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Peugeot, la sortie de route du foot…

Par Nicolas Kssis-Martov
Peugeot, la sortie de route du foot…

Le football ne serait plus assez « classe » pour vendre de la 308 Peugeot ? Sochaux serait devenu aussi désuet que la 504, une page d'histoire un peu honteuse quand désormais il s'agit de refourguer de la berline aux amateurs de parcours de 18 trous et au public de Roland Garros ? Une polémique qui nous rappelle une évidence : le mépris de classe est toujours présent et le ballon rond sa victime.

Le football semble tellement hégémonique qu’on en oublie parfois qu’il demeure d’abord un sport populaire. Surtout en France. Les propos d’Isabel Salas Mendez, la responsable des partenariats de Peugeot, nous l’ont cruellement rappelé. La représentante de la marque au Lion s’est ainsi lâchée dans une élan de sincérité presque touchant. « Le football est un sport qui ne va pas avec nos valeurs. Il véhicule des valeurs populaires et nous, on essaye de monter en gamme, a-t-elle déclaré sur Europe 1. En 2016, nous avons décidé de tout concentrer sur le tennis. C’est le sport qui va le mieux avec nos valeurs, qui est international, qui touche tant les hommes que les femmes. » Bien sûr, tout le monde peut tousser quand une société qui fabrique des voitures évoque ses « valeurs » pour justifier de banales options marketing et utiliser l’égalité hommes/femmes pour mieux polluer la planète. Cela dit, la cadre senior formulait une stratégie assez simple : cibler sa part de marché et surtout la discipline sportive capable de servir de support au plan de comm’. Depuis, le directeur de Peugeot, Jean-Philippe Imparato, a rectifié un peu le tir et nuancé l’attaque, sans contredire sa n-1, : « Ni condescendance ni arrogance chez Peugeot. Car on sait d’où on vient et qu’on respecte tous nos clients, quelle que soit leur passion sportive. » Il faut surtout avouer que l’ingratitude de la firme avait de quoi scandaliser, tant elle doit au foot, à ses supporters et à ses travailleurs.

Venir au stade en Peugeot

À sa manière, Peugeot et son investissement auprès du FCSM (qu’il fonda) avaient incarné parfaitement l’archétype de la dimension « populaire » du foot français. Une sorte d’idéal type. Avec un club dont le stade était collé à l’usine, où les joueurs étaient fils d’ouvriers ou bien visitaient les chaînes de production avant de se rendre obligatoirement aux entraînements avec une caisse qui y avait été fabriquée. Le versant patronal, ces industriels de l’automobile si actifs dans les premiers temps du capitalisme sportif (forçant l’acceptation du professionnalisme en 1932), et la culture ouvrière communiaient dans le culte de leur club et de leur sport. « Le foot s’avéra beaucoup moins un enjeu entre les syndicats et la direction que par exemple chez Renault, où il fut un sujet d’affrontement régulier, notamment autour des clubs d’entreprises. Chez Peugeot, il semblait légitime, nous racontait Patrick Fridenson, historien spécialiste de l’Automobile. Peut-être aussi parce que subsistait le souvenir de la guerre et du fait que huit directeurs de l’usine avaient été déportés, dont Auguste Bonal, mort en avril 1945, et dont le stade porte le nom. Cette sorte de souvenir du patriotisme commun partagé dans la résistance se cristallisait bien autour du foot. » Cette cohésion est demeurée gravée dans le patrimoine national, et a laissé des traces dans la mémoire collective. D’où la violence de certaines réactions sur les réseaux sociaux, y compris chez des lointains héritiers et des enfants de salariés de Peugeot, de cette époque bénie, qui même si leur vie les a menés ailleurs, n’ont pas compris ni accepté l’insulte, avec un petit côté « je n’oublie pas d’où je viens » à la Didier Eribon.

Le retour du sport bourgeois ?

Seulement, les temps ont bien changé. La classe ouvrière a été liquidée. Les milieux populaires, leurs quartiers et leurs « sales gosses » de cités, ont pris la place dans la représentation politique et aussi marketing, pour le meilleur et souvent le pire en matière de stigmates sociaux. Les joueurs sont des héros nationaux et internationaux, mais le foot ne parle plus forcement aux clients auxquels on doit vendre de l’élégance et du signe extérieur de richesse. Peugeot a liquidé ses usines comme celle d’Aulnay en balançant au passage sa culture d’entreprise d’origine. Or même dans les écoles de commerce, on a dû lire La distinction de Bourdieu, qui dès 1979 détaillait à quel point le tennis restait encore l’apanage de la bourgeoisie ou du moins de ses codes. Il faut savoir de quoi rêve le client si l’on veut lui vendre du fantasme social. Au foot restent les enseignes d’ameublement et de pizza, et bien sûr les grands groupes audiovisuels. Finalement, il faudrait presque remercier Isabel Salas Mendez pour sa sortie de route. Le foot, notre foot, vient encore de la rue, des virages et des terrains pelés de banlieue, pas des loges VIP. Ne pas plaire à tout le monde est bien la preuve qu’on est autre chose qu’un produit commercial.

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