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Pères/Fils: ils ne se comprennent plus!

– Par Nicolas Kssis-Martov/Photo: Philippe Lebruman
6 minutes
Pères/Fils: ils ne se comprennent plus!

Une belle idée veut que le foot se transmette de père en fils, voire en fille. Un cliché qui semble cependant écorné par l’apparition des « nouvelles technologies » dont sont friands les gosses 2.0. Vous leur parlez de vignettes autocollantes et de bonshommes en plastique à pousser avec l’index, et ils vous répondent joysticks et applications Smartphone…

Certaines conversations avec des amis d’enfance vous mettent le moral en berne. « Comment veux-tu discuter avec ton gamin quand il te dit la première fois qu’il va à la Beaujoire que les joueurs sont mieux sur sa console ? » , souffle Nicolas pendant que son fils aîné détend son index pour faire défiler sur sa tablette des vidéos de Champions League. Un choc des générations qui dépasse largement les frontières de l’Hexagone. Valerio Magrelli, poète italien, traducteur de Mallarmé dans la langue de Dante, et auteur du remarquable Adieu au foot : Quatre-vingt-dix récits d’une minute (éd. Actes sud), se confie aussi à ce sujet : « J’ai été frappé par la façon dont mon gamin croyait jouer. Je le voyais affalé sur le sofa, devant sa console, pendant des heures. Il gueulait, il était enthousiaste. Il me disait: « J’ai gagné ! » Je lui ai demandé : « Tu es qui ? Un joueur ? Ou l’équipe entière ? » Il m’a répondu : « Je suis tous, même les adversaires. » J’ai alors réalisé que ce que le football incarnait pour moi au début s’était complètement transformé. Pas une simple et naturelle évolution, par exemple liée à la dimension économique. Il s’agit d’une métamorphose globale. Je ne veux pas le condamner. Cela serait un peu trop facile. Je suis seulement surpris par ce qui s’est passé. Ce qui provoque aussi un peu de nostalgie, notamment quand je repense à mon propre père. » Cet immense fan de la Roma découvre alors que le cœur de son fils bat pour l’Inter Milan, car son équipe se révèle bien plus forte en jeu vidéo. Les statistiques ne font pas de sentiment.

Accès total au football européen

Entre les papas et leurs fistons, un petit gap s’est creusé, sous forme de révolution numérique. À l’instar de la musique, la dématérialisation de la culture touche le sport, et le football, en particulier. Bonjour les pixels et les codes binaires. Le sociologue Boris Helleu, qui tient le blog de référence Hell of a sport, n’hésite pas à prophétiser l’avènement du « fan digital » ultra-connecté, les yeux oscillant du terrain au téléphone. Une pente virtuelle qui conduit parfois nos marmots à établir un étrange continuum entre les captures de jeu vidéo sur YouTube et la L1 « IRL » , comme ils disent (comprendre « in real life » ). Nos enfants seront sûrement les premiers à vivre leur expérience du foot sur tous les écrans et à disposer quasiment de l’accès absolu et total à l’ensemble du foot européen, voire mondial, en direct et/ou à volonté. « Les matchs de foot, se souvient Vincent, 42 ans, papa d’un petit Christian, c’était tellement exceptionnel que j’y pensais des jours avant. Et pour tout dire, cela se limitait à l’équipe de France, les coupes d’Europe, en priant pour qu’une formation tricolore fasse un bon parcours, et la finale de la Coupe de France. Pour le reste, tu devais acheter Onze-Mondial ou France Foot pour les championnats anglais ou italien dont nous ne découvrions les exploits que lorsqu’ils venaient éliminer Auxerre. Mon père râlait car Le Monde n’avait pas de pages sportives… »

Toute une éducation et un amour du foot qui reposaient sur la rareté et la transmission orale s’en retrouvent désormais menacés de mort. Quid de ces cartes de joueurs que l’on s’échangeait fébrilement pendant la récré et qui vous amenaient à connaître par cœur les compos du Stade Lavallois ou à se prendre d’une étrange obsession pour Woodin, buteur néo-zélandais en 1982, après lequel on avait couru tout un mois de mai ? Le rappeur parisien Flynt défend encore cette façon d’aborder ce trésor de la culture nationale : « J’ai découvert le PSG, et le foot plus largement, à la radio. Ma mère écoutait tout le temps la radio quand j’étais gamin. J’avais pas de père à la maison avec qui j’aurais pu regarder des matchs ou qui m’aurait fait découvrir le ballon. Mes premiers souvenirs de foot, ce sont les résultats de la Division 1 aux infos sur Europe 1 ou France Inter, je sais plus. Après, j’ai découvert les multiplex et, à chaque multiplex, j’étais derrière mon poste radio. Sans voir aucune image, j’étais déjà passionné ! Encore aujourd’hui, je suis plus souvent les matchs à la radio que je ne les regarde. » Mais il faut vivre avec son temps et les changements que cela implique. Les yeux d’enfants, de 7 à 13 ans notamment, sont trop avides d’images et surtout d’interactivité pour se contenter de la seule voix de Jacques Vendroux.

Cette bascule qui suscite tant de débats chez les pédopsychiatres sur la nocivité pour les kids des consoles, tablettes et autres écrans-dépendances, semble casser une certaine magie quasi séculaire de la relation au ballon rond. L’apprentissage du foot était une affaire d’odeurs (du cuir, de boue, de pelouse), de conditions (la pluie, le vent, la canicule) et de bruits (des tribunes, des parents sur le bord du terrain, du coach). « J’ai eu l’impression de devenir footballeur le jour où ma père m’a appris à lacer mes chaussure » , témoigne Richard, père de 38 ans, archiviste, qui garde précieusement sa première paire de crampons comme une relique dans une armoire de son appart de la Meinau, à Strasbourg. Ces rites initiatiques qui jalonnent le chemin de la cour de récré au FC Du Coin étaient parcourus de ces merveilleux moments vaguement pédagogiques où se récitaient les belles histoires du Roi Football, de Pelé à Maradona, de Skoblar à Papin.

La première paire de crampons

La transmission de l’amour d’un maillot, d’un club, s’est sans doute compliquée à mesure qu’une manette de jeu, ou autre, s’interposait entre l’éducation voulue par les papas et le vécu de leurs fistons. Aujourd’hui, le multimédia domine toutes les autres industries culturelles, télévision et cinéma y compris. Comment s’étonner, dès lors, de se sentir dépassé lorsqu’un môme de huit ans commente davantage la houpette de Giroud au sortir d’OM-Arsenal que la prestation des Gunners ? Comment réagir ? On s’asseoit et on pleure ? On feuillette compulsivement ses vieux albums en écoutant des 33 tours ? « Si nous avions dû faire attention au look des joueurs, se désole Loran, vendeur, et papa de Louis, 9 ans, Rocheteau n’aurait pas tenu dix secondes au Parc et nous serions tous passés au rugby ! » Les rois du ballon sont aujourd’hui des stars, comme celles des films ou des séries à succès. « Il faudrait interdire les écrans géants dans les stades, sourit Fredo, régisseur, 37 ans, qui regarde les matchs avec son bambin, Kévin.Les gamins les matent plus que le match ou même les tribunes avec les supporters, quand il en reste. En même temps, vu le prix des places… » Le foot reste pourtant bel et bien le premier langage commun de l’humanité. Mais peut-il encore servir à combler le fossé des générations ?

La suite de ce dossier dans le prochain numéro de SO FOOT…

Dans cet article :
Lyon : à Textor et à travers
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