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Peyrelade : « À Rodez, les gens veulent voir quelque chose de gaillard »
Ancien attaquant du LOSC ayant terminé sa carrière au Mans en 2005, Laurent Peyrelade a atterri à Rodez il y a quatre ans pour y connaître sa première expérience d'entraîneur principal. Déjà un succès pour ce technicien encore relativement inexpérimenté, puisque le club aveyronnais a validé sa montée en Ligue 2 il y a deux semaines, 26 ans après sa dernière aventure à ce niveau. Entretien avec un entraîneur à la notion de groupe si chère à Didier Deschamps et qui rêve de placer l'Aveyron sur la carte de la France grâce au RAF.
Une montée en Ligue 2, ce n’était plus arrivé depuis 26 ans à Rodez. On imagine que vous avez fêté ça comme il se doit ?On a bu un verre, oui. (Rires.) Mais une montée, ça n’a rien à voir quand tu es joueur et quand tu es entraîneur.
Comment ça ?Quand tu es joueur, tu ne te soucies pas de ce qui va se passer le lendemain. Tu profites de l’instant présent. Quand tu es entraîneur, tu ne peux pas : il y a le jour d’après, le match d’après, la saison d’après… Le temps ne s’arrête pas pour les entraîneurs.
Vous prenez peut-être votre métier trop à cœur ?Non, j’aime ce que je fais, c’est différent. Je ne me pose pas la question de savoir si c’est un métier, c’est un plaisir. Mais le problème de l’entraîneur, c’est de se garder des moments pour soi en se préservant de cet environnement du football, en se coupant de la réalité du résultat.
Vous avez ainsi pris la décision de refuser les sollicitations le week-end pour le consacrer à votre famille. Mais le football reprend vite ses droits ?Ça m’arrive d’y penser, oui. J’essaye d’arrêter, mais je n’y arrive pas encore. Je travaille sur ça.
Le club est passé de la relégation en CFA2 il y a 4 ans (finalement repêché administrativement) à la Ligue 2 la saison prochaine. Qu’est-ce qui s’est passé ? Déjà à Rodez, on dispose d’infrastructures sportives très agréables pour un club de CFA. Pour avoir des résultats, c’est important. On a également un stade qui a une âme et le soutien des élus. Tous les clubs n’en bénéficient pas.
Vous avez aussi forcément quelque chose à voir avec tout ça…
Ce n’est pas un seul homme, c’est une démarche collégiale qui existe à Rodez : on construit ensemble. Ma première année (lors de laquelle le club descend sportivement), je n’ai pas été bon. Les dirigeants auraient pu me dégager, mais ils ne l’ont pas fait. Ils m’ont laissé du temps et de la liberté pour travailler, c’est rare. On a voulu construire une vision à long terme du chemin à faire, et la vision de ce chemin ne s’est pas arrêtée à une anicroche sportive.
Qu’est-ce qui n’allait pas à l’époque ?Je n’étais pas connecté au contexte du club et de la région. J’avais un projet de jeu, adapté à du foot de centre de formation ou à d’autres endroits de France, mais pas à l’ADN du club et à la culture du département. Ici, on demande un engagement total. Les gens ne viennent pas voir quelque chose de beau, mais quelque chose de gaillard. Gaillard, dans le sens noble du terme. Si tu commences à faire cinq passes entre tes défenseurs centraux, ça ne va pas le faire.
Et une fois que vous avez compris ça, la machine était lancée ?
La première année a servi parce qu’elle a apporté un vécu collectif. Dès la deuxième saison, notre identité était là, les joueurs qu’on avait pris étaient dans le moule, et le noyau dur du groupe était dans le guidage. Ici, il faut que notre mentalité, notre notion de groupe soit plus forte que tous les autres. Il faut arriver à montrer qu’un joueur est plus fort dans cet état d’esprit plutôt qu’avec ses qualités individuelles. Ce ciment, c’est ce qu’il y a de plus difficile à créer, mais, pour moi, c’est beaucoup plus important que les qualités techniques.
Comment vous faites pour le créer, ce ciment et, surtout, pour le faire perdurer ?C’est une communication permanente. C’est prendre le joueur comme il est, comme une personne. C’est faire comprendre au groupe qu’il doit accepter les défauts des autres sans les juger. Quand tu arrives à faire ça, tu limites les comparaisons et les états d’âme. Et cette mentalité, mes joueurs doivent être capables de l’inculquer à ceux qui arrivent. Moi, je suis juste là pour guider, pour accompagner. D’autre part, je fais tourner énormément mon groupe. Des joueurs qui sont décisifs un week-end peuvent ne pas figurer dans le onze le week-end d’après. Ce n’est pas grave : l’important, c’est l’idée du chemin qu’on veut faire, l’aventure qu’on veut vivre. La clé, c’est d’avoir des joueurs intelligents et passionnés. Ils doivent être prêts à partager quelque chose et à argumenter, à avoir une capacité d’analyse pour progresser.
Trouver 24 joueurs qui adhèrent à cette mentalité ne doit pas être évident…C’est pour ça qu’il y a beaucoup d’Aveyronnais (neuf ou dix) dans notre groupe. Ils connaissent le contexte, ils s’y identifient plus facilement.
Et c’est aussi plus facile d’adhérer à un discours quand les résultats sont là. Vous n’avez pas peur que le lien de confiance se dégrade l’an prochain en cas de mauvais début de saison ?
Ce sera un long travail où il faudra constamment remettre l’église au centre du village, mais je n’ai pas peur avec ce groupe. C’est pour ça que j’aimerais le garder en l’état : tous ont la mentalité nécessaire. La question que je me pose, c’est : est-ce que notre politique de stabilité du groupe est viable au niveau professionnel ? On aura la réponse en fin de saison prochaine. Il faut aussi se décrocher du pur résultat sportif. Je considère que si on vit bien ensemble, si on est prêt à partager des choses ensemble, je ne vois pas pourquoi on aurait des mauvais moments. Alors c’est peut-être utopique, je sais, mais au moins on essaye. Et quitte à passer des mauvais moments, autant les passer avec des gens qu’on aime.
Que va faire le club pour se donner les moyens de rester en Ligue 2 ?Ce sera la même expérimentation que pour notre méthode sportive : on va voir si notre modèle économique peut survivre dans le monde pro. Il n’y aura pas de grosse politique de recrutement ou de grosse inflation de salaires, ce n’est pas possible par rapport à l’économie de notre club et de notre région. On ne se fait pas d’illusions. Si vous posez la question aux entraîneurs et présidents de Ligue 2 de savoir qui va descendre la saison prochaine…
Les débuts risquent d’être difficiles, puisque vous pourriez jouer à Bastia le temps que votre stade Paul Lignon se mette aux normes… On n’a pas le choix. Oui, c’est frustrant, mais si on ne fait pas ça, c’est Luzenac. Nous, on a la chance d’avoir des élus qui se mobilisent pour la rénovation du stade. Ensuite, on sera chez nous et j’espère que les supporters viendront aussi nous voir dans les moments difficiles. On n’a pas besoin de suiveurs, mais de partenaires.
L’ambition, c’est aussi que des gens hors d’Aveyron s’identifient au club ?
Ce serait déjà bien que les gens sachent où est l’Aveyron. (Rires.) L’idée, c’est d’abord de coller à l’identité des gens qui ont envie de venir nous voir. Si on peut faire venir des gens du Lot ou d’Aurillac pour voir des matchs, ce serait déjà super. La montée, c’est un magnifique coup de projecteur pour notre département enclavé. Il y a des marques planétaires en Aveyron, comme Roquefort ou (les couteaux) Laguiole, mais on ne sait pas qu’elles viennent d’ici. Le rêve du petit entraîneur que je suis, ce serait d’avoir ces marques sur le maillot pour que les gens qui s’identifient à Roquefort s’identifient à l’Aveyron et au club. Mais là aussi, je suis dans l’utopie, dans le rêve.
Propos recueillis par Douglas de Graaf