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Pep, Zizou et l’art de la patience
Voilà des années que Pep attendait que le miracle se produise enfin. Cette semaine, Zidane est venu à Munich prendre conseil auprès de lui. Qui est le maître, qui est l'élève ? Les apparences sont souvent trompeuses.
Il y a des êtres sur Terre qui n’ont jamais vu Zinédine Zidane jouer au football. Ce constat est douloureux. Maintenant qu’on a vieilli, on se demande toujours comment autant de gamins peuvent aujourd’hui faire rouler le cuir sur le bitume sans que jamais on ne les entende hurler ces deux syllabes merveilleuses. Les gamins de maintenant jouent à être Pogba, Messi, Cristiano, Neuer. Jamais plus à être Zizou. Voilà ce qui nous fait le plus vieillir. Cette sensation pénible s’aggrave à mesure qu’à la télévision on le filme tantôt en costume élégant, tantôt en survêtement floqué du sceau du Real Madrid. Il est parfois assis au premier rang (celui des anciens) d’un bus remplis de joueurs (beaucoup plus jeunes que nous), parfois à la droite de Carlo Ancelotti (entraîneur à cheveux blancs), parfois même en réunion de promotions avec les vieux camarades Willy Sagnol et Bernard Diomède (dangereusement bedonnants). On nous dit aujourd’hui qu’il a plus de quarante ans et qu’il est devenu l’entraîneur de la réserve du Real Madrid. Mensonges. Dans nos mémoires, il joue encore. D’ailleurs regardez-le bien, comme ces héros qui ne semblent avoir été absents que quelques heures et l’ont été en fait pendant plusieurs siècles, Zidane est un magicien qui, pour ne pas trop nous brusquer, a gardé exactement la même silhouette svelte et affûtée qu’il avait la dernière fois que nous l’avions vu sur un terrain. Nous étions toujours jeunes, la preuve, il n’avait pas changé.
Au nom de Michel
Pep Guardiola et Zinédine Zidane n’ont qu’un an d’écart, mais quand en juin 2000, les deux futurs chauves s’affrontèrent en quart de finale de l’Euro 2000 lors d’un France-Espagne mythologique, le premier semblait déjà lourd et vieilli quand le second, au sommet de sa gloire, virevoltait devant la défense adverse. Ce jour-là, il avait dansé sur la péninsule. Alors, quand mardi dernier, ces deux hommes s’étaient retrouvés à la faveur d’une visite d’étude et de courtoisie de Zizou à Munich, Pep, se remémorant les dernières minutes de ce match, lui avait certainement raconté cette histoire. Un jour de 1986, un petit ramasseur de balle du FC Barcelone (Pep avait alors 15 ans) avait couru vers Michel Platini, son idole d’enfant, pour lui réclamer son maillot à la fin d’un match de Coupe d’Europe Barcelone-Juventus. Michel s’était refusé aux prières de ce gamin turbulent et avait regagné rapidement les vestiaires, abandonnant l’adolescent à son désespoir. Quand quatorze années plus tard, à la fin de ce France-Espagne, Pep s’était tourné à nouveau vers le meneur de jeu français de l’équipe de France et de la Juventus, cette fois-ci c’est bien Zizou qui lui avait tendu son maillot pour l’échanger avec lui, Pep – il ne sait toujours pas pourquoi – s’était même mis à le vouvoyer en italien. « Ce fut un plaisir pour moi de jouer contre vous, lui dit-il timidement, un jour peut-être le ferons-nous ensemble. » Zizou n’avait rien dit. Mais Pep, le maillot du Français à la main, regagna le vestiaire espagnol le sourire au cœur et l’âme apaisée. Zidane venait de consoler un terrible chagrin d’enfant.
Xavi + Iniesta = Zidane
Pep Guardiola a depuis ce jour dédié de nombreuses pages d’éloges en l’honneur de son collègue français. En 2001, il lui dédia un chapitre de son livre de souvenirs (J. Guardiola, La Meva gent, el meu fútbol). Ce qu’il voyait dans cette silhouette dégingandée et cette façon toute personnelle de caresser le ballon plutôt que de le frapper, c’était le football dont il rêvait et qui, quelques années plus tard, se réincarnerait dans la façon qu’aura Xavi Hernández de toujours lever la tête deux fois avant de décider, dans la délicatesse avec laquelle Andrés Iniesta exécutera ses doubles contacts au milieu d’une forêt de jambes adverses. Zidane était venu cette semaine prendre des leçons de football auprès de Pep, pourtant c’est Pep qui, depuis toujours, avait été son élève. Il y avait dans son football intuitif et aérien, tout ce que Guardiola enseigne aujourd’hui à ceux qu’il entraîne. « Zidane, écrivait-il alors, maîtrise le temps et sait exactement quel est le rythme qu’exige chaque match. Et, comme il le connaît parfaitement, sait aussi toujours très exactement ce qu’il doit faire du ballon quand il le reçoit. Il est parfait et fait exactement tout ce que j’admire dans le football (…). S’il doit dribbler, il dribble ; s’il doit frapper, il frappe ; s’il doit passer, il passe. Et ceci, mes amis, c’est le plus difficile : savoir à tout moment ce qu’il faut faire. »
En attendant Van Morrison
Pep lui avait ensuite sûrement raconté qu’en 2006, il s’était installé seul à son bureau et avait glissé un disque de Van Morrison dans une chaîne Hi-Fi (Here I am again) quelques jours avant cette maudite finale de Coupe du monde. Ce 9 juillet 2006 dans El Pais, il publia une tribune mélancolique suppliant les dieux du football de le faire changer d’avis et de le lui laisser encore quelques mois ou quelques semaines. Après ce match « il a dit qu’il partirait, avait-il soupiré. Peut-être parce qu’avant ce Mondial, il s’était trop ennuyé. L’ennui finit toujours par nous vaincre. Pourtant, Michael Jordan était un jour parti pour finalement revenir. Maradona aussi, parti puis revenu (…). Attendons-le » . Alors, devenu entraîneur, Pep prêcha la patience de la construction, l’art délicat de la possession de balle au milieu de terrain comme si Zidane n’avait jamais disparu du football et qu’à tout moment il pouvait revenir prendre sa place dans le milieu de terrain qu’il avait organisé pour lui juste devant ses yeux. À une époque où tous les autres mourraient pour la vitesse, pour les transitions rapides et les contre-attaques fulgurantes, Guardiola fit l’éloge de l’indolence et de la possession. Y aurait-il eu ce Barça, ce Bayern, si Pep n’avait à ce point admiré Zidane et son football ? Alors, pour le remercier de sa patience, une nouvelle fois le magicien Zizou arrêta le temps et lui revint. C’était cette semaine à Saberner Strasse, au centre d’entraînement du Bayern Munich. Une prière d’enfant venait d’être exaucée.
Par Thibaud Leplat