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Peut-on qualifier les joueurs marseillais de chèvres ?
Ce week-end, les photos de chèvres étaient nombreuses dans les tribunes du Vélodrome. L'objectif : rappeler aux joueurs de l'OM qu'ils étaient vraiment nuls. Car dans le monde du foot, traiter un mec mauvais du nom de l'animal est devenu une habitude. Mais est-ce vraiment justifié ?
La vanne est toujours la même. Dès que Cavani confond l’air avec la balle ou que Brandão montre une motte de terre après avoir loupé un contrôle, les insultes fusent. Dès qu’une équipe enchaîne les mauvais résultats ou s’incline contre un adversaire de division inférieure, les photos resurgissent sur les réseaux sociaux. La (bande de) chèvre(s). Les joueurs marseillais ont encore goûté à la sempiternelle blague ce week-end, avec des portraits à la gloire de l’animal brandis dans les tribunes. Définitivement intégré dans le dictionnaire du ballon rond, le mot « chèvre » désigne le mauvais footballeur au sens strict du terme. Le nul, le vrai. Tout le monde l’utilise, à tort et à travers, à bon ou mauvais escient, à titre mérité ou simplement pour vexer. Mais en vérité, il semble bien que le mouton ne soit pas celui qu’on pointe du doigt. Car en imitant ses congénères, le supporter fait preuve d’une certaine bêtise. En effet, qui peut expliquer pourquoi il emploie ce terme à chaque défaillance technique ? Personne. Alors, est-il justifié d’user du « chèvre » pour caractériser une brelle ? Thèse, antithèse : réponse en deux temps.
Oui, la ressemblance est évidente
D’abord, regardons attentivement l’animal. Connu pour son activité ruminante, la bête passe son temps à pâturer et mâcher l’herbe qui l’entoure. Ce qui la rapproche directement de l’attaquant qui mange la feuille de match pelouse après pelouse, match après match, minute après minute. De plus, la chèvre paraît toujours en manque d’appui. Ses pas sont timides et sa démarche peu assurée. Cela cache une maladresse évidente si on lui ajoute un objet dans les pattes. Exactement le profil du « buteur » qui ne marque pas et erre sur le terrain ou du défenseur qui a du mal avec ses pieds, désavantagé par une remarquable lenteur et se contentant de dégager le cuir en tribune. Un autre argument est apporté par Jules Kister, tondeur de chèvres et membre des Laines locales du réseau Limousin : « S’il n’est pas solitaire, cet animal se montre indépendant. Il a une forte individualité. Voilà peut-être un point commun qu’on peut trouver avec un footballeur, bon ou mauvais. »
Ainsi, la chèvre à crampons, bien que limitée, se distingue par une volonté de bien faire et une abnégation réelle… qui ne compense toutefois pas ses échecs. « La chèvre est un animal un peu sournois, elle est maligne » , apprend encore le spécialiste. Malgré son manque de talent naturel, le joueur à laine aurait donc réussi à camoufler sa faiblesse par de la roublardise, ce qui explique sa percée au plus haut niveau, en Ligue 1 ou ailleurs. Enfin, la notion de « chèvre » peut trouver ses origines dans l’expression française « devenir chèvre » , qui correspond à l’idée d’énerver, rendre fou quelqu’un, l’impatienter au plus haut point. Elle date du XVIIIe siècle, un temps où la chèvre possédait déjà un comportement brusque, avec des gestes violents estimés (à tort) comme colériques. Dès lors, facile de trouver la comparaison : de façon totalement inconsciente, le public de l’OM est exaspéré par les performances de son équipe, il s’impatiente devant l’attente d’une victoire au Vélodrome, il est rendu chèvre, il traite les joueurs de chèvres. Et les clichés de la bête sont de sortie.
Non, il n’existe aucune similitude fondée
Les propos de Jules Kister sont formels : il ne voit « aucun véritable élément qui pourrait permettre de qualifier le mauvais footballeur d’une chèvre » et n’observe même « aucun lien entre les deux espèces vivantes » . Si on prend par exemple l’aspect de l’intelligence comme critère, la comparaison ne tient pas. Niveau tactique, la chèvre ne ferait pas plus tache qu’une autre bestiole si elle devait aller se frotter à Messi et compagnie. « C’est une bête plutôt intelligente. Pas plus idiote que le mouton. Et pas moins habile qu’un bouc. Alors pourquoi utiliser le mot chèvre plutôt qu’autre chose ? » Début 2014, une étude britannique publiée dans Frontiers in Zoology a d’ailleurs corroboré ce fait en montrant que la chèvre était capable d’assimiler des gestes en quelques mois et de résoudre des énigmes en un temps record. Ce qui lui permet de faire par exemple ça :
Un bon début avant de s’attaquer aux pieds. Mais ce n’est pas tout. S’il est impossible de faire confiance à la mauvaise chèvre (celle du football), l’animal, lui, est gage de sûreté. Que ce soit pour filer de la laine ou donner du lait, il fait toujours bien le taf. Et sans moufter. Or, « la chèvre dans le foot, c’est un peu celui qui réalise mal son boulot, non ? Bah ce n’est pas du tout le cas de la vraie chèvre, sur qui on peut compter. » Parier sur le fait que Samassa ou Rekik fassent ce pour quoi ils sont payés, c’est-à-dire marquer des buts ou bien défendre, est effectivement chose assez dangereuse. Le tondeur en rajoute une couche : « Franchement, je ne vois pas le lien entre une chèvre et un footballeur. Moi, je suis plutôt rugby, et je n’ai pas souvenir que le terme soit présent dans ce sport. Alors pourquoi l’utiliser dans le foot ? Peut-être parce que le rugby est un sport de brutes joué par des intellectuels, et que le foot c’est l’inverse. Du coup, on y dit tout et n’importe quoi. »
Par Florian Cadu