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Pierre Lees-Melou : « C’est un rêve oublié qui s’est réalisé »

Propos recueillis par Gaspard Manet
Pierre Lees-Melou : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>C’est un rêve oublié qui s’est réalisé<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Encore totalement inconnu il y a deux ans, Pierre Lees-Melou est désormais l’un des joueurs à suivre de notre belle Ligue 1. Une belle revanche pour celui qui a été viré d’un centre de formation en pleine adolescence. Retour sur un parcours atypique, marqué par le foot amateur, le travail à la mairie et la joie de l’instant. Interview plaisir.

À seize ans, tu es au centre de formation de Bordeaux, mais les dirigeants décident de ne pas te garder pour un problème de taille, c’est bien ça ?Oui, c’est ce que m’ont dit les dirigeants à l’époque. Après, il devait également y avoir un problème de niveau, faut pas se voiler la face. Il faut savoir qu’à seize ans, je ne mesurais qu’un mètre soixante, ce qui n’est pas très grand quand même (rires). À cet âge-là, les formateurs regardent beaucoup le physique, mais bon, la taille, ce n’est pas quelque chose qu’on peut travailler, hein. Je savais que j’allais finir par pousser, puisque tout le monde est grand dans ma famille, mais dans les clubs professionnels, ils n’ont pas toujours le temps d’attendre. Dans mes souvenirs, ils avaient recruté un Argentin après mon départ, preuve qu’ils pouvaient récupérer des joueurs de partout et qu’ils n’avaient pas d’intérêt à attendre mon évolution physique.

Quand on est écarté d’un centre de formation à seize ans, on le vit comment ?Plutôt bien en ce qui me concerne.

Ce n’est jamais agréable d’être viré. Mais j’étais loin d’être abattu. Ça ne me déplaisait pas de retrouver le foot amateur et la vie d’un gamin normal.

Pour être honnête, même quand j’étais chez les Girondins, je n’espérais pas du tout passer professionnel un jour. Je prenais les choses au sérieux, mais je trouvais qu’il y avait trop de joueurs meilleurs que moi. Je vivais chaque année là-bas comme un bonus et je pense d’ailleurs que la désillusion a sûrement été moins forte du fait que je ne m’étais jamais bourré le crâne avec l’idée de signer pro un jour. Après, ça reste une déception, ce n’est jamais agréable d’être viré. Mais j’étais loin d’être abattu. Ça ne me déplaisait pas de retrouver le foot amateur et la vie d’un gamin normal.

Fini le rythme de sportif avec les horaires aménagés du coup ?Quand je me suis fait virer, j’étais en première STG et j’ai donc enchaîné avec la terminale dans un lycée près de chez moi, à Bazas. C’est sûr que ça change un peu, en première j’étais dans une classe où l’on était sept élèves, dont quatre footeux, et là je débarque dans une classe où on est une trentaine, et où je ne connais presque personne. Mais ça s’est super bien passé. D’ailleurs, ça reste ma meilleure année en tant qu’étudiant. Clairement. On découvre une nouvelle ambiance, on fait plus de bêtises, ça rigole, ça discute. Dans la cour, il y a plus de monde, les filles, tout ça.

Et quand on sort d’un centre de formation et qu’on revient dans la voie classique, ce n’est pas trop difficile de ne pas céder aux tentations liées à l’âge ?Non, ça va, j’ai toujours été plutôt sérieux à ce niveau.

Ce n’était vraiment pas mon délire d’aller fumer des joints à la pause de midi, je restais plutôt au foyer à jouer au baby-foot.

Je n’ai jamais fumé de clope, par exemple. De toute façon, mes parents ne me laissaient pas sortir jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Et aujourd’hui, c’est quelque chose que je ne regrette pas. Je voyais certains mecs qui arrivaient défoncés ou bourrés en cours, mais moi, j’étais très loin de ce monde-là, j’étais un peu un enfant (rires). Ce n’était vraiment pas mon délire d’aller fumer des joints à la pause de midi, je restais plutôt au foyer à jouer au baby-foot.

Quand tu reviens dans ton club d’enfance, à Langon, quel est ton état d’esprit ?Je suis un compétiteur, donc forcément, je jouais pour gagner et faire de mon mieux, mais c’est sûr que là, c’était avant tout pour m’amuser. Après, je voulais quand même tester un plus haut niveau, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai décidé de quitter Langon après ma deuxième année, car on venait de descendre et je voulais au moins rester en DH. Je signe donc à Arlac, où je me retrouve à jouer tout le temps, ça se passe super bien. Puis, au bout de six mois, Lège, qui était premier de notre poule, me propose de les rejoindre. Franchement, je n’ai pas hésité, car je savais que le club allait monter en CFA 2 et c’était l’occasion pour moi de me tester à ce niveau-là. On s’est rencontrés trois fois avant que je signe, car à l’époque, j’étais en BTS NRC, et comme je savais qu’en signant là-bas, ça allait être un peu compliqué de combiner le foot avec les études, il me fallait un contrat ou un boulot pour pouvoir vivre. Ils ont refusé deux fois avant que l’on trouve un accord à la troisième où ils m’ont filé un petit contrat pour la fin de saison et m’ont promis un travail à la mairie pour l’année suivante. Derrière, on est montés en CFA 2 et je me suis donc retrouvé à travailler dans une école primaire.

Tu faisais quoi exactement comme boulot ?J’étais à l’école du Phare du Cap-Ferret où je m’occupais d’ouvrir la garderie pour les parents qui ne pouvaient pas amener leurs gamins plus tard. J’ouvrais donc à 7h30, j’accueillais les gamins et je les occupais jusqu’au début des cours. Le matin, c’était tranquille, vu qu’ils ne sont pas encore bien réveillés, à part quand j’avais les plus grands, là il m’arrivait de sortir un petit ballon. Après, à neuf heures, j’avais une pause jusqu’à midi, donc soit je rentrais chez moi, tranquillement, soit j’allais à la salle pour m’entretenir un peu. Ensuite, je revenais à midi pour surveiller la cour avec mes autres collègues. Puis de nouveau une pause à 14 heures jusqu’à 16h30 où je revenais pour la garderie du soir qui se terminait à 18h30. Là, on faisait souvent du foot, mais également plein d’autres activités comme des balles au prisonnier ou d’autres jeux que les gamins adorent. Ensuite, je débauchais à 18h30 au Ferret et j’enchaînais avec l’entraînement à 19h à Lège, et comme il y a bien vingt minutes de route, autant te dire que je n’arrivais jamais à l’heure, mais bon le club était au courant.

Ça te plaisait, ce boulot ?Ouais, j’adorais. J’ai eu mon BAFA à dix-sept ans et à partir de là, j’ai beaucoup travaillé dans des centres de loisirs pour gagner un peu d’argent de poche pendant les vacances scolaires.

Aujourd’hui, bien sûr que je me rends compte qu’être footballeur pro, c’est la vie de rêve, mais honnêtement, ma vie d’avant, je l’adorais aussi.

J’ai toujours adoré m’occuper des gamins, d’ailleurs j’avais dit aux dirigeants de Lège que c’était le genre de boulot que je voulais faire. Aujourd’hui, bien sûr que je me rends compte qu’être footballeur pro, c’est la vie de rêve, mais honnêtement, ma vie d’avant, je l’adorais aussi. J’aurais clairement pu faire ça très longtemps, je me serais installé sur le bassin, j’aurais été très heureux. Je m’entendais avec tout le monde, que ce soit avec les parents, les gamins ou mes collègues, c’était super. C’est grâce à ça qu’aujourd’hui, j’ai conscience de la chance que j’ai et que je ne vais jamais me dire à un entraînement : « Aujourd’hui, j’ai la flemme, je ne fais pas grand-chose » , ça c’est pas possible, on ne fait que du foot, on est payé pour ça, c’est le rêve, on a pas le droit de se plaindre ou de faire le minimum.

Du coup, explique-nous comment tu te retrouves à signer à Dijon ?En fait, mon directeur sportif à Lège, Nicolas Sahnoun, un ancien pro, qui avait d’ailleurs joué à Dijon, a fait un peu le lien avec le club. Il y avait quelques clubs pros qui me tournaient autour, certains venaient assister aux matchs, et les dirigeants dijonnais ont été les premiers à vouloir me faire passer un essai. Je suis donc allé passer trois jours là-bas en décembre qui se sont plutôt bien passés. Je ne me suis pas pris la tête, j’ai juste essayé de jouer mon foot, comme d’habitude. Derrière, ils m’ont fait revenir une semaine en avril, c’est là que j’ai vraiment rencontré tout le monde au club et que j’ai fini par signer.

Mais toi, à ce moment-là, tu croyais encore côtoyer le monde professionnel un jour ?Au début de ma dernière saison à Lège, je me rappelle avoir dit à mes parents et à mon frère que si je voulais aller plus haut, c’était cette année ou jamais. Mais je ne parle pas de signer pro, hein, je pensais juste aller dans un club de CFA ou de National. J’ai essayé de bien me préparer, et le début de championnat s’est super bien passé, puisque j’ai marqué pas mal de buts, presque à tous les matchs. Mais je ne pensais pas que tout allait arriver si vite. C’est quelque chose d’inespéré, quelque chose dont on a toujours rêvé sans croire que ça pouvait être possible. Gamin, comme beaucoup, je disais à l’école que plus tard, je voulais être footballeur professionnel, mais je n’aurais jamais cru y arriver. C’est un rêve oublié qui s’est réalisé.

Si déjà jouer en Ligue 2 était un rêve intouchable, que dire du fait que tu allais jouer en Ligue 1 seulement un an plus tard ?C’est sûr que tout est allé tellement vite… Mais bon, tant mieux, on ne va pas se plaindre (rires). C’est vraiment une immense fierté de jouer dans le meilleur championnat de France. Si j’ai appréhendé ?

Le plus gros fossé, c’était le passage de CFA 2 à Ligue 2, là c’était très compliqué. De la Ligue 2 à la Ligue 1, l’écart est quand même moins important.

Non pas forcément, de toute façon pour moi, le plus gros fossé, c’était le passage de CFA 2 à Ligue 2, là c’était très compliqué. De la Ligue 2 à la Ligue 1, l’écart est quand même moins important, tout le monde est professionnel, ce n’est pas comparable avec le fait de passer du monde amateur au monde professionnel. Quand je suis arrivé à Dijon, la charge de travail était tellement plus conséquente. Je me souviens avoir vraiment souffert pendant la préparation d’avant-championnat. Ce qui m’impressionnait le plus, c’était la vitesse de jeu, l’exécution du basique contrôle/passe, je trouvais ça beaucoup trop rapide. Pour tout te dire, à ce moment-là, même un toro, c’était trop rapide pour moi.

Jouer en Ligue 1, ça veut aussi dire affronter des joueurs reconnus, ça te fait bizarre de jouer contre des mecs que tu regardais encore à la télé il y a deux ans ?Ça fait bizarre sur le coup, ouais. Après, je ne suis pas quelqu’un qui a tendance à s’enflammer dans le sens où je réagis plutôt tranquillement aux évènements. Mais affronter de tels joueurs, c’est sûr que c’est autre chose. Il y a les stades aussi, quand tu te retrouves au Parc devant 50 000 personnes, tu te souviens qu’il y a deux ans, tu jouais devant cent personnes à Lège… Mais ça va, ça ne me déconcentre pas plus que ça, j’arrive à faire abstraction. Les encouragements, tu les entends toujours, mais quand ce sont des insultes, je fais comme si je n’avais rien entendu. De toute façon, il en faudrait beaucoup pour me faire sortir de mon match.

Tu as déjà récolté quelques maillots, du coup ?Ouais, j’aime bien avoir quelques souvenirs. Contre Paris, j’ai notamment demandé à Thiago Motta, car je trouve que c’est un grand joueur de football, avec un style comme je les aime. Quand je lui ai demandé il a accepté tout de suite, il est allé le chercher au vestiaire et me la donner très gentiment. S’il voulait le mien ? Je ne pense pas, mais en tout cas, il l’a pris, c’est déjà ça (rires). C’est sûrement plus un geste de respect qu’autre chose, on ne va pas se mentir. J’ai également récupéré celui de Cornet à Lyon et celui de N’Doye, le capitaine d’Angers. Je les laisse dans mon placard, puis quand je les ramènerai chez moi, je laisserai mon frère se servir. Il aura le droit (rires).

Tu ne reçois pas trop de messages de gens qui t’en demandent, d’ailleurs ?Si, ça arrive bien sûr. Il y en a aussi pas mal qui me demandent mon propre maillot ce qui fait quand même tout drôle. Après, ceux qui me demandent les maillots d’autres équipes, je leur dis que si j’en chope un, il est pour moi pour l’instant (rires). C’est ma première année, donc j’en profite. Et puis il y a les gens que j’avais perdus de vue et qui reviennent comme par magie pour me demander quelque chose. Certains ne manquent pas de culot. Dès que tu commences à être un peu connu, des mecs avec qui tu n’as jamais été proche, ou alors pour qui tu n’avais pas d’importance se mettent soudainement à te trouver intéressant. C’est une démarche guidée uniquement par l’intérêt, et je ne trouve pas ça très classe.

Cette notoriété nouvelle, dans la vie de tous les jours, tu la vis comment ?Franchement, plutôt très bien. J’ai vu mes demandes d’amis sur Facebook littéralement exploser, mais à part ça, ça va. Dans la rue, je ne vais pas te mentir, ça m’a fait vraiment bizarre quand on m’a demandé les premiers autographes. Je ne comprenais pas, pour moi ce sont les stars qui signent des autographes. Maintenant, j’ai un peu plus l’habitude, d’autant que j’aime bien le contact avec les gens, donc ça ne me dérange pas de prendre le temps de discuter avec eux. Après, faut pas exagérer non plus, je passe généralement inaperçu dans la rue. En tout cas, ça ne m’a pas changé, je suis vraiment resté le même.

J’imagine que tu as d’ailleurs gardé tous tes potes hors foot ?Bien sûr, j’ai évidemment gardé les mêmes contacts. Le seul truc qui change c’est qu’on se voit moins, forcément. Je suis rentré ce week-end (interview réalisée pendant la trêve internationale) et j’en ai profité pour rester un peu avec ma famille, mais je suis également allé voir un match à Lège samedi soir et un autre à Langon, dimanche.

J’essaie de revoir tout le monde et de vraiment faire comme si rien n’avait changé. Mes potes non plus n’ont pas changé leur manière de se comporter avec moi.

J’essaie de revoir tout le monde et de vraiment faire comme si rien n’avait changé. Mes potes non plus n’ont pas changé leur manière de se comporter avec moi. Avant mon départ à Dijon, j’avais fait un grand week-end chez mes parents où j’avais invité tous mes vrais potes, une quinzaine, pour passer le week-end tous ensemble à faire l’apéro, quelques grillades, et puis tout le monde avait dormi à la maison. En fin de saison dernière, on l’a refait, et je pense que ça va devenir un rituel de début d’été désormais. L’année dernière, on a même fait du ventre-y-glisse, on passe du bon temps, quoi. C’est l’occasion parfaite pour tous se retrouver. La madre fait les repas pour tout le monde et je peux te dire qu’on se remplit bien le ventre. Maintenant, mes potes savent que vers mai-juin, ils ont un week-end à réserver.

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