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  • Vrai Foot Day#3

Pierre Lees-Melou : « Je me considère toujours comme un footballeur amateur »

Propos recueillis par Andrea Chazy & Maxime Marchon
13 minutes
Pierre Lees-Melou : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je me considère toujours comme un footballeur amateur<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Parrain de la 3e édition du Vrai Foot Day, la première journée d'hommage au football amateur organisée chaque rentrée par So Foot, le milieu niçois Pierre Lees-Melou a pris un peu de temps dans sa traditionnelle semaine de vacances chez ses parents en Gironde pour revenir sur son parcours fou : de la 6e division à 19 ans aux soirées Ligue des champions à 24 ans. L'ancien responsable périscolaire en école primaire se replonge dans ses souvenirs de plateaux et tournois d'été, entre concours de jongles et barquettes de frites.

Quand tu repenses à tes premières années de foot, qu’est-ce que ça t’évoque ?C’était l’innocence. Toujours cette joie. Le foot, jouer les samedis, faire les plateaux où tu rencontrais trois équipes, c’était la seule chose qui nous tardait. Mais le meilleur des souvenirs, c’était les tournois. Tu te réveillais tôt le matin, tu partais la journée, tu avais la salade de riz des parents le midi. Tu t’autorisais quand même la barquette de frites, même si l’entraîneur te disait : « Attention, trop de frites, c’est pas bon. » Mais tu jouais au foot toute la journée. Et bien sûr, quand tu n’avais pas match, tu jouais au foot sur le côté. Tu avais aussi le concours de tirs au but le midi ? Ah non. Nous, c’était une séance de jongles avant le tournoi. Il fallait faire 50 du pied droit, 50 de la tête et 50 du pied gauche. Je veux pas trop me la péter, mais j’ai jamais eu trop de mal avec ces 50 jongles à faire.

Ton premier club était à Saint-Pierre-de-Mons, le village de ton enfance. Tu en as quel souvenir ? Déjà, qu’on jouait en rouge et jaune à la base, mais que rapidement après mon arrivée, on a fait une entente avec Langon, une ville un peu plus grande, et la couleur c’était le rouge. Le club rival, c’était Toulenne, grosse rivalité, ils avaient de très bons joueurs et c’était le derby avec les parents au bord du terrain. Ils avaient 3, 4 très bons joueurs, et nous aussi, on subissait pas mal de marquage individuel. Mais c’était surtout les parents qui faisaient monter la pression en disant : « Aujourd’hui, c’est Toulenne, faut pas les rater, lui faut le prendre … » C’est le plus difficile, les parents. Ton grand frère et tes parents avant ce type de match, ils étaient du genre à te monter la tête ou plutôt à te laisser tranquille ? Dans l’ensemble c’était tranquille, mais avec un père qui jouait au football, après les matchs, en voiture c’était toujours le debrief et c’était jamais le positif qu’il retenait, toujours le négatif.

Ça nous rappelle Thierry Henry et son père qui l’engueulait après avoir marqué 5 buts. Moi, c’était un peu ça aussi, surtout quand j’étais pas bon, je savais que j’allais passer un mauvais quart d’heure. Et même si on gagnait 3-0 et que je mettais les 3, il s’attardait sur le contrôle ou la passe ratée. Depuis que je suis pro, il s’est calmé, il est plus positif, bon pas toujours bien sûr, mais il se dit qu’il a moins de poids maintenant, qu’il est moins légitime.

J’aime bien faire ma prépa au club de Langon, j’essaye de faire un ou deux entraînements avec les les U16 ou les U17.

Quel rapport as-tu avec Saint-Pierre-de-Mons ? Est-ce que tu y es actuellement ? Oui là, j’y suis, je suis en quarantaine (au moment de l’interview, NDLR), parce que je reviens de Dubaï. Dès que je suis rentré, le lendemain, j’avais les gendarmes qui vérifiaient si je respectais la quarantaine d’ailleurs. T’as fait du jet-ski à Dubaï ? Parce qu’on a l’impression que c’est le passage obligé pour tous les joueurs pros qui vont là-bas. Alors, ce n’était pas prévu, mais le jour après notre arrivée, c’était mon anniversaire, et ma copine m’a fait une journée surprise où j’ai pu faire du jet ski. C’était la première fois, d’ailleurs… Je suis pas trop de ce genre-là pourtant, déjà que Dubaï, ça faisait cliché du footballeur de téléréalité. On a choisi cet endroit parce que c’était l’une des seules destinations « ouvertes » .

Et quel est ton rapport avec Saint-Pierre-de-Mons, du coup ?Déjà, j’ai ma famille, mes parents et mon frère qui sont là-bas. J’aime bien partir en vacances, mais j’aime bien revenir une semaine ou deux pour voir ma famille, mes potes. J’aime bien faire ma prépa ici, je connais pas mal de monde au club de Langon et j’essaye de faire un ou deux entraînements avec les jeunes, les U16 ou les U17. Plutôt que d’aller courir seul, je préfère aller m’entraîner avec eux. Leur coach leur dit de ne pas faire de contact avec moi et ça me permet de courir et de partager avec eux.
Ils te posent beaucoup de questions ? Ouais ! C’est un peu toujours les mêmes qui reviennent quand même. On me demande souvent : « Neymar il est fort ? », « Mbappé il court vite ? » Parfois, j’ai des questions plus pertinentes où l’on me demande si c’est dur de percer, par exemple.

L’ancien ambassadeur du Vrai Foot Day, Benjamin Nivet, nous a dit que quand il est retourné jouer en amateur à Brou (D1), il n’arrivait plus à jouer vu que le niveau de jeu et les conditions ne sont pas les mêmes. Quand tu t’entraînes dans ton club, tu as les mêmes sensations ? C’est assez marrant, mais quand tu t’entraînes avec des U16, tu sais que tu vas te faire juger, ils savent que t’es pro, ils veulent être impressionnés. Quand je m’entraîne avec eux, je me mets un petit défi en tête comme par exemple perdre zéro ballon. Comme je suis pas un gros dribbleur et que je n’ai pas envie de gâcher leur séance, un petit contrôle-passe me suffit. J’essaye aussi de bien courir pour la prépa.

Est-ce que revenir à Saint-Pierre-de-Mons, c’est pour toi une sorte de « cure d’humilité » , une bulle qui te permet de sortir du monde du football pro ? J’ai pas vraiment besoin d’en sortir, je suis encore un footballeur amateur dans l’état d’esprit, même mes coéquipiers me le disent. Le travail que j’ai dû accomplir pour être pro me permet de garder une forme d’humilité.

Qu’est-ce que tu veux dire quand tu dis que dans ta tête, t’es encore un footballeur amateur ? C’est une sorte d’humilité, tu me verras pas rouler avec des grosses voitures de luxe, je vis une vie tranquille, ma vie est comme avant, j’ai certes un meilleur salaire, mais je fais pas n’importe quoi avec, j’investis, je pense à mon après-carrière.

Ça m’arrivait souvent d’arriver en retard si un parent venait chercher son enfant trop tard.

C’est pour ça que tu fais du jet ski à Dubaï ! (Rires.) On peut aussi se faire plaisir !

Tu te revendiques comme un « footballeur amateur » , comment arrives-tu à faire comprendre aux gens qu’ils n’ont pas à te regarder différemment, que tu es un mec normal ? C’est vrai que c’est gênant. Une fois, j’étais allé voir un match de basket et il y a un jeune de 15 ans qui s’est mis à pleurer devant moi. Je lui ai demandé : « Mais pourquoi tu fais ça ? », en ajoutant derrière que j’étais pareil que lui. Ça m’est arrivé à Dubaï, au parc aquatique Atlantis. Je faisais la queue et tout d’un coup, un garçon me reconnaît et me demande pourquoi je fais la queue comme tout le monde alors que je suis footballeur pro. Les gens pensent qu’on est très différents, alors qu’on est les mêmes, on joue juste au football.

Tu parlais d’innocence en début d’interview. Maintenant que tu joues en pro, tu l’as toujours ? Je pense, oui. Je suis toujours content d’aller m’entraîner. Je vois que certains peuvent avoir la flemme parfois, moi je trouve que dans notre métier, c’est interdit de penser ça. Après je comprends, certains n’ont connu que ça dans leur vie, ils ont été au centre de formation très tôt et ils n’ont plus cette fraîcheur.
En Norvège par exemple, on voit qu’ils essayent de plus en plus d’éloigner les joueurs des académies pour les laisser dans leurs clubs formateurs. Tu penses que c’est lié, le fait que tu aies encore cette fraîcheur et cette envie vis-à-vis du foot ? Ça m’a servi de me faire virer des Girondins et de reprendre une vie normale dans une classe avec 30 personnes, de n’avoir que 3 entraînements par semaine et de pouvoir vivre un peu. En centre de formation tu vis, mais c’est différent, tu ne fais que du foot, l’école est privée. Mais c’est très bien, tout est pensé pour réussir, mais c’est pas une adolescence normale.

Après la fin du centre, tu étais dans quel état d’esprit ? Revanchard ? Non, bon, bien sûr qu’à 4-5 ans quand on me demandait mon rêve, je voulais être joueur de football, mais à 10-12 ans, c’était fini. J’étais lucide sur le fait que j’allais pas signer pro. Quand j’étais aux Girondins, je voyais qu’il y avait meilleur que moi et, chaque année, je passais de justesse, donc je le savais. Mes parents me répétaient tout le temps qu’il valait mieux être surpris que déçu. C’était pas une fin en soi, j’étais content d’être là, j’ai gratté tout ce que j’ai pu gratter et je n’ai pas arrêté le foot pour autant, je suis rentré chez moi, et la vie continue. Je trouve ça triste qu’à 17 ans, quand tu te fais virer du centre, certains perdent le goût du foot.

C’était quoi ton emploi du temps quand tu jouais au Lège-Cap-Ferret et que tu travaillais comme responsable pédagogique dans une école ?Mon appartement était à Lège et l’école au Cap-Ferret, je devais ouvrir l’école à 7h30, j’étais le premier pour que les parents qui travaillent tôt puissent amener leurs enfants en avance. J’ouvrais la garderie de 7h30 à 8h. Je me levais à 6h30, j’avais les enfants jusqu’à 9h, ensuite j’avais une pause jusqu’à 12h, j’allais à la salle de sport environ trois fois par semaine pendant cette pause. De 12h à 14h, je surveillais la cour, je mangeais, ensuite soit j’avais un trou de 14 à 16h, soit j’allais aider les maîtresses si l’ATSEM était absente. Ensuite de 16h30 à 18h30, j’avais la garderie de l’école, je fermais l’école, puis je prenais la route parce qu’à 19h, j’avais entraînement à Lège. Ça m’arrivait souvent d’arriver en retard si un parent venait chercher son enfant trop tard ou si je discutais avec les parents.

Dès l’âge de 17 ans, à chaque vacance scolaire, je travaillais dans les centres de loisirs.

À ce moment-là, tu as 21-22 ans. Qu’est-ce que le foot représentait pour toi ? C’était ma passion et ça me permettait d’évacuer ma journée. C’était un défouloir, ce n’était que trois fois par semaine, il y avait une bonne ambiance. Du coup, tu attends les entraînements.
Le foot pro était encore possible ? C’était un rêve ? Sincèrement, je ne pensais plus devenir pro. Je gagnais assez bien ma vie, j’avais le foot à côté, j’avais mes potes, j’adorais la région et aussi travailler avec les enfants ! Dès l’âge de 17 ans, à chaque vacance scolaire, je travaillais dans les centres de loisirs près de chez moi. L’été, je faisais aussi les colonies de vacances pour gagner mon argent.

Ce n’est donc pas impossible que dans quinze ans, on te voit monter une colo vers le Cap-Ferret du style UCPA… (Rires.) Quand même pas, je me dis que d’ici la fin de ma carrière, j’aurai pas la même patience.

Ton éducation t’a appris qu’il fallait travailler pour avoir de l’argent donc. Ah oui, c’est ce que mes parents m’ont toujours dit, mon frère travaillait aussi là-bas, donc on travaillait ensemble.

Les 3es mi-temps à Lège-Cap-Ferret, c’était repas au foyer, douzaines d’huîtres, frites-poulet et ça sortait au Ferret au White Garden.

C’était quoi le rituel de troisième mi-temps au Lège-Cap Ferret ? C’était repas au foyer, douzaines d’huîtres, frites, poulet et puis ça sortait au Ferret dans un bar qui s’appelait le White Garden près du port. Ensuite, on pouvait aller en boîte ou rentrer. Toujours avec un SAM évidemment, même si c’était souvent moi, car je n’avais pas un gros penchant pour l’alcool. Je n’ai pas besoin d’alcool pour danser, enfin, j’aime bien me remuer, quoi.

C’était qui à ce moment-là ton idole dans le foot, celui à qui tu voulais ressembler ? Moi, c’était Zidane au début, et puis après, ça a été Gourcuff. Quand il est champion de France, j’étais aux Girondins, quel joueur ! J’suis dégoûté parce que j’ai pas pu le croiser sur les terrains. Il m’avait fait rêver, sa saison à Bordeaux était magnifique en 2008-2009.

Aujourd’hui, tu as bouclé ta quatrième saison à Nice dans une équipe assez jeune. Tu es l’un des cadres de cette équipe, l’un des relais des coachs, ça te fait quoi d’encadrer Amine Gouiri qui a eu un parcours très différent du tien ? Les nouvelles générations sont en avance. Quand j’suis arrivé à 22 ans chez les pros, j’avais l’impression d’être un bébé. Maintenant, les mecs ont 18 ans et on a l’impression qu’ils sont pros depuis cinq ans. Ils sont en avance, plus matures, ils comprennent vite. Gouiri par exemple, il n’a pas eu besoin de temps d’adaptation. Il est arrivé, il a planté sa quinzaine de buts (16 TCC, NDLR) et il n’a eu besoin de personne.

Pourquoi tu dis qu’à 22 ans, tu étais un bébé ? J’étais en retard sur tout : le rythme, la vitesse de jeu, j’étais largué, ça allait trop vite. J’ai dû m’adapter physiquement, j’ai bossé deux fois plus, mais mon corps m’a rappelé à l’ordre avec une facture de fatigue au métatarse parce que j’étais cuit.

Qu’est-ce qui te manque du foot amateur aujourd’hui ? L’odeur des chipo et des bières d’après-match. (Rires.) L’innocence, aussi. Il n’y avait pas les réseaux sociaux, aujourd’hui tu as l’impression de devoir faire attention à tout avec les caméras. Lors d’un match, après une défaite, il y avait une photo où je souriais et cela avait énervé les supporters. Je souriais non pas parce qu’on perdait, ça n’avait rien à voir, mais parce qu’un coéquipier avait une grosse crampe, et il me dit une connerie qui, forcément, me fait sourire. En amateur, qu’on gagne ou qu’on perde, on allait faire la fête après. Tu ne peux plus faire ce que tu veux.

T’es assez fan de crampons. C’est laquelle, ta paire mythique ? C’est celle de Juninho. Quand je jouais aux Girondins, en jeunes, il y avait Jordan Galtier, fils de, qui évoluait en CFA. Son père était adjoint d’Alain Perrin à Lyon et Jordan m’aimait bien. Il m’avait pris sous son aile et m’avait filé la paire de Juninho. Je peux te dire que lorsque je les portais, tout le monde regardait mes pieds. Il y avait écrit le nom de ses trois filles sur les languettes et le drapeau du Brésil sur les talons. À 14 ans, quand tu portes ça, tout le monde se demande « mais c’est qui, lui ? » J’étais dégoûté parce que, deux mois après, j’avais grandi des pieds et je ne pouvais plus les mettre. Juninho, il devait faire du 40 ou du 41.

Si tu avais un souvenir marquant dans le foot amateur, ce serait lequel ? Le meilleur souvenir, c’est le dernier match avant que je ne parte en pro, j’avais déjà signé et j’avais la finale de la Coupe d’Aquitaine avec Lège, on jouait contre Libourne. Je voulais absolument partir avec le titre, il y avait toute ma famille et on a gagné 3-2 ou 4-3 avec Mathieu Chalmé qui était notre capitaine. Il avait fait une saison avec nous, c’est un super mec. J’avais provoqué un péno qu’il avait transformé.

Si ta carrière s’arrêtait demain, est-ce que tu verras le verre à moitié vide ou pas ? Complètement vide, même. Maintenant que j’y suis, je veux me battre pour rester le plus longtemps possible. À la Hilton.

Dernière question, pourquoi as-tu accepté d’être le parrain du Vrai Foot Day ? Parce que je me considère toujours comme un footballeur amateur. Avec cette période de Covid qui a fait très mal, le foot amateur mérite bien d’avoir une journée comme le VFD. Pour les bénévoles, tous ceux qui font vivre le foot, il faudrait plus de lumière. C’est grâce à eux, tout ça.

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