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Pepe Peña, de journaliste à entraîneur
Rares sont les journalistes à y avoir pensé, et encore plus ceux à avoir sauté le pas. Mais Pepe Peña a ouvert la voie dans les années 60. Et il s'est ramassé. Salement.
C’est un peu comme si Pierre Ménès, lassé par les choix de Laurent Blanc, s’était décidé à prendre sa place quand les choses allaient un peu plus mal que prévu au PSG. Comme s’il avait répondu à une provocation en conférence de presse, au premier degré : « Pourquoi vous ne faites pas jouer Pastore ? – Vous voulez faire l’équipe à ma place peut-être ? – Allez, pourquoi pas… Je commence quand ? » Comme si, porté par son expérience du foot en tribunes, il avait voulu montrer au monde entier que le métier d’entraîneur n’était pas si compliqué que ça et qu’il pouvait très bien se lancer dans une partie de Football Manager dans la vie réelle. Au début des années 1960, Sergio Pepe lâche son micro, son carnet et son stylo pour devenir entraîneur d’Huracán. Trois journées plus tard, il s’en va et retourne à ses articles pour le Gráfico.
Le Zlatan du journalisme
En fait, tout est toujours allé très vite pour José Gabriel González Peña, de son vrai prénom. Au début des années 50, c’est un homme d’affaires, bon vivant, simple amoureux du football et du beau jeu à Buenos Aires. Hincha d’Estudiantes, sympathisant d’Huracán, joueur dans un petit club de quartier, mais surtout ami d’Adolfo Pedernera, ancien joueur de River dans les années 40, années phares du club. Et en 1956, avec ce dernier et Dante Panzeri, un journaliste influent du Gráfico, il entre dans le monde du journalisme, avec fracas. Dans l’émission de radio Football au centimètre, les trois compères défendent le football pur, instinctif, spontané et crachent sur ces entraîneurs et joueurs qui ont tendance à dénaturer et à trop professionnaliser leur sport.
Et peu à peu, Pepe se transforme en un Zlatan du journalisme, affichant l’arrogance, la verve et la notoriété qui vont avec. Pour preuve, voilà quelques tacles d’époque. À propos d’Osvaldo Nardiello, attaquant de Boca : « Il joue avec un seau sur la tête. » À propos de Pedro Dellacha, défenseur du Racing : « À cause de lui, l’aviation argentine va interdire les vols au-dessus du stade. » À propos de José Sanfilippo, buteur de San Lorenzo : « Il faut imaginer un contrôleur de péage qui essaierait de travailler avec une canne à pêche dans la main. » Et tant d’autres punchlines bien poussives. À tel point qu’en 1960, son ami Panzeri le fait entrer au Gráfico. Là encore, Pepe ne cherche pas vraiment l’objectivité, et continue à défendre le football auquel il croit, le football offensif, le football vrai. Sans vraiment s’inquiéter une seule seconde de l’adversité.
Comme un Huracán
Un homme, pourtant, sera séduit par tant de confiance en soi et de savoir, car oui, Pepe Peña, malgré tant d’inimitié, donne l’impression de tout connaître de la science du ballon rond.
Il s’agit de Luis Seijo, président d’Huracán. Et en 1961, le dimanche 25 mars, c’est le grand jour et le début d’une courte expérience. Qu’il entame par une prise de parole radicale, forcément. Un tacle cette fois-ci à l’encontre de ses anciens collègues : « Je ne veux personne qui assiste à mes entraînements, il y a des espions de partout. Même pas le président, Luis Seijo. Et je ne veux pas non plus que l’on discute de mes schémas tactiques. » Pepe va également chercher à imposer une ligne de conduite à ses joueurs : « Avant chaque match, j’irai parler à l’arbitre pour lui demander de me noter les joueurs qui discutent ses décisions. Je ne veux pas de ça. Et s’il y en a dans mon équipe, je les punirai. »
À propos des joueurs cadres de son équipe et de la manière dont il compte les gérer, il déclare : « J’ai plus d’admiration pour moi que pour eux. » Son extravagance, et c’est peut-être également la raison pour laquelle il ne voulait pas de spectateurs, il la démontre surtout durant ses séances d’entraînement. Pour aider ses attaquants à trouver des automatismes, il remplace les défenseurs par des chaises et manque de peu de blesser deux d’entre eux. Il fixe également des pneus sur les lucarnes des cages pour qu’ils s’entraînent à les viser. À ses gardiens, il explique à l’aide de deux cordes et d’une géométrie approximative pourquoi il vaut mieux sortir sur un attaquant plutôt que de le laisser venir à lui : « Si tu avances, tu vois bien que tu réduis l’angle et son champ de tir, non ? » Summum de son arrogance, il promet que son équipe sera la base de la sélection lors de la prochaine Coupe du monde en 1962.
Roi et légende
Bref, beaucoup de paroles, et quand il s’agit de passer à l’acte, c’est loin d’être fameux. Pour son premier match, le 16 avril 1961, contre San Lorenzo, ses joueurs en prennent cinq en une demi-heure, dont deux – douce ironie – de Sanfilippo, « le contrôleur de péage à la canne à pêche » qu’il continuera tout de même à critiquer après ce match : « Pourquoi il a marqué s’il est si nul ? Parce que je n’ai pas joué. » Huracán s’incline finalement 5-2. Pour son second match, Pepe Peña s’offre un court répit avec un match nul 2-2 contre Vélez, avant de recouler en fin de mois 4-2 contre Atalanta. Pas besoin de le licencier, l’ancien journaliste s’en va de lui-même.
Et à l’heure de faire le bilan et de régler ses comptes, il cherche lui aussi à s’en aller comme une légende :
« Pourquoi je me suis lancé ? Par vocation et parce qu’il manque de compétence dans les sports collectifs. Je n’ai pas la vérité absolue, mais je ne pouvais plus vivre de bavardages futiles. Les journalistes ont peur, ils ne prennent jamais de risques. Les gens me prennent pour un fou, mais en vrai, c’est parce qu’ils ont peur de vivre. Peur de tout quitter, de laisser une femme ou un travail qu’ils connaissent déjà pour l’inconnu. Et moi, je voulais faire les choses autrement. Quand quelque chose ne me plaît pas, je n’ai pas peur de changer. »
Par Ugo Bocchi