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Montanier, sous le sunlight de Toulouse
Sur le banc de Toulouse depuis 2021, Philippe Montanier est de retour en finale de la Coupe de France ce samedi, neuf ans après y avoir échoué avec Rennes. L’occasion rêvée, pour un technicien discret mais unanimement apprécié, de se retrouver sous le feu des projecteurs.
Philippe Montanier a posé ses valises à Toulouse en 1994. Le gardien normand n’avait jamais vécu plus au sud que Nantes, alors il a dû s’adapter en Midi-Pyrénées. « Il faisait trop chaud, soufflait-il dans un entretien avec Free. Une chaleur… Je dis à ma femme : “Mais on va mourir ici ! Faut qu’on achète une voiture avec la clim.” À l’époque, c’était pas systématique. Donc la première chose que j’ai faite, c’était acheter une Saab avec la clim pour pouvoir vivre et voyager correctement. » Malgré le thermomètre, le TFC reste le club pour lequel il a le plus joué – 88 matchs en trois saisons, et une montée dans l’élite en 1997. Le soleil occitan lui a d’ailleurs souvent souri, puisque c’est aussi à Toulouse, en août 2009, qu’il a décroché sa première victoire en Ligue 1, avec Valenciennes. Une symbiose avec la Ville rose qui ne s’est pas démentie depuis sa prise de fonction comme coach du Téf en 2021. Samedi, le natif de Vernon vivra sa troisième finale de Coupe de France – il a perdu les deux premières, avec Bastia en 2002 (comme adjoint de Robert Nouzaret) et Rennes en 2014. Une aventure en forme de revanche après une succession d’expériences mitigées, de la Bretagne à Liège, en passant par Nottingham et Lens.
Roulez jeunesse
Diplômé en STAPS, Montanier avait déjà la casquette d’éducateur au début de sa carrière de joueur pro à Caen, où il s’occupait des petits le mercredi après-midi. Sa future reconversion se dessinait déjà à ce moment-là pour Hubert Fournier, son coéquipier en Normandie : « C’était un gardien qui donnait beaucoup de consignes. Il avait un regard assez marqué sur la tactique, le positionnement de sa défense… Ce n’est pas si étonnant que ça, le poste de gardien donne déjà un certain recul nécessaire, et puis tu dois avoir cet impact sur les joueurs à proximité de toi pour t’éviter des ennuis. Il avait déjà ça. » Montanier s’est particulièrement nourri de son mentor Robert Nouzaret. Le Marseillais l’a lancé chez les pros, au moment où il était payé 50 centimes au spectateur, l’a ramené à Saint-Étienne à la fin de sa carrière pour qu’il encadre Jérôme Alonzo et Jérémie Janot, avant de le prendre comme adjoint à Toulouse, à Bastia et en Côte d’Ivoire. Il en a retenu une chose : « Il n’avait pas peur de mettre les jeunes. Il ne faut pas avoir peur. »
En élève appliqué qu’il est, Montanier a appliqué la leçon partout où il est passé. À Valenciennes, où il a lancé Tae-hee Nam, Nicolas Isimat-Mirin ou Vincent Aboubakar, tout juste majeurs. Dans la Ville rose, où son Téfécé fait partie des dix équipes les plus jeunes d’Europe, avec Logan Costa ou Anthony Rouault comme symboles. Mais surtout du côté de la Real Sociedad, où il s’est largement appuyé sur le centre de formation local. Seuls trois joueurs dépassaient les 25 ans dans son premier onze de départ au Pays basque. Une ligne directrice à laquelle il s’est tenu pendant ses deux ans au club, en installant notamment Iñigo Martínez, Asier Illarramendi et Antoine Griezmann, entre 20 et 21 printemps au moment de l’arrivée du technicien français. « Modestement, nous étions les bonnes personnes au bon moment et au bon endroit, se souvient son fidèle adjoint, Michel Troin. On avait un groupe jeune, donc c’était idéal. » Rien de surprenant à ce que la fédé lui ait confié les rênes de l’équipe de France U20 en 2017. Un poste qu’il tiendra sept mois, jusqu’à ce qu’il retrouve un club, et qui l’a vu diriger Evan Ndicka, Jules Koundé, Romain Perraud, Axel Disasi, Mattéo Guendouzi ou Ibrahima Konaté.
L’humilité et la simplicité, carburants de l’efficacité
Reconnu comme formateur, Montanier a surtout construit ses succès sur son professionnalisme. Une condition sine qua non à Boulogne-sur-Mer, où il effectue ses débuts comme entraîneur principal en 2004, alors que le club évolue en CFA. Les mains dans le cambouis. « On n’était que deux dans le staff, rembobine Fournier. Philippe était coach numéro 1 et entraîneur des gardiens. Moi, je faisais la préparation physique, le rôle d’adjoint, j’assurais le travail spécifique attaquants / défenseurs… On travaillait comme dans un club professionnel, mais à deux. Il ne valait mieux pas qu’on compte nos heures, sinon le club aurait eu des soucis avec le ministère du Travail ! On était de jeunes entraîneurs avec plein d’idées et d’envie, on s’est démultipliés pour que ça marche. C’était un formidable laboratoire pour deux jeunes entraîneurs, on avait les clés du camion et on nous laissait travailler. » Un engagement reconnu par son président de l’époque, Jacques Wattez : « Il s’est investi à 200%, toujours là 30 minutes avant les joueurs. Et alors, qu’est-ce qu’il est méticuleux ! Avec les autres entraîneurs que j’ai eus, le vestiaire était un peu négligé. Avec lui, tout était rangé, propre. Il était très exigeant sur le respect de la femme de ménage et des gens qui travaillaient dans le club. Un joueur qui laissait le bazar dans le vestiaire, il était convoqué pour remettre de l’ordre. »
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Les résultats ont suivi : un quart de finale de Coupe de France (2005) et trois ascensions en cinq ans avec l’USBCO, qu’il a déposée en Ligue 1 en 2009. Idem au VAFC, qu’il a mené à la dixième et à la douzième place du championnat, ainsi qu’à la Real, qu’il a qualifiée pour la Ligue des champions en 2013. Le jeu prôné, entreprenant et porté vers l’avant, lui vaut également des vagues de compliments, parmi lesquels celui d’avoir fait de Valenciennes « le Barça du Nord ». Il présentait son idéal dans les colonnes de La Dépêche en 2021 : « Avoir le jeu de possession du Barça et attaquer aussi vite que le Real de Mourinho. Un peu-beaucoup ce football total dont j’aimerais qu’on se rapproche. C’est une quête. » Damien Comolli l’a justement recruté à Toulouse pour son identité de jeu basée sur la possession, un pressing haut et une récupération rapide du ballon. Résultat ? Le TFC a inscrit 82 buts en Ligue 2 la saison passée, du jamais-vu dans l’histoire de ce championnat.
Même en pleine ascension, et même couronné meilleur entraîneur de Liga en 2012-2013 face à José Mourinho, Diego Simeone ou Tito Vilanova, Montanier garde les pieds sur terre, avec la même simplicité qui lui a fait gagner le respect. « Professionnel jusqu’au bout des ongles, compétent, sain… Si on n’avait que des gars comme ça, putain… Ce serait l’Amérique ! », s’exclame Nouzaret. Il avait d’ailleurs été choisi pour encadrer les candidats au BEPF dans le cadre de leur formation après son éviction de Nottingham Forest. « Philippe, c’est quelqu’un qui aime les gens, qui est ouvert, qui n’a pas de prétention, pas d’ego – c’est rare dans ce milieu, souligne Fournier. Le petit (Anthony) Lecointe, un joueur emblématique de Boulogne, représentait un peu les valeurs du Nord. Il travaillait sur le port de pêche, il se levait à 4 heures du matin, mais c’était le premier à l’entraînement. On s’est appuyés sur des joueurs comme ça pour que les gens reconnaissent l’identité boulonnaise au travers de l’équipe avec ces notions de travail, d’humilité. Quelque part, ça correspondait aussi à nos personnalités. »
Trop gentil, trop discret
Le Normand a laissé une telle empreinte auprès de ceux qu’il a côtoyés que ceux-ci, même des années plus tard, ne tarissent pas d’éloges à son égard. Aurait-il toutefois une quelconque faille, une potentielle faiblesse ? Apparemment, oui : sa gentillesse. « C’est peut-être son point faible, parce qu’on peut l’interpréter comme une forme de laxisme. On peut faire ce qu’on veut, il ne dira rien », suggère Damien Perquis, que l’entraîneur français a attiré à Nottingham Forest. Ce trait de caractère lui a notamment porté préjudice à Rennes, avec lequel il a disputé, dès sa première saison, la finale de la Coupe de France. Un an plus tôt, les Rouge et Noir avaient déjà trébuché sur la dernière marche en Coupe de la Ligue, contre Saint-Étienne. « L’environnement du club n’a pas cessé de répéter que Frédéric Antonetti avait été trop sévère avec les joueurs, rejoue Michel Troin. Tout le monde a conseillé à Philippe de dédramatiser la chose, d’aborder cette rencontre sereinement, alors qu’il aurait franchement fallu mettre les points sur les i. Là encore, il a été trop gentil. » À l’issue d’une prestation infâme, le SRFC s’est incliné devant Guingamp (2-0). En plus de laisser une profonde cicatrice chez Montanier – « Perdre une finale, on ne s’en remet jamais », lâchait-il après la récente victoire du TFC à Annecy -, ce rendez-vous manqué a marqué une cassure dans son aventure bretonne, qui s’est d’ailleurs transformée en « traquenard », selon son adjoint de l’époque. Désireux de s’offrir les services de Christian Gourcuff, le nouveau président René Ruello a savonné la planche de son entraîneur, d’abord chapeauté par Rolland Courbis, puis poussé vers la sortie en janvier 2016, au sortir d’une élimination en Coupe et alors que son équipe n’était qu’à trois points du podium. « Le président a sauté sur cette opportunité pour nous écarter. S’il nous laisse, il y a des chances qu’on finisse dans les cinq premiers, et il aurait été ennuyé », grince Troin.
S’en est suivi un enchaînement d’expériences frustrantes et coupées prématurément. À Nottingham Forest comme au Standard de Liège, l’ex-gardien a pris la porte après quelques mois à peine. À Lens, il a été remercié deux journées avant l’interruption due à la crise sanitaire et c’est Franck Haise, son successeur, qui a récolté les lauriers de la montée en Ligue 1. « Il a connu les aléas d’un entraîneur, avec des hauts et des bas, mais pas de gros couacs », relativise Jacques Wattez. Des aléas que l’intéressé a traversés en silence, sans faire de vague. Très discret dans les médias, totalement absent des réseaux sociaux, Philippe Montanier a fait le choix d’une communication lisse et minimaliste, contrairement à bon nombre de ses confrères. « Comme il ne parle pas, ne fait pas de déclarations tapageuses, de punchlines, on parle peu de lui », regrette Michel Troin, avant d’ajouter : « Il y a le savoir-faire et le faire-savoir. Dans le foot d’aujourd’hui, vous avez l’impression que le plus important, c’est le faire-savoir. Or, Philippe est plus dans le savoir-faire. » Victime d’une « campagne médiatique odieuse » à Rennes, puis d’une « injustice » à Lens, dixit Troin, le quinquagénaire a donc soigneusement évité de faire du bruit. Une discrétion qui peut expliquer le relatif manque de reconnaissance dont il souffre. « Dans ce milieu, malheureusement, il faut être calculateur, et peut-être que Philippe ne l’a pas été suffisamment, s’interroge Fournier. Certains sont beaucoup plus stratèges, y compris dans la communication, pour se mettre en avant. Philippe n’est pas du tout comme ça, il a beaucoup d’humilité. De temps en temps, je me dis qu’il est plutôt sous-coté. »
« Humainement, ça a été une régalade »
Malgré ses mésaventures et les coups bas qu’il a endurés, Montanier n’a jamais dérogé à ses principes. Ni à ses valeurs humaines, très appréciées dans les vestiaires. « Même si les résultats ne suivaient pas, il était aimé du groupe, assure Nicolas Gavory, qui l’a connu à Liège. On pouvait échanger facilement avec lui. Il était souriant, il dégageait une bonne énergie. » Michel Troin, qui n’a plus travaillé avec lui depuis leur collaboration à Rennes, garde le souvenir d’un homme « très ouvert sur la société, le monde, les personnes. Il voit vite ce qu’il faut et ne faut pas faire. C’est un entraîneur qui sait mettre les gens en valeur. » Ses joueurs, surtout. « Dieu sait qu’il est souvent monté au front vis-à-vis de ses élus ou de ses présidents pour défendre ses joueurs, souffle Hubert Fournier. Parfois, je trouvais même que c’était un peu excessif, il pouvait défendre des personnes qui ne le méritaient pas. Mais je préfère ces gens-là que ceux qui trahissent père et mère pour réussir. »
À Nottingham, Damien Perquis a eu un coup de cœur pour le « côté paternel » de son entraîneur, avec lequel il est parfois allé boire un café ou manger au restaurant. « Avec Furlan et Gillot, Montanier est dans mon top 3 humainement parlant, hiérarchise l’actuel consultant pour beIN Sports. Ça a été une régalade. Son point fort, c’est sa proximité avec les joueurs. Contrairement à d’autres anciens entraîneurs, il a su s’adapter aux nouvelles générations, il a progressé avec son temps. Aujourd’hui, il évolue dans un vestiaire très jeune et réussit à discuter, échanger avec eux, parce qu’en plus, il maîtrise bien l’anglais et l’espagnol. » Ce qui s’est avéré très utile à Toulouse, avec un effectif jeune et très cosmopolite.
Grand lecteur, fin amateur de vin, Philippe Montanier se distingue aussi par son inusable sens de l’humour. Les journalistes y sont confrontés en conférence de presse, où leur interlocuteur se montre volontiers taquin, voire un brin cabotin. « Avec sa tête à vendre des lacets, on ne s’attend jamais à ce qu’il soit bon dans ce domaine, s’amuse Robert Nouzaret. Dès qu’il peut rigoler, il le fait, même quand on avait des périodes difficiles. C’est un gars qui sait vivre. » Avec lui, ses joueurs ne sont jamais à l’abri d’une plaisanterie. « Il avait toujours un mot sympa pour chambrer, sourit Perquis. Bon, comme il traduisait ses blagues françaises en anglais, c’était parfois compliqué, parce que ce n’est pas le même humour. » Mais en dépit de sa bonhomie et de sa gentillesse, le meilleur entraîneur de Ligue 2 en 2021-2022 est, de l’aveu général, capable de piquer de sacrées colères. « Au lendemain d’une défaite, Montanier nous avait pris en face à face les uns après les autres et nous avait refait le portrait, se remémore Gavory. Il était clairement remonté, et il nous l’avait fait comprendre en nous disant nos quatre vérités à chacun d’entre nous. » Du rire ou des larmes, des cris de joie ou de rage, on ne sait pas encore ce qui résonnera dans le vestiaire des Violets, samedi soir. En revanche, Philippe Montanier sait ce qu’il lui reste à faire pour, cette fois, entrer dans la lumière.
Par Quentin Ballue et Raphaël Brosse
Tous propos recueillis par QB et RB, sauf mentions.