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« Personne n’est puni à vie », sauf Benzema
La principale information de la liste rendue publique hier par Didier Deschamps réside dans le retour, inattendu, d’Adrien Rabiot parmi les Bleus. Si les situations ne se comparent évidemment pas, point par point, la différence de traitement que subit par contre-coup Karim Benzema laisse sceptique, jusque dans le comportement du sélectionneur et de la fédération.
« Personne n’est puni à vie. Ne pas lui redonner une chance aurait été une erreur. La concurrence est difficile à ce poste, mais il aurait été repris pour ce match ou un prochain. Je rappelle que malgré tout ce qu’on disait autour de moi, j’ai toujours déclaré qu’il ne serait pas suspendu. C’était normal qu’il ne soit pas convoqué pendant un moment, mais il aurait fallu être stupide pour dire qu’il ne jouerait plus jamais en équipe de France. » Les propos de Noël Le Graët hier, beaucoup auraient aimé les entendre énoncés pour un autre joueur, qui n’a peut-être jamais été aussi performant et surtout inspiré qu’en 2020. Seulement cette indulgence semble réservée à Adrien Rabiot. Pour preuve, en conférence de presse, lorsque la comparaison avec Karim Benzema fut soulevée, Didier Deschamps ne se fatigua même pas pour y répondre, se contentant d’en rigoler, un rire sardonique, comme si la seule idée ou hypothèse relevait de la farce.
Deux poids, deux…
Les dossiers ne sont évidemment pas similaires. Mais où se situe la faute la plus grave envers l’équipe de France ? Pour le moment, quoi qu’on pense du comportement de l’attaquant du Real ou de son entourage, il n’a pas été condamné. De son côté, le joueur de la Juventus (on s’épargnera d’imaginer que cela ait pu intervenir dans le choix d’un ancien Bianconero) avait décidé en 2018 de refuser un statut, jugé indigne de lui, de réserviste – c’était par ailleurs son droit -, dispensant des avis définitifs sur les options tactiques, sans évoquer les propos de sa mère, son agent. Une Coupe du monde est passée par là, et l’ex du PSG a plutôt fait profil bas sur le sujet, ses résultats en Serie A le poussant éventuellement à plus d’humilité. Karim Benzema a enterré, il le répète souvent, tout rêve de cape, sirotant son bonheur en Liga et à l’abri de la confiance absolue de Zinédine Zidane.
Il serait une perte de temps inutile de comparer les performances des uns et des autres. Si le Madrilène n’a certes jamais été au sommet de son art lorsqu’il évoluait pour la sélection nationale (le seul argument recevable), le joueur a tellement progressé depuis, pris une ampleur surréaliste, que de ne pas le convoquer semble, sur le seul terrain sportif, une absurdité incompréhensible. À défaut de représenter un sauveur, dont pour le moment les Bleus ne semblent pas avoir besoin, il constitue un atout inestimable sur le plan technique, en matière de qualités pures.
Hypocrisie 2020
Le passif n’est tout simplement pas le même. Adrien Rabiot n’aurait donc fait qu’un « caprice » , contemplé avec une infinie indulgence par la fédé et donc Didier Deschamps. Ils l’ont laissé bouder dans sa chambre, puis ont levé la sanction. Entre adultes, et au regard du respect qu’on réclame à d’autres envers la fierté de ce maillot, comme d’entonner La Marseillaise, on aurait peut-être pu attendre une leçon plus ferme. Karim Benzema a mis son nez où il ne devait pas, ramenant, y compris lors d’un rassemblement à Clairefontaine, une affaire qui ne le concernait pas. La suite, y compris dans toutes les maladresses de communication, ne relève en rien de la gravité de ses actes, mais de l’origine de celui qui les a commis. Le choc des noms et des prénoms ne peut être ignoré. Pas dans la France de 2020 où les tabous tombent à ce propos.
Peut-on ne pas se demander si un tel écart entre les deux footballeurs ne trouve pas ses raisons dans les non-dits et l’hypocrisie d’un « racisme culturel » , tout le monde n’étant pas astreint au même devoir d’exemplarité. Une attitude qui n’est certes pas conscientisée ni même certainement une ligne de conduite politique au sens « à l’américaine » , mais qui pèse au quotidien justement dans ce genre de « petites choses » . C’est ce qu’avait essayé d’exprimer maladroitement Karim Benzema dans son interview à Marca où il expliquait, fort mal et sans nuance, que « Deschamps a cédé sous la pression d’une partie raciste de la France », en rajoutant qu’il savait pertinemment que le Bayonnais ne l’était pas lui-même. Ce dernier ne lui avait jamais pardonné. Le foot, et surtout l’équipe de France, que cela plaise ou non, drainent bien d’autres implications et de problématiques que le seul jeu. Et du côté du staff aussi bien qu’au siège de la FFF, on aurait bien tort de croire que la décision prise hier ne laissera pas un goût amer voire des traces, dans la façon dont une partie de la population ressent sa place dans la communauté nationale.
Par Nicolas Kssis-Martov