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Peut-on être un grand entraîneur sans imposer sa « patte » ?
À en croire quelques consultants français, Unai Emery ne servirait pas à grand-chose à Paris. Parce que visiblement, l'Espagnol n'aurait pas imposé un style et laisserait ses ouailles en autogestion. Mais en fin de compte, faut-il tout changer dans une équipe pour mériter le label « grand entraîneur » ?
« Avec Emery, on a l’impression que ce sont les joueurs qui décident, qui gèrent et qui font ce qu’ils veulent quand ils veulent. » À en croire Christophe Dugarry, Unai Emery ne servirait pas à grand-chose au PSG. Un avis partagé par Pierre Ménès sur Canal Plus, toujours plus prompt à taper sur les choix d’un entraîneur qui ne ferait pas assez tourner son effectif. « Avec Emery, on fait toujours jouer les mêmes, c’est par ordre d’entrée en scène, quand Neymar est suspendu, crac c’est Di María. Contre l’OM, le PSG fait évoluer dix des onze joueurs qui avaient joué contre Anderlecht quatre jours avant, alors que dans l’équipe de Marseille, qui avait joué un jour plus tard, il y a eu sept changements. » Des critiques récurrentes à l’intention du Basque, essentiellement justifiées par le fait qu’à Paris, le triple vainqueur de la Ligue Europa n’ait pas radicalement changé l’équipe de Laurent Blanc et donne parfois l’impression de laisser ses stars en autogestion.
Un constat que Guy Lacombe, ancien coach du PSG (2005-2007) estime « assez sévère et injuste, car un entraîneur n’est jamais totalement inactif, même s’il ne modifie pas radicalement la façon de jouer d’un groupe qu’on lui confie » . Les piques à l’égard d’Emery sont en partie dues aux jurisprudences Pep Guardiola, Joachim Löw ou encore Johan Cruyff dans les années 1990, trois entraîneurs emblématiques tant pour leurs résultats qu’une identité qu’ils ont insufflée à leur onze type. Mais pour Gernot Rohr, actuel sélectionneur du Nigeria, l’influence d’un grand entraîneur « ne se voit pas forcément par une révolution dans la façon de jouer. C’est avant tout la capacité à créer une harmonie dans son équipe qui caractérise le grand entraîneur. Et donc on voit surtout la mauvaise influence quand cette harmonie est rompue. »
Carlo Ancelotti et Zinédine Zidane, les discrets
Argument massue de Lacombe et Rohr, le cas Ancelotti. Une antithèse de Jürgen Klopp, Pep Guardiola, ou tout autre technicien qui impose une vision. « Carlo Ancelotti, cela n’a pas marché au Bayern, certes, mais pour le reste, il a réussi partout sans donner l’impression de changer radicalement les choses » , soutient le membre de la DTN français, pour qui « cette qualité d’adaptation au contexte est peut-être la plus grande qualité que puisse démontrer un technicien. » Un talent qui dépasse le cadre du foot selon Rohr : « Dans le football, l’entraîneur doit aussi animer, écouter, c’est autant un gestionnaire de ressources humaines qu’un psychologue, et parfois, c’est en faisant le moins qu’il fait le mieux. »
Une vérité qui se matérialise très souvent au plus haut niveau, « car plus on monte dans le haut niveau, plus on dispose de joueurs aguerris, en mesure de faire des différences, mais a contrario, chaque erreur peut être lourde de conséquence, tout devient chirurgical » , précise Lacombe, qui cite son ancien protégé Zinédine Zidane en exemple : « On voit qu’il a bien appris aux côtés de Carlo Ancelotti, quand il a repris le Real, il n’a pas tout changé, mais cherché à tirer le meilleur de ses joueurs. » Quitte à donner l’impression de n’avoir qu’un impact limité sur les succès récents de la Maison-Blanche : « Il a mis son ego de côté, il n’a pas cherché à montrer qu’il était un grand entraîneur, qu’il pouvait mettre sa patte sur le jeu du Real, il a simplement fait le nécessaire pour mettre ses joueurs dans les meilleures conditions. »
Lacombe : « C’est faux de dire qu’Emery n’a pas mis sa patte ! »
Et savoir se mettre en retrait, en posture d’observateur, quand tout va bien, c’est la force des meilleurs. Rohr : « Imaginez un entraîneur qui reprend une équipe compétitive, bien huilée, qui tourne. Ce serait criminel de changer quoi que ce soit. Un grand entraîneur a cette intelligence de ne pas changer pour changer, et de savoir ne rien faire quand il a trouvé la bonne formule. » Un peu comme le Raymond Domenech du Mondial 2006, dont la légende urbaine dit qu’il aurait laissé les clés à ses cadres (Zidane, Thuram, Makelele) à partir des huitièmes de finale. Guy Lacombe préfère en rire : « On n’arrive pas en finale d’une Coupe du monde par hasard, donc quelle que soit la vérité en coulisses, il a fait des choix qui ont servi l’équipe. »
Dans le cas d’Emery au PSG, l’ancien entraîneur de Rennes et de Monaco se veut plutôt positif : « C’est faux de dire qu’il n’a pas apporté ou mis sa patte ! Depuis qu’il est là, l’équipe est plus forte en contre, très tranchante dans le jeu vertical, et il a tout de même de bons résultats. » Et selon Lacombe comme Rohr, « s’il gagne la Ligue des champions en fin de saison, qui osera remettre en cause son utilité ? » Pour Lacombe, c’est quand Emery ne sera plus là que l’on jugera de sa réelle influence, « comme Vicente del Bosque avec les Galactiques du Real. On a dit que c’était facile de gagner avec ces joueurs, mais dès qu’il est parti, ses successeurs n’ont pas su maintenir la dynamique de résultats. » Parce qu’il a su laisser ses stars s’épanouir. Soit le summum selon Rohr : « Un entraîneur ne peut rien faire de mieux que d’arriver à de l’autogestion, une configuration dans laquelle ses joueurs savent réagir d’eux-mêmes à n’importe quelle situation sur le terrain. Car quoi qu’on en dise, ce sont les joueurs qui jouent. Le meilleur moyen de gagner est donc de les rendre capables de se passer de leur entraîneur. » Il faudra donc attendre encore sept mois pour avoir le fin mot de l’histoire sur l’utilité d’Unai Emery.
Par Nicolas Jucha
Propos de Guy Lacombe et Gernot Rohr recueillis par NJ