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Philippe Layat dans l’os
C'est l'histoire d'un paysan, privé de ses fusils et bientôt privé de ses terres, qui lutte depuis 7 ans contre l'OL et ses envies de nouveau stade. Aujourd'hui, le céréalier est seul à faire entendre ses cordes vocales au milieu des bulldozers et du goudron chaud qui se rapproche un peu plus, jour après jour, de sa ferme. Entre coups de sang et émotions palpables, Philippe Layat nous compte son combat ; football versus agriculture.
Voilà sept ans que le sanguin paysan lyonnais passe par toutes les émotions. Du projet de construction d’un nouveau stade et d’un nouveau plan d’urbanisation en 2007, à la signature du permis de construire, en passant par le début des travaux amorcé il y a un an, l’homme a pris des rides et perdu du poids. La chemise rentrée dans le pantalon, la ceinture réajustée et le cheveu fin et broussailleux, l’homme fait le guet aux abords de ses terres. Combattant infatigable depuis sept longues années, l’éleveur d’une soixantaine d’année sent que la guerre menée touche à sa fin. Un matin, il s’est réveillé avec d’énormes tas de terre dans ses champs de céréales, rendant ainsi impossible la poursuite de son activité. « Il tient grâce à sa femme, sans elle il aurait pris son fusil de chasse et aurait flingué tout le monde depuis belle lurette » , se désole un de ses proches. En marge de l’Euro 2016 et de la construction du nouveau stade de l’Olympique lyonnais, Philippe est tout simplement menacé d’expulsion. Chose impensable pour le bougre, dont la famille est dans le milieu agricole depuis 400 ans. « Moi, je pensais, comme mes ancêtres, tranquillement couler mes derniers jours dans cette ferme. Tu sais, pendant la guerre, les nazis venaient et réquisitionnaient ta ferme, tuaient tes bêtes. Bah aujourd’hui c’est pareil, sauf que l’ennemi est de chez nous cette fois » , s’emporte-t-il. Lui est le dernier des 80 autres agriculteurs expropriés, le seul à encore faire de la résistance. Logique quand on sait que le réfractaire est un des seuls propriétaires des alentours. Les autres étant majoritairement des métayers ou de petits particuliers, peu ont vraiment eu l’opportunité de contester leur expropriation.
« Ils nous prennent pour des jambons »
Alors qu’il cultive ses terres et pense nourrir les Français, sans les empoisonner de pesticides, Philippe Layat va être prié de déguerpir pour laisser place à la construction d’un stade flambant neuf servant, selon lui, simplement à distraire la populace. L’éleveur dit ne rien avoir contre le football, mais le type a fait le calcul. On lui propose, en compensation de sa ferme et de son patrimoine familial, l’équivalent d’un mois de salaire d’un joueur lyonnais : « Moi, j’ai pas fait d’études, mais je suis pas un jambon non plus, je sais que y a un monde à deux vitesses. » Déjà accusé par la partie adverse de menace de mort, le sexagénaire se taira sur Jean-Michel Aulas, par crainte de faire l’objet de nouvelles accusations. Pourtant, sa voix et ses balbutiements trahissent l’opinion qu’a le brave sur le président de l’OL : « Il fait partie de la franc-maçonnerie et ces gens-là ne reculent devant rien, pas même la loi. Ils trouveront de toute manière toujours moyen de la contourner ou de la modifier » , souffle Philippe. La preuve, le 14 mai dernier, la cour administrative d’appel a rejeté le recours à « l’utilité publique » qui aurait accéléré le processus d’urbanisation et d’expropriation. Pourtant, le Grand Lyon a quand même débuté, les jours suivants, des travaux sur les parcelles de terres de l’intéressé. « C’est comme le Touvenou, tédou… (Thomas Thévenoud, ndlr) ou je sais plus quoi, qui ne payait pas ses impôts. Moi, si demain je me mets à arrêter de payer mes factures, je vais être dans la merde. » Malgré la venue de jeunes hippies et d’altermondialistes sur la propriété de Philippe, et d’actions coup de poing comme celle de mercredi dernier, où des paysans de la confédération paysanne du Rhône étaient venus occuper les locaux du Grand Lyon accompagnés de leurs moutons, l’asticot semble être déjà dans la pomme. « Je suis pas religieux et je ne crois pas en toutes ces foutaises, mais je respecte Saint-François de Sales pour avoir dit : « La plus lâche de toutes les tentations est celle du découragement. » Ça, ça te fout du baume au cœur. »
« Site archéologique en danger »
La ferme de Philippe Layat a vu défiler bien des printemps et des gouvernements. Les lieux abritent non seulement tout un tas de souvenirs, mais aussi et surtout un site archéologique authentique. Fossiles, vestiges d’une bâtisse vieille d’une centaine d’années, tout a été recouvert à la va-vite par les machines. Un vandalisme qui dégoûte le paysan et insurge pas mal de pôles culturels locaux. Interrogé sur le sujet, Roland Crimier, vice-président du Grand Lyon, aurait consulté la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles, ndlr), mais cette dernière n’aurait pas jugé bon de se pencher dessus. « Depuis Sarkozy, les archéologues ne se déplacent plus que sur des cas uniques » , se désole Gwen Torterat, professeur d’ethnologie à la fac de Nanterre. En dépit de la valeur patrimoniale et sentimentale des hectares du céréalier, le Grand Lyon et l’OL ne lui proposent qu’un euro du mètre carré et 78 centimes de prime d’éviction. Lui n’est pas allé les chercher, considérant la somme dérisoire et insultante. « L’OL gagne non seulement ses matchs sur des hold-up, mais va prendre également les terres de Philippe sur un hold-up encore plus ignoble » , s’emporte un de ses proches. Philippe n’espère plus faire pencher la balance de son côté, mais promet aux autorités et aux bulldozers qu’ils devront « lui passer dessus » , avant de détruire sa ferme. Le 21 octobre prochain, la justice aura en tout cas toutes les chances de délivrer le verdict d’une mort annoncée.
Par Quentin Müller