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Philippe Piat : « Les joueurs veulent jouer… mais dans des conditions sanitaires sérieuses »
Depuis plus de cinquante ans, Philippe Piat a une obsession : servir les intérêts des joueurs, mais surtout protéger ces derniers. En pleine crise sanitaire, le co-président de l'UNFP, l'unique syndicat des footballeurs professionnels évoluant en France, a du boulot. Entre deux coups de fil, le patron de la FIFPro évoque les dangers d'une reprise précipitée, la déprime chez de nombreux joueurs, et l'importance pour le foot d'opérer d'importants changements.
La question de la reprise des championnats est au cœur de toutes les discussions depuis plusieurs semaines. Quel est votre avis là-dessus ? Il faut déjà dire que les situations diffèrent en fonction des pays : certains veulent reprendre rapidement, d’autres veulent attendre, et il y en a même qui savent déjà qu’ils ne reviendront pas avant septembre. En France, c’est compliqué d’imaginer une reprise, puisque les problèmes sanitaires existent toujours. C’est pour cela qu’on attend avec impatience les consignes du gouvernement et des autorités sanitaires, afin de savoir dans quelles conditions on va déconfiner les joueurs, sur quelle durée… Et il faut aussi demander l’avis des médecins du foot français. Demain (l’entretien a été réalisé ce jeudi, N.D.L.R.), on doit avoir l’intervention du docteur Rolland (ancien médecin du PSG) lors du bureau téléphonique de notre conseil d’administration. Il va nous faire un point sur la situation. Mais pour l’instant, nous ne disposons pas de suffisamment d’informations.
Et pourtant, les instances dirigeantes semblent déjà s’activer pour établir un plan de reprise. Il faut savoir d’où cela part : il y a une ingérence inacceptable de l’UEFA dans les championnats nationaux.
Le problème de base, c’est que l’UEFA a posé d’entrée de jeu l’obligation de terminer les saisons nationales le 3 août pour pouvoir disputer la fin des compétitions européennes. Du coup, il faut se dépêcher de reprendre. Ce qui provoque le bazar et des discordances chez les responsables du foot en France. Pourquoi ? Tout simplement à cause de cet ultimatum posé par l’UEFA au mois d’avril.
Même si l’UEFA commence à faire machine arrière depuis quelques jours en envisageant la possibilité que les championnats ne reprennent pas. Je sais en effet depuis ce matin que l’UEFA commence à ne plus être certaine de la nécessité de reprendre les championnats. Ils se retrouvent enfin face à la réalité de l’infection. Et forcément, leurs menaces, qui étaient claires et inacceptables, se font de moins en moins fortes.
Dans une tribune publiée dans Le Monde en début de semaine, Sylvain Kastendeuch (co-président de l’UNFP) appelait à « renoncer à une reprise précipitée et dangereuse ». Vous êtes donc sur la même ligne ? On peut difficilement dire si on va reprendre ou non. Ce qu’on veut dire en tant qu’UNFP, c’est qu’il faut attendre le bon moment. Il faut que ce soit possible et que ça ne menace pas la santé des joueurs. Sauf qu’à l’heure où on se parle, les planètes sont loin d’être alignées comme j’aime le répéter. Wait and see, on ne sait pas exactement ce qui va se passer dans les prochaines semaines.
Récemment, Jean-Pierre Rivère et Jean-Michel Aulas ont évoqué l’idée d’une reprise de la saison en septembre pour démarrer la suivante début 2021. Cette perspective vous séduit-elle ? C’est une bonne idée, oui, comme plein d’autres. Je vais me répéter, mais ce que je veux avancer encore une fois, c’est que ce souci de vouloir reprendre vite, ça vient du diktat de l’UEFA. Mais si elle commence à comprendre que ce n’est pas possible, qu’elle met de l’eau dans son vin, ce besoin d’une reprise dans l’urgence n’existera plus et il sera possible d’avoir des discussions plus raisonnables. Et pourquoi pas envisager d’autres scénarios. En attendant, l’important, c’est de savoir quand et comment il sera possible de rejouer au foot en toute sécurité. On sait qu’il va bien falloir reprendre un jour, mais le but de l’UNFP, des joueurs, ce n’est pas de bloquer le championnat.
Quelle place occupent des syndicats comme l’UNFP ou la FIFpro dans les discussions actuelles ? Je crois qu’on a réussi à se faire suffisamment entendre pour réussir à envoyer le message aux pouvoirs sportifs, et indirectement aux pouvoirs politiques, qu’il est hors de question de reprendre n’importe comment.
Si on n’était pas intervenus, je pense que ce serait déjà plié et que la reprise serait quasiment fixée. L’opinion des joueurs commence à être prise en compte. Les décideurs savent maintenant qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur : ils ne peuvent pas prendre de décisions kamikazes. J’ai envie de croire que notre voix a porté.
Estimez-vous que les joueurs ne sont pas assez écoutés dans cette cacophonie ? Vous savez, on entend des présidents dire : « C’est ceux qui payent qui commandent ! » Sauf que là, ils ne peuvent pas commander le virus. Oui, on commence à écouter les joueurs, c’est bien, d’autant plus qu’on est arrivé à un accord sur le problème des salaires finalement. Résultat, quand ils ont besoin de nous, les clubs sont bien contents de nous trouver autour d’une table. Je pense que ça va avoir un impact sur le futur proche.
C’est-à-dire ? Cette période peut permettre de changer la donne, même au niveau du ministère des Sports, qui ne penchait pas spécialement pour des dialogues entre les clubs employeurs et les salariés joueurs. Seulement, depuis quelques semaines, depuis nos prises de position, depuis l’accord sur une réduction définitive ou momentanée des salaires, on a démontré l’utilité d’un dialogue social dans le foot. Et ça démontre aussi notre représentativité.
Comment l’UNFP accompagne-t-elle les joueurs depuis le début de la crise ? On est en lien en permanence avec les joueurs, que ce soit par SMS, par mails, avec une foire aux questions, ou des contacts directs avec nos délégués régionaux. Au départ, ça nous a permis de faire passer un message en disant qu’ils n’étaient pas inquiets. Mais au fur et à mesure de l’avancée de l’épidémie, l’inquiétude est montée, on l’a senti chez les joueurs. Et pour une majorité, il est hors de question de reprendre à n’importe quel prix. Ils ne peuvent pas jouer en risquant leur santé. On me posait récemment la question si je voulais faire valoir notre droit de retrait en cas de reprise : on n’est pas du tout dans cette hypothèse, les joueurs veulent jouer ! Mais dans des conditions sanitaires sérieuses.
D’après les conclusions d’un sondage pour la FIFpro, plus d’un footballeur sur dix se dit déprimé actuellement. Avez-vous mis quelque chose en place pour les aider ? On n’a pas attendu cette crise pour mettre ça en place.
Depuis six ou sept ans, on a une structure basée à Bordeaux qui reçoit des appels anonymes de joueurs qui ont besoin de se confier, de parler de leurs problèmes. Nous sommes à leur écoute. Et il est vrai qu’on nous a informés que les demandes ont été multipliées par huit ou dix depuis le début du confinement. Les joueurs sont comme nous tous, ils font face à une situation inédite, c’est nouveau pour eux. Et l’inquiétude peut jouer sur leur santé.
Chez plus de 500 joueurs français (professionnels et fédéraux), il y a aussi cette incertitude autour de la fin de leur contrat prévue au 30 juin. Ce problème, il est annuel. Chaque année, on se retrouve avec des joueurs sans club. Parmi eux, il y a ceux qui sont très demandés, et qui vont retrouver un club assez facilement. Puis, il y a les autres pour lesquels la situation n’est pas plus inquiétante que d’habitude. La peur de se retrouver sans rien n’est pas forcément liée au virus.
Pouvez-vous confirmer que les joueurs n’auront pas l’obligation d’aller au-delà de leur contrat en cas de reprise du championnat jusqu’au mois de juillet ? Oui, c’est le problème juridique du droit du travail, notamment en France. La FIFA a commencé à réglementer tout ça en faisant une circulaire pour dire qu’on ne pouvait pas obliger les joueurs à prolonger leur bail au-delà du 30 juin, à moins d’un accord avec le club via un avenant de prolongation.
Le football féminin est aussi sévèrement affecté par la crise sanitaire. Est-ce aussi un champ d’action pour l’UNFP ? Bien sûr, on raisonne de la même manière avec le football féminin qu’avec celui des hommes. Nos actions, notre lobby auprès du ministère et de la Fédération, cela concerne aussi la D1 féminine. On est sur le pont.
La croissance du foot féminin ne risque-t-elle pas d’être freinée ? C’est vrai que ça peut être un coup d’arrêt. Il y avait une dynamique récente, qui a vu son apogée lors de la Coupe du monde en France l’été dernier, mais cette crise peut clairement freiner son développement.
Pensez-vous que cette pandémie puisse changer la face du foot ? Je souhaite que ça change depuis un moment, ça date d’avant cette crise sanitaire. J’ai souvent dénoncé la bulle financière qui s’est faite par le système des transferts.
Aujourd’hui, beaucoup de clubs basent leur budget sur le trading des joueurs, c’est-à-dire leur vente. Je trouve que c’est amoral et anormal. On est en discussions avec la FIFA pour limiter ces excès, ce trading. Il faut au moins que cette crise serve à quelque chose. On fait du marquage à la culotte à la FIFA pour entraîner la modification de ce système, afin d’éviter une nouvelle crise économique dans un an ou deux.
Du coup, êtes-vous optimiste ? Non, je ne suis pas optimiste, car mon passé dans le système me fait croire que ça va être très compliqué de le changer. Quand tu es à l’intérieur, c’est compliqué de pouvoir faire autrement. Je ne me fais pas trop d’illusions, malheureusement.
Vous êtes à la tête de l’UNFP depuis plus de 50 ans. Est-ce la première fois que vous vous retrouvez confronté à une telle crise ? Oui et non. (Il réfléchit.) En fait, c’est la deuxième fois que je vis ça. En 1972, on a été obligés de faire la grève du championnat pour arriver à obtenir une convention collective. Cette grève avait quand même réuni 300 joueurs à Versailles à l’occasion d’un congrès ! Et l’arrêt du championnat avait conduit à cette convention collective, qui s’applique encore près de cinquante ans plus tard. Si on n’avait pas fait cette grève, on n’aurait rien obtenu. Ce que je veux mettre en avant, c’est qu’un gros problème, une grave crise, comme cette épidémie, peut aussi faire comprendre aux pouvoirs publics et sportifs que c’est le moment de changer les choses. Pour ne pas retomber dans les mêmes travers.
Propos recueillis par Clément Gavard