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« Personne ne connaît mieux le football que les Italiens »
On a tendance à l’oublier, mais la Squadra Azzurra se présente à cet Euro en tant que vice-championne d’Europe en titre. Ancien défenseur latéral désormais rangé des crampons, Federico Balzaretti faisait partie des finalistes de l'Euro 2012. Il raconte.
Cette finale d’Euro 2012, c’était un vrai bol d’air pour l’Italie entre deux échecs cuisants lors des Coupes du monde 2010 et 2014, non ?Selon moi, seul le dernier Mondial a été loupé. Celui de 2010, c’était la fin d’une génération qui avait beaucoup donné. Prandelli est reparti avec un groupe pour les quatre années suivantes, il y a eu un bon Euro et aussi une bonne Coupe des confédérations, ne l’oublions pas. Et puis les deux campagnes de qualifications ont été disputées sans souffrir et en engrangeant beaucoup de points. Malheureusement, ce cycle s’est très mal terminé avec le Mondial brésilien, sans quoi, le bilan aurait été excellent.
C’était aussi une Italie très joueuse.Au-delà des résultats, Prandelli a apporté sa patte au niveau des principes de jeu, il y avait ce milieu de terrain rotatif avec les quatre qui s’alternaient à tour de rôle en « trequartista » , la possession de balle, un pressing très haut. C’était un style de jeu beaucoup plus européen par rapport à d’autres cycles qui ont eux aussi obtenu de bons résultats. Un foot plus entreprenant et offensif qui correspondait parfaitement au sélectionneur.
Avant le début de la compétition, il y eut un nouvel épisode du Calcioscommesse, confortant la théorie qui veut que l’Italie a besoin d’un scandale pour bien faire.C’est un peu cliché, mais je dois admettre que nous, Italiens, sommes très bons quand il s’agit de se relever dans la difficulté, nous savons nous retrousser les manches lorsqu’on a touché le fond, peut-être moins quand il s’agit d’investir pour se maintenir à un certain niveau. On tend à se reposer sur nos lauriers. Mais quand ça ne va pas, on fait le dos rond et on réagit.
Vous aviez disputé un seul amical avant cet Euro, un 0-3 contre les Russes.C’était justement un amical, la première mi-temps, on avait bien joué et on a craqué en seconde. On a surtout payé la grosse charge de travail physique, il y avait eu une grosse préparation, on avait les jambes lourdes, donc ce score ne nous avait pas inquiétés plus que ça.
En toute sincérité, quel était votre objectif durant cet Euro ?On sortait d’une excellente campagne de qualifications, on s’attendait donc à bien faire. Maintenant, cela fait un petit moment que l’Italie ne vise plus le titre suprême, on part en sourdine en se fixant le dernier carré, voire les quarts. Mais bon, on sait très bien qu’on peut battre tout le monde, notamment parce que tactiquement, on est les plus calés, personne ne connaît mieux le football que les Italiens, et je le dis avec une grande fierté.
En ouverture contre l’Espagne, on se souvient d’un grand De Rossi au poste de libéro.Daniele est un joueur tellement intelligent qu’il pourrait jouer partout. Durant cet Euro, il a évolué défenseur, playmaker, relayeur et a été fantastique à chaque fois. C’est un joueur qui « pense » . Par la suite, il a été peu utilisé à ce poste de libéro, car on est vite repassés à 4 derrière et aucun coach à la Roma n’a adopté la défense à trois, mais il y rejouerait sans aucune difficulté.
Di Natale fut le seul à avoir battu Casillas durant cet Euro.Prandelli avait choisi de ne pas le convoquer pendant deux ans, mais c’était l’Italien le plus prolifique et un mec au top qui n’a jamais posé de problèmes. Son intégration dans les 23 était une réelle valeur ajoutée, son expérience était utile, ainsi que son sens du but, car Cassano et Balotelli ont beau être de super joueurs, ce ne sont pas des grands buteurs.
On oublie souvent que si Espagne et Croatie font 2-2 lors du dernier match de poule, la victoire contre l’Irlande ne sert à rien.C’est vrai, la première mi-temps, je jouais côté opposé, j’étais concentré sur le match, aussi parce que je faisais mes débuts. En seconde, quand on menait 1-0, on demandait souvent comment ça se passait dans l’autre rencontre, même si on devait faire attention aux Irlandais qui risquaient d’égaliser. D’ailleurs, le 2-0 de Balotelli est inscrit à la 90e, on ne pouvait pas se permettre d’être trop distraits.
Le passage du 3-5-2 au 4-3-1-2 a changé beaucoup de choses ?L’idée était d’utiliser cette première tactique face aux Espagnols. On ne la connaissait pas beaucoup, on ne l’avait jamais utilisée durant les qualifications, mais le match contre la Russie nous avait privés de certaines certitudes et l’Espagne faisait peur. On a sorti une grosse prestation, un vrai chef-d’œuvre tactique, on avait bien limité nos adversaires, on repartait efficacement en contre-attaques. Du coup, on a remis ça contre la Croatie, mais face à une équipe plus défensive, c’était moins efficace. C’est pour cela qu’on est repassé à 4 derrière contre l’Irlande et ainsi de suite jusqu’en finale.
Te concernant, cette compétition était un peu le pic de ta carrière, non ?Et pourtant, j’avais été out les deux derniers mois de la saison de club avec Palerme, alors que je n’avais jamais connu de blessure. Au début du stage de préparation, j’étais dans une condition physique désastreuse, mais on a fait un gros taf de récupération et j’ai pu me présenter prêt au jour J.
Le duo Cassano-Balotelli avait été sage hors du terrain ?Oui, car c’était et c’est un groupe où il est difficile de mal se comporter, quand tout le monde va dans la même direction, c’est très compliqué de faire des erreurs. Ils furent impeccables et c’est d’ailleurs pour ça qu’on est arrivés jusqu’en finale. Le vestiaire est un facteur décisif pour aller aussi loin. Après chaque match, on restait ensemble jusqu’à 6 heures du matin, car on n’arrivait pas à dormir, on se chambrait, il y avait une très bonne ambiance. Ce sont ces moments qui soudent un groupe et qui se répercutent aussi sur le terrain.
On ne s’est pas un peu trop excité sur le doublé de Balotellli contre l’Allemagne ?Je ne juge pas un joueur sur un match ou une action, ce jour-là, je ne me suis pas dit qu’une étoile était née. Son potentiel et sa force, on les connaissait depuis son premier match en Serie A. Maintenant, il manque évidemment de continuité, il n’a pas trouvé l’équilibre qui lui permet d’avoir un rendement régulier. Il ne s’agit pas de faire la différence seulement techniquement, il faut être un footballeur à 360 degrés.
Mieux vaut perdre une finale 4-0 plutôt qu’aux tirs au but ?Non, je préfère la deuxième option, car cela signifie que vous avez été dans le coup jusqu’au bout. Le problème, c’est que nous sommes arrivés très fatigués en finale, on a joué le dimanche, le jeudi et dimanche avec la prolongation contre l’Angleterre. Contre l’Espagne, Prandelli voulait une équipe joueuse, il s’est également fié aux gars qui avaient permis d’arriver en finale, c’était un genre de récompense, il nous l’a clairement dit d’ailleurs. Il y a eu qu’un seul changement entre la demie et la finale, Abate à ma place. On n’était pas bien, Chiellini est sorti au bout d’une demi-heure, en fait, on aurait dû être moins romantiques et plus…
Plus italiens ?Exactement ! Peut-être qu’on aurait pu rivaliser, mais le côté humain de Prandelli est ressorti et c’est tout a fait normal. De toute façon, avec le recul, il n’y a pas de regrets à avoir, il n’y a pas eu match.
9 des 23 de cet Euro ont été reconduits quatre ans plus tard, mais beaucoup n’ont pas profité de l’élan de ce résultat comme Balotelli, Giovinco, Abate, etc.Parce que le changement générationnel, le renouveau des piliers a vraiment été effectué en 2010. Conte a conservé Marchisio, De Rossi, Chiellini, Bonucci, Motta et a ajouté ses gars. Surtout, il a cherché à transmettre ses idéaux tactiques, son caractère, son état d’esprit. Il est reparti de zéro d’un point de vue psychologique, mais pas forcément au niveau des hommes.
Quel regard portes-tu sur cette Italie ? Je connais bien les 23 et je suis donc très optimiste. Le gros avantage de l’Italie est d’être un club et non une sélection, elle a le meilleur entraîneur de cet Euro, c’est une équipe qui donnera du fil à retordre à tout le monde. Nous avons des idées, des principes, on soigne les détails mieux que quiconque. Surtout, on connaît nos limites, on joue par rapport à nos capacités. C’est inutile de faire de la possession de balle si tu n’as pas les gars pour, Conte est intelligent et mise sur les qualités du groupe. J’insiste, on est un club, c’est un détail, mais qui compte.
Et la France ?C’est une équipe qui possède de grands talents, j’ai eu Deschamps à la Juve, ce n’est pas un innovateur, il ne va pas t’inventer un coup tactique, mais il est organisé, pragmatique, il travaille bien. Il obtient le maximum de son équipe, et ça, c’est une grande qualité. Ils ont un bon calendrier et jouent à domicile, je la vois si ce n’est gagnante, au moins finaliste.
Ton épouse Eleonara Abbagnato ayant longtemps été danseuse à l’Opéra de Paris, on imagine que tu entretiens un rapport particulier avec notre pays ?Au début de notre relation, j’y allais souvent, je multipliais les allers-retours. J’aime la France, j’adore Paris, nous nous y sentons bien, j’aime cultiver ce rapport et on le maintiendra peu importe ce qu’il se passe. Eleonora est actuellement directrice de l’opéra à Rome, si elle occupe cette même place à Paris, ce serait un couronnement pour elle.
Il y a un endroit que tu apprécies particulièrement dans la capitale ?On a un appartement pas loin de l’arc de Triomphe, on se balade beaucoup, surtout dans les parcs vu qu’on a quatre enfants. Par exemple, nous allons souvent au Jardin d’acclimatation, nous ne menons pas une vie mondaine, c’est très familial. Si je dois choisir un endroit où on aime se faire plaisir, c’est l’Atelier de Joël Robuchon et ses excellentes dégustations, sans oublier Montmartre où Eleonara habitait lorsqu’on s’est connus.
Les attentats du 13 novembre dernier ont dû particulièrement te toucher.Le soir où cela s’est passé, ma femme revenait justement de Paris, elle était dans l’avion. J’ai été subjugué par la force des Français, ils n’ont pas pleuré sur leur sort, ils se sont relevés rapidement et ont démontré être un grand peuple. J’ai d’ailleurs passé la période de Noël à Paris, j’ai vécu l’après-attentat, tout se déroulait normalement, on ne faisait pas semblant de rien, mais c’est ce qu’il fallait faire, revenir à la vie normale pour démontrer que nous n’avons pas peur et que nous voulons continuer à vivre comme on aime.
Propos recueillis par Valentin Pauluzzi