facteur le plus important, évidemment, c’est la concurrence, mais l’ayant-droit n’a pas d’impact dessus, c’est un facteur externe. La Ligue a composé avec l’irruption de Mediapro en France. En un sens, elle n’a pas voulu reproduire ce qu’elle avait fait en avril 2014, en annonçant la vente des droits TV de la Ligue 1, alors qu’un nouvel acteur très dépensier, Altice, allait pourtant débarquer sur le marché, un an plus tard, en 2015.

Sinon, on parle beaucoup des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) dernièrement. Pourquoi ne passent-ils pas plus activement à l’offensive pour acquérir des droits TV sportifs ?Ça reste assez obscur, ils sont très discrets sur le sujet. Ma perception des choses, c’est qu’ils sont moins désespérés que les autres, à savoir les chaînes de TV, les TELCO qui sont en concurrence pour des abonnements, etc. Eux, ce sont des sociétés en croissance exponentielle. Ils sont attirés par ces contenus sportifs, mais ils n’ont pas besoin de prendre des risques comme SFR/Altice en a pris. Ceux qui se lancent dans le sport se lancent probablement dans une démarche de test, comme Amazon, qui a acheté un petit package des droits de la Premier League, du tennis et regarde si ça fonctionne.

Dans le futur, vous prédisez aussi un probable développement de l’offre au moyen de la diffusion OTT (over-the-top service). Ça consiste en quoi précisément ? Concrètement, ça voudrait dire que les ligues de football retransmettraient elles-mêmes les matchs. Autrement dit, on se passe des TELCO, des chaînes à péage et des appels d’offres. C’est une évolution probable du modèle. Surtout si la bulle explose, ou du moins s’il y a une correction significative du marché. On peut supposer que les ligues seront alors obligées de vendre des abonnements elles-mêmes aux clients. On peut imaginer la Premier League qui vend un forfait à 8 euros par mois pour qu’on puisse regarder ses matchs, la Serie A qui fait de même, etc.

Donc, c’est Netflix version sportive.En un sens, oui. Mais le consommateur ne paiera pas forcément moins cher. On a été trompé par le succès de Netflix. Netflix a pu grandir sans concurrence pendant quelques années et ils ont pu rassembler énormément d’abonnés. Mais aujourd’hui, la concurrence s’organise, avec l’émergence de services de vidéo à la demande comme Amazon prime Video, Hulu ou Apple TV. On sent bien que l’âge d’or de Netflix est terminé. Aujourd’hui, l’amateur de fiction, de cinéma, va soit devoir choisir, soit empiler les offres. Et pour le foot, si on en arrive à ce système d’OTT, on aboutira très vraisemblablement à la même situation.

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Par Adrien Candau

Pour aller plus loin, lire Le Business des droits TV du foot de Pierre Maes.

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