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Pierre Ferracci : « Rien n’incitait à ce que le contrat avec Mediapro soit signé »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger, avec Alexandre Aflalo et Adrien Candau
10 minutes
Pierre Ferracci : « Rien n’incitait à ce que le contrat avec Mediapro soit signé »

Quelles conséquences sur les clubs français aura le fiasco des droits ? Pierre Ferracci n’est « ni au conseil d’administration de la LFP, ni dans les instances ». Raison pour laquelle le président du Paris FC estime pouvoir avoir un « un regard assez critique sur ce qu’il s’est passé » dans l'affaire Mediapro.

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?Comme tous mes collègues, un peu inquiet. Même très inquiet. Parce qu’il y a l’affaire Mediapro et la baisse annoncée des droits télé, quels que soient les résultats du prochain appel d’offres. Et c’est d’autant plus embêtant que cela tombe au plus mauvais moment : toutes les autres ressources du football (billetterie, sponsors, trading des joueurs) sont aussi poussées à la baisse à cause de la crise sanitaire. On espérait voir les revenus télé augmenter et ils risquent de tomber en dessous du niveau précédent (les 748,5 millions annuels du contrat 2016-2020 avec Canal+ et beIN, NDLR). Le pire dans ces moments-là, c’est l’absence de visibilité. On se doute que le futur n’augure rien de très généreux ou de très optimiste, mais au moins, on saura où on va. Pour le moment, on ne sait même pas sur quel pied danser.

Ce nouveau contrat avec Mediapro était censé renforcer le foot français, lui permettre de résister à n’importe quelle tempête. Finalement, il le tire vers le fond…Quand on regarde comment ce contrat a été signé, on a tendance à se taper la tête contre les murs. Rien n’incitait à ce qu’il soit signé. D’abord, nos amis italiens venaient de résilier leur engagement avec Mediapro, pour des raisons qui auraient dû pousser le football français à plus de méfiance, à savoir le manque de garanties suffisantes. Deuxièmement, il ne faut pas être sorti de Saint-Cyr pour comprendre que, même si la crise sanitaire leur a un peu pollué la vie, leur business plan était injouable. Pour arriver au cap des 3,5 millions d’abonnés, cela prend du temps et cela nécessite donc des actionnaires solides. beIN a mis cinq ans pour atteindre 2,5 millions d’abonnés, alors que leur offre était beaucoup plus intéressante et généreuse que celle de Mediapro.

Quel était, selon vous, la réelle intention de Mediapro ?Pas besoin d’être devin pour lire entre les lignes. Ils ne sont pas venus pour posséder les droits télé pendant quatre ans, mais pour les revendre en prenant une marge au passage. Je pense que c’est là qu’ils se sont pris pour les rois de la forêt, en pensant que Canal+ et beIN allaient leur ouvrir la porte tranquillement pour qu’ils réussissent leur opération. Il faut aussi comprendre le système : il y avait un binôme composé de beIN et Canal+, installé depuis longtemps, et il fallait être léger pour croire qu’ils allaient mettre à disposition de Mediapro des moyens de production ou lui ouvrir leur portefeuille d’abonnés. Vincent Bolloré et Canal+ ont réglé gentiment leurs comptes avec la Ligue et font payer au prix fort la manière dont on les a traités les mois précédents.

Quand vous regardez bien, avec beIN et Canal, vous aviez sans doute la possibilité de tutoyer le milliard. Peut-être pas de l’atteindre, mais de le tutoyer.

Qu’aurait-il fallu faire alors ?Tout simplement ne pas signer à partir du moment où il n’y avait pas de garanties. Au lieu de mettre des avocats dans le coup qui ont ficelé ça sur le plan juridique de façon « béton » , il aurait fallu s’appuyer sur des économistes, des gens capables d’apprécier un business plan et de voir que ce modèle était injouable. Quand vous regardez bien, avec beIN et Canal, vous aviez sans doute la possibilité de tutoyer le milliard. Peut-être pas de l’atteindre, mais de le tutoyer. (Les offres combinées des candidats hors Mediapro auraient permis d’atteindre 1,011 milliard d’euros, NDLR.) On aurait pu faire confiance aux acteurs qui étaient là depuis un moment, les respecter davantage, quitte à être un peu moins ambitieux. Mais viser le milliard et revenir dans la cour des grands, c’était l’obsession de Didier Quillot.

Une fois l’enchère terminée, y avait-il encore une marge de manœuvre ?Les Italiens l’ont trouvée, la marge de manœuvre : pas de garanties, on n’y va pas. Ils ne sont pas plus bêtes que nous. Ils sont même plus intelligents dans ce type d’opérations.

À qui imputer la faute d’avoir signé ce contrat ?Le petit club parisien va appuyer le gros : je partage l’avis de Nasser al-Khelaïfi, qui demande l’ouverture d’une enquête approfondie pour déterminer les responsabilités. Au niveau de la direction opérationnelle de la Ligue, au niveau du conseil d’administration, au niveau des avocats, au niveau de tous ceux qui ont été concernés par cette signature. Je pense qu’il est temps de le faire. Il y a une commission parlementaire qui s’est saisie du sujet, mais il n’est peut-être pas exclu qu’un procureur de la République se saisisse à un moment ou à un autre du sujet.

On ne peut pas envoyer le football français dans le mur sans faire une clarté totale sur le déroulement de cet appel d’offres, mais aussi sur ses conclusions.

En tant que président de club, en tant que chef d’entreprise, vous êtes une des principales personnes affectées par tout ça. Ne pensez-vous pas que les présidents ont été trop négligents ?Un contrat de 4,5 milliards d’euros sur quatre ans, cela nécessite beaucoup de vigilance. Peut-être que le CA n’a pas eu les bonnes informations. Peut-être que la direction exécutive de la Ligue a fait les choses toute seule dans son coin, ce que Quillot dément d’ailleurs. Peut-être que les avocats n’ont pas été assez vigilants. Il faut crever l’abcès, parce que ça commence à jaser de tous les côtés. On ne peut pas envoyer le football français dans le mur sans faire une clarté totale sur le déroulement de cet appel d’offres, mais aussi sur ses conclusions. Il y a trop de dégâts dans le football professionnel et amateur — puisque vous savez qu’il y a un ruissellement qui n’est pas négligeable — pour qu’on n’aille pas au bout des investigations et des explications.

Le 12 décembre 2019, en Assemblée générale, vous posez une question à Jaume Roures sur ses potentielles discussions avec ses concurrents. Quelle était exactement la question et quelle réponse avez-vous eue ?Je m’interrogeais sur la façon dont a été traité Canal+. On pouvait accueillir Mediapro sans bafouer tout ce qui avait été fait pendant des années par un acteur historique. Je voulais donc savoir quels liens Mediapro voulait construire avec Canal+. La réponse a été extrêmement évasive, et on a bien vu qu’il était impossible pour eux d’avoir un accord avec Canal+. Je crois d’ailleurs que la demande formulée par Roures était exorbitante pour Canal. Et quand on paye plus de 800 millions, il est clair que pour rentabiliser l’opération en essayant de faire du trading avec d’autres opérateurs, il faut mettre la barre un peu plus haut.

Pour la plupart des présidents, la seule fois qu’ils ont rencontré M. Roures, c’est lors de cette AG. A-t-il été un peu cuisiné ? On était dans quelle ambiance ?Un peu bizarre. On nous présentait le nouveau graal : Mediapro arrivait, le milliard était là… Mais je crois que beaucoup de présidents ont été un peu étonnés par la façon dont Didier Quillot a vanté les mérites de Mediapro. Il y avait une forme d’indécence à ce moment là vis-à-vis de Canal et des autres opérateurs. Il y eu dès le départ un trouble et une interrogation sur la capacité de Mediapro à réussir, même si ce n’était pas exprimé aussi clairement que ça. Les présidents qui n’ont pas participé à la négociation ont eu tendance à faire confiance à ceux qui étaient dans le coup, c’est-à-dire ceux qui étaient dans le comité de pilotage.

La croyance que les droits télé monteraient jusqu’au ciel a fait perdre de vue un objectif essentiel dans une négociation : un prix de marché renvoie à la vraie valeur économique de votre produit.

Est-ce que la perspective du milliard n’a pas fait tourner quelques têtes ?Bien sûr. C’est une évidence. La croyance que les droits télé monteraient jusqu’au ciel a fait perdre de vue un objectif essentiel dans une négociation : un prix de marché renvoie à la vraie valeur économique de votre produit. Et je pense qu’on a surestimé l’état d’avancement de la rénovation du football français. Si vous étiez déjà passés de 750 millions à 900 ou 950, ça aurait été super. En 2019, il n’y avait pas la crise sanitaire, mais le football n’était pas non plus dans une forme explosive. En Espagne, en Italie et même en Angleterre, il y avait un tassement des droits télé. En France, nous nous sommes enflammés, les droits télé ont profité de cette enflammade, et nous sommes vite retombés sur terre.

Le Stade rennais prévoit 40 millions de pertes. Vous avez fait votre calcul pour le Paris FC ? On ne va pas révéler de chiffre, mais tout le monde va perdre de l’argent cette année, sauf miracle. Non seulement l’exercice 2020-2021 va être plombé, mais les suivants encore plus. La structure de tous les clubs va être tirée vers le bas. Vous verrez que les effets sur le trading au niveau européen vont être radicaux. Des joueurs achetés des dizaines de millions vont être revendus deux ans plus tard moitié moins ou le tiers de moins de leur valeur. Le modèle français est plus exposé que les autres avec cette baisse drastique des droits télé.

On a vu aussi un jeu de pouvoir entre les clubs de Ligue 1 et Ligue 2. Vous avez été missionné en mai 2020 pour renégocier les droits de la Ligue 2. Comment ça s’est passé ? Je me suis fait tirer l’oreille pour y entrer, parce que c’était très délicat. La négociation a été très difficile, d’abord parce qu’elle était biaisée. Les engagements précédents donnaient beaucoup de pouvoir à la Ligue 1 dans la gestion des instances de la Ligue. Au lieu d’obtenir un engagement sur quatre ans, on a obtenu un engagement a minima sur l’année en cours et qui peut être remis en cause par ce qui est en train de se passer. On a réussi à passer de 110 millions d’euros à 135 millions en gros, alors que la revendication était plutôt de 160 millions. C’est pour ça que je dis qu’on s’est arrêté à mi-chemin. En sachant que dans les engagements, il y a aussi la part du National qui est nouvelle et qui vient amputer ce qui était réservé à la Ligue 2. Ce n’est pas facile de jouer la solidarité quand la crise est là et qu’elle rabote toutes les ressources des clubs.

Aujourd’hui, il y a dans le football français des divisions qui sont larvées, qui n’apparaissent peut-être pas au grand jour, mais qui sont puissantes.

Il faut dire que l’année passée n’a jamais été aussi riche en débat pour les présidents…L’entente reste à construire. Aujourd’hui, il y a des divisions qui sont larvées, qui n’apparaissent peut-être pas au grand jour, mais qui sont puissantes. Avant de penser à réunifier les deux syndicats (Première Ligue et UCPF), qui est un objectif louable, il faut traiter les problèmes de fond. Le « on gagne ensemble, on perd ensemble » doit être d’actualité. Je souhaite que Vincent Labrune (nouveau président de la LFP, NDLR) trouve des solutions adaptées. Les intérêts des clubs ne sont pas de même nature, et pas seulement entre Rodez et Chambly d’un côté et le PSG et l’OL, pour prendre les deux extrêmes. Il faut trouver un équilibre qui permette à l’élite de continuer à aller de l’avant, mais aussi à la base du football de trouver les ingrédients d’un fonctionnement satisfaisant.

Vous avez foi en cette unité ?De Gaulle disait que ce n’est pas en répétant l’Europe, l’Europe, l’Europe, qu’elle va se construire. Là, c’est pareil, ce n’est pas en criant unité, unité, unité qu’on va sortir le football français de ses difficultés. Ça sera une révolution difficile, parce que demain, on va arrêter de rêver.

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Propos recueillis par Mathieu Rollinger, avec Alexandre Aflalo et Adrien Candau

Entretien réalisé le 7 janvier 2021.

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