Le livre blanc parle avant tout de questions économiques. Le retard du football de club français ne s’explique que par des problèmes d’ordre économique ?
En tout cas, on est venus sur le terrain économique, car nous sommes un regroupement de dirigeants de clubs, et ces dirigeants ont la responsabilité de la gestion de leurs clubs, donc ce sont ces aspects qui sont mis en avant dans le rapport. Après, bien évidemment, les questions d’ordre purement sportif doivent aussi être abordées, mais on le fera en concertation avec des techniciens, entraîneurs et joueurs. Tous ceux qui sont sur le terrain, car de ce côté-là aussi, nous devons enrichir notre réflexion. Mais nous nous sommes concentrés dans ce livre blanc sur les éléments qui sont directement de notre responsabilité, à savoir tous les aspects d’environnement juridique, économique, fiscal, que nous avons comparés à nos voisins européens.
Vous pointez 1995, et l’application de l’arrêt Bosman, comme un moment charnière, vous pouvez développer ?
C’est une date symbolique parce que d’une part – on le rappelle dans le rapport – la France était classée deuxième à l’indice UEFA en 1995. Deuxième meilleure nation parmi la cinquantaine de nations de l’UEFA, ce qui signifie que nous étions très performants. C’est l’époque où Marseille gagnait la Ligue des champions en 1993, le PSG remportait la Coupe des coupes en 1996, et on peut penser que cela s’est prolongé jusqu’en 1998 avec la victoire de l’équipe de France en Coupe du monde. Il faut se souvenir qu’avant 1995, il y avait des quotas de joueurs étrangers dans les équipes. Ils étaient limités à trois par effectif. Cela signifiait que l’essentiel des joueurs français jouaient pour des équipes françaises, et que les étrangers n’étaient que des « valeurs ajoutées » dans nos équipes. En 1995, la Cour de justice européenne avec l’arrêt Bosman a décidé de reconnaître le principe de libre circulation pour les footballeurs au sein de l’Union européenne, et à partir de ce moment-là, on a assisté à la mise en concurrence de systèmes fiscaux et sociaux, d’environnements juridiques entourant les clubs, différents selon les pays. À ce jeu, la France s’est trouvée pénalisée. Je ne porte pas de jugement sur le fond, nous ne dressons qu’un constat, mais la France s’est retrouvée face à des concurrents avec des avantages compétitifs supérieurs à ceux de la France. Cela s’est traduit par les départs à l’étranger de nombre de nos joueurs. Avant 1995, ils n’étaient que quelques-uns. Depuis cette ouverture s’est faite sans qu’il y ait une harmonie des règles à l’échelle européenne. Si bien que pour la France, cela s’est traduit par l’exode de centaines de joueurs, surtout les meilleurs. Donc cela a eu un effet d’appauvrissement sportif pour nos clubs. La traduction à l’indice UEFA, c’est une dégradation de notre classement. Aujourd’hui, on se bat pour garder la sixième place. Ce recul, nous l’avons appelé « décrochage » .
Le budget de la Ligue des champions correspond au chiffre d’affaires de l’ensemble du foot français
La position à l’indice UEFA, c’est un peu le cercle vicieux : plus vous reculez, et plus la situation va s’aggraver avec la réduction de places en Ligue des champions pour les clubs français…
Absolument, c’est bien la raison de notre inquiétude. Les Coupes d’Europe déterminent la valeur d’un championnat. C’est d’abord l’indice UEFA qui détermine le nombre de participants, et pouvoir disputer les compétitions européennes, c’est se frotter aux meilleurs clubs du continent, donc progresser sportivement. Mais d’un point de vue économique, c’est aussi avoir accès à des ressources toujours plus importantes. Cette saison, le budget de la Ligue des champions représente 1,6 milliard d’euros, l’équivalent du chiffre d’affaires de tout le football français. Ces ressources sont déterminantes pour chaque championnat afin de se tirer vers le haut. L’an passé, le PSG a touché 55 millions d’euros grâce à sa place de quart-de-finaliste. Le titre de champion de France ne lui a rapporté que 44 millions d’euros. À côté de ces ressources directes, il y a une exposition médiatique qui représente des centaines de millions de spectateurs. C’est un outil marketing, un levier pour générer des revenus internationaux en vendant à l’étranger des droits de son championnat. Le meilleur exemple, c’est l’Angleterre qui touche près de 900 millions d’euros annuels juste pour la vente de ses droits télé à l’étranger. C’est une vérité pour des clubs comme le Real Madrid ou le FC Barcelone qui tirent des revenus substantiels de la vente de leurs droits à l’étranger. On peut penser qu’il y a une vraie corrélation avec la participation de ces clubs à la Ligue des champions, c’est un élément déterminant de l’attractivité d’un championnat.
La taxe à 75% est un autre handicap que vous présentez. Vous la montrez notamment comme totalement à contre-courant de ce qui se fait en Allemagne, où il y a un plafond sur les charges patronales. En clair, l’État allemand favorise le recrutement de stars en Bundesliga, mais pas l’État français pour sa Ligue 1 ?
Non seulement le modèle allemand permet de recruter des joueurs de haut niveau, mais aussi de ne pas en perdre. En Allemagne, une grande partie des meilleurs joueurs allemands reste au pays. La taxe à 75%, on ne se prononce pas sur sa légitimité – on laisse cela à la sphère politique -, mais pour nous clubs de football, cela a été dramatique. Nous avons des CDD, et quand on engage un joueur, on l’engage dans un environnemet social et fiscal qui nous permet d’évaluer le coût de cet engagement. Or, quand en cours de parcours, on change les règles du jeu en vous disant que le joueur pour lequel vous aviez budgétisé une certaine somme, finalement vous avez une taxe supplémentaire de 75%, cela change complètement les paramètres et met en danger les clubs. En mai 2014, nos clubs ont versé entre 40 et 45 millions d’euros, et en mai prochain, nos clubs seront amenés à payer une somme équivalente. Quand on évoque les déficits du football français, il faut évoquer ces données-là. Nous avions déjà eu à subir en 2010 la suppression brutale du droit collectif à l’image (DIC) dans des conditions très similaires à la taxe à 75%. On avait recruté des joueurs en pensant avoir des exonérations de 30% de charges sociales sur leurs salaires, et soudainement, on nous indiquait que c’était fini, alors que c’était censé durer au moins jusqu’à 2012. On s’est retrouvé avec 30% de charges supplémentaires imprévues. C’est imprévisible, on ne peut pas le gérer. Cela a amené des clubs qui étaient censés avoir des résultats positifs à avoir des bilans négatifs, car les sommes supplémentaires n’étaient pas provisionnées.
La France a également du retard en termes de recettes « hors transfert » , sur ce point-là, on ne peut pas accuser la politique ?
Il y a les deux. On pense que nous avons à travailler pour optimiser nos ressources, cela nous appartient. Mais cela ne peut être déconnecté de l’environnement dans lequel on évolue. On est l’un des derniers grands pays à ne pas avoir de stades modernes. Nous ne les aurons qu’au moment de l’Euro 2016. Cela veut dire qu’en termes de recettes guichets, nos clubs ne sont pas aux normes des meilleurs standards internationaux. On ne nous permet pas non plus de vendre de la bière ou de faire de la publicité pour des alcools dans le stade. Tout cela, ce sont des recettes en moins.
Tout le monde peut prendre une bière à 10 mètres du stade et une fois à l’intérieur, c’est interdit
Certains de nos handicaps semblent des points positifs : pas de publicité pour de l’alcool même si vous aimeriez en vendre, solidarité entre L1 et L2, prix des abonnements moyens bas de gamme plus bas…
On a toujours souhaité que le football soit populaire, donc nos prix sont parmi les plus attractifs d’Europe. Pour la question de l’alcool, quand on regarde les revenus tirés par certains de nos voisins, le constat c’est qu’on ne fait pas de recettes là où ils en font des conséquentes. En plus, la situation française est hypocrite. Tout le monde peut prendre une bière à 10 mètres du stade, et une fois à l’intérieur, c’est interdit.
Lors de la présentation de votre livre blanc, Jean-Michel Aulas a parlé de l’importance de posséder son stade pour un club ambitieux. En référence à l’ensemble des recours qui lui ont été opposés pour le Stade des Lumières, il a même dit qu’il fallait « interdire l’acharnement juridique » …
Le stade de Lyon a pris près de cinq années de retard. Le problème dépasse le cadre du football en France, dès qu’il s’agit de la construction d’un nouvel équipement. Jean-Michel Aulas a chiffré à environ 100 plaintes autour de la construction de son stade. On voit qu’il y a une sorte de harcèlement juridique, parfois mal intentionné. Cela se pose pour le sport et bien d’autres équipements publics, des problèmes en termes de développement.
Au-delà de tous ces handicaps économiques et structurels, n’y a-t-il pas aussi des raisons non financières de ce décrochage ? Notamment en termes de mentalité, de façon d’aborder les compétitions européennes par exemple ? Le bilan français en C1 est très correct, en revanche, il est catastrophique en C3, alors que le niveau est inférieur.
Il y a clairement la nécessité d’une prise de conscience, nous cherchons à faire comprendre à tous nos clubs l’importance de la Ligue Europa dans la quête de points à l’indice UEFA. Maintenant, effectivement, il a pu y avoir des calculs à un certain moment car le championnat reste essentiel pour la vie des clubs. Très souvent, la priorité est donné au championnat, car ces clubs doivent rester dans l’élite et n’estiment pas avoir l’effectif assez large pour jouer dans toutes les compétitions. La Ligue Europa, cela commence en juillet-août et s’achève en mai. C’est un demi-championnat supplémentaire. Mais c’est une compétition très relevée, et parmi nos concurrents, il y a des équipes avec des moyens très importants.
Le PSG est une vraie locomotive pour la Ligue 1
La Ligue 1 a aussi du retard en sponsoring, en remplissage de ses stades, mais là ça ne touche pas tant à un problème économique, mais peut-être un problème d’image et de passion. La Ligue 1 ne manque t-elle pas de spectacle ?
Sur ce point, vous avez raison. C’est une réflexion que nous avons et sur laquelle nous voulons apporter un certain nombre de réponses.
À part l’Angleterre, très cosmopolite, la plupart des grands championnats ont un ou deux clubs qui agissent comme locomotive et ont une ossature de joueurs locaux. Le fait que le PSG soit principalement composé d’étrangers, ce n’est pas contre-productif ?
Il ne m’appartient pas de juger de la politique de recrutement du PSG. S’il investissait en France, c’est sûr que cela permettrait à des clubs français de réinvestir sur le marché des transferts. Mais en termes de droits TV internationaux et de billeterie, avec son effectif actuel, le Paris Saint-Germain est une vraie locomotive pour la Ligue 1. Partout où il va, il remplit les stades, il est attractif à l’international, marque des points à l’indice UEFA. De ce point de vue-là, le Paris Saint-Germain est plus une chance pour les clubs. L’idéal, ce serait qu’à terme, la présence du PSG permette à d’autres clubs d’assurer leur développement et de venir le concurrencer. C’est ce qu’il s’est passé en Angleterre, l’essor économique a profité à un grand nombre de clubs. On voit que maintenant en Angleterre, au-delà du traditionnel Big Four, on a d’autres clubs qui viennent se mêler à la lutte, en ayant profité de la locomotive du Big Four pour se développer. C’est aussi notre espoir de voir les résultats du PSG entraîner des clubs comme Marseille, Lyon, Bordeaux ou Saint-Étienne…
L’UEFA a instauré le fair-play financier, quelle est votre opinion à ce sujet ? Les clubs français sont moins endettés que d’autres, mais pas moins dans son viseur. Cet instrument a encore besoin d’ajustements ?
La première chose sur le fair-play financier, c’est de considérer que c’est une excellente initiative. Quand on a ouvert les frontières en 1995, on l’a fait sans harmonisation. L’initiative de l’UEFA est bonne, mais il y a un travail colossal à accomplir. Il y a encore des ajustements à faire pour le rendre réellement équitable pour l’ensemble des clubs. Cette notion d’endettement est une donnée qui n’a pas été prise en compte. Après, il ne faut pas tout mettre dans le même lot : il y a de bonnes dettes, lorsque vous investissez dans des infrastructures par exemple. Ce que nous regrettons, c’est la mauvaise dette qui consiste à s’endetter pour acheter des joueurs hors de portée normalement, à ne pas payer ses charges fiscales… Il faut que les règles du jeu soient équitables. La dette globale de l’Espagne est principalement composée de dettes fiscales et sociales. Les règles ne sont clairement pas respectées. Le fair-play financier gagnerait à aller vers cette notion de l’endettement…
Avez-vous déjà des solutions pour améliorer le foot français et uniformiser les règles à l’échelle européenne ?
C’est la deuxième phase. Déjà, on voulait faire un constat qui puisse être partagé par tous les acteurs. On ne peut pas réformer sans un consensus autour du constat. La deuxième phase a déjà commencé, et nous cherchons des réponses. Il y en a au plan national, nous nous réunissons le 18 décembre pour cela. Au niveau européen, l’UEFA a fait une réunion à propos du fair-play financier où le foot français était représenté par Lyon et le PSG. On va voir dans les semaines à venir ce que l’UEFA aura retenu de ces propositions et propose comme ajustements.
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