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Perišić et sa période de Doubs
Il n’est ni le premier ni le dernier à être passé en France incognito et à exploser hors de nos frontières. En 2006, il pose ses valises dans le Doubs, mais malgré tout le bien qu’on en dit, il a fait sa vie ailleurs.
Il court, il bondit, il sprinte comme si sa vie en dépendait. Kalinić, lui, n’a plus vraiment les jambes. Il faut dire que ses copains et lui ont passé plus d’une heure à courir derrière le ballon, confisqué par les Espagnols. Alors, quand le Florentin voit passer un lapin Duracell sur sa gauche, il n’hésite pas. Il lui met le ballon dans la course. Et tant pis s’il est excentré, tant pis s’il y a Piqué à proximité, tant pis si c’est un peu mou, il saura certainement mieux quoi faire de cette ultime opportunité. Contrôle pied gauche, il lève la tête, De Gea bouche mal son angle, il prend donc sa chance. Frappe quasi instantanée, les filets qui tremblent, 2-1, la Croatie est première de son groupe et confirme tout le bien qu’on a pu en dire depuis le début de l’Euro. Ivan Perišić est fou. Il tombe le maillot, sort les muscles, et va célébrer cette douceur face à ses supporters, dans les bras de ses coéquipiers. Grégoire Margotton lâche quelques mots, révélateurs sur l’attaquant de l’Inter : « Ivan Perišić est un joueur de très, très grande classe. » Des mots trop rares associés à ce joueur parce que trop irrégulier, trop timide, pas assez charismatique. Surtout lors de sa formation à Sochaux. Et pourtant…
Joindre les deux Doubs
Pourtant on l’a un peu oublié, ou bien caché, mais l’une des actuelles sensations de cet Euro a bien démarré sa carrière en France. En 2006, Josip Skoblar, recruteur à Marseille, repère un jeune talent de son pays, mais n’arrive pas à le caser dans le club phocéen. Alors il en parle à Jean-Claude Plessis, président du FC Sochaux-Montbéliard : « On est allé le voir, chez lui en Croatie, à Split, et on n’a pas été déçus. » Enis Sadikovic, membre de l’équipe marketing du club et traducteur de circonstance, est également du voyage : « On est allés chez lui pour le rencontrer, faire connaissance avec sa famille aussi. On était dans le restaurant d’un ami, au bord de l’eau, et au milieu de la conversation, Alain Perrin, alors entraîneur de la première, soumet l’idée qu’il prépare son sac directement et qu’il monte dans notre avion de dix places, juste après l’entretien. Lui et sa famille ont tout de suite été séduits par son discours. Ivan est venu avec nous. » Et ce, alors que d’autres clubs plus huppés comme le PSV, l’Ajax et Hambourg font également le forcing.
Seul problème : pour un joueur de cet âge, 15-16 ans à l’époque, il est impossible de le faire venir s’il n’a pas une attache territoriale. Jean-Claude Plessis promet alors à la maman Perišić un travail dans une entreprise partenaire, si elle rejoint son fils. Proposition acceptée. Et quelque temps après, en compagnie de la petite sœur d’Ivan, elle posera donc ses valises dans le Doubs, laissant tout de même Ante Perišić, le père, et son élevage de poules derrière eux. Quelques années plus tard, ce dernier confiera d’ailleurs au Slobodna Dalmacija, le journal local de Split : « Partir à Sochaux était la meilleure solution pour ma famille. Je voulais qu’ils s’éloignent de moi et de mes souffrances. » Un choix autant sportif que stratégique, donc. Ivan a beau avoir reçu l’aval de Josip Skoblar, il a beau connaître la réputation du club comme il l’a confié à l’intendant du club, Freddy Vandeckerkove – « Il me disait toujours qu’il pensait qu’on était un grand club parce qu’on avait réussi à battre 4-0 Dortmund » –, le choix de Sochaux est avant tout un moyen d’assurer son avenir.
Ivan le pas terrible
Les premiers essais sont concluants. L’intégration est bonne. L’acclimatation également : « Il était très proche de Birsa et Jokič, explique Freddy. Ils s’étaient rapprochées parce qu’ils viennent plus ou moins de la même région d’Europe. La femme de Valter était amie avec une amie d’Ivan d’ailleurs. Ivan n’était pas comme l’autre génération, la génération Playstation. Lui, il était vraiment très concentré sur le foot parce qu’il aimait ça, mais aussi parce qu’il se devait de réussir. Il me faisait penser un peu à Pedretti pour ça. Je sais qu’il aimait bien le basket aussi. Il était fan de la sélection croate, il suivait la NBA, il se levait la nuit ou enregistrait. » Bref, tout se met petit à petit en place, malgré une homologation de licence tardive. Et en jeune, sous la coupe d’Éric Hély, malgré quelques lacunes notamment au niveau physique, Ivan impressionne : « Peu après les premiers entraînements, les retours ont été vraiment positifs, confie Enis. Je me souviens qu’Éric Hély m’a dit que c’était le deuxième plus grand talent qu’il avait vu passer au club, après Jérémy Ménez. » D’ailleurs, dès sa première saison, il participe à la victoire en Gambardella et passe précocement chez les pros. Mais à partir de là, plus rien ne se passe comme prévu.
Francis Gillot, le remplaçant d’Alain Perrin parti à Lyon, ne lui fait pas confiance. Et pendant deux ans, Ivan campe avec la réserve. Encore aujourd’hui, Freddy cherche une explication : « C’était un cercle vicieux. Il était un peu en difficulté parce qu’il ne jouait pas et le coach ne le prenait pas parce qu’il ruminait. Je l’ai pas mal conseillé à ce moment-là, pour lui dire de ne pas perdre espoir. Ça se voyait qu’il avait du talent, mais d’un entraîneur à un autre, le point de vue change. » Il est aussi et surtout éclipsé par deux autres talents, Riyad Boudebouz et Marvin Martin. En 2009, Sochaux préfère finalement refiler Ivan au KSV Roulers, en Belgique. Et puis le vendre au FC Bruges, là où le Croate fera petit à petit son trou. Jean-Claude Plessis en a encore gros sur la patate : « J’étais en colère quand j’ai vu qu’on l’avait laissé partir. On n’a pas essayé de le valoriser, il est parti comme un joueur qui ne nous intéressait pas. Quand je vois ce qu’il fait aujourd’hui, c’est un vrai crève-cœur. Sochaux avait beaucoup investi sur lui. Et pas que financièrement. Le laisser partir, c’était une faute professionnelle. » Vicente del Bosque confirme.
Par Ugo Bocchi