Leandro, d’où vient l’idée de ce documentaire sur Riquelme ?
Je suis supporter de Boca et journaliste sportif. Et ça fait un moment déjà que je propose des hommages à Riquelme sur différentes plateformes. Il y a d’abord eu un blog, El ultimo Diez, et une émission de radio du même nom, puis un compte Twitter, une page Facebook. J’ai alors commencé à travailler beaucoup sur la vidéo, ça me plaisait. Mais il me semblait que le plus intéressant était de faire une seule vidéo, longue, sous forme de documentaire, qui regrouperait l’ensemble de ses années à Boca. J’ai commencé à travailler là-dessus avant qu’il ne quitte le club.
As-tu parlé avec Riquelme de ce projet, ou essayé ?
Non, parce que l’idée n’a jamais été de le faire participer. C’était un hommage de deux mecs, amateurs, fanatiques. Ce qu’on voulait, c’est que ce soit une surprise en fait. Et ça l’a été. Quand le trailer est sorti il y a un mois, il a réagi positivement, précisant bien qu’il n’avait rien à voir là-dedans. Ça a été long de regrouper toutes les vidéos, puis de les organiser, les éditer : en tout, ça nous a pris environ 5 mois. Mais apparemment, la réception du documentaire en général est bonne. Il y a déjà plus de 100 000 vues sur Youtube. On a reçu beaucoup de messages de soutien et de félicitations, donc on est très contents.
Le documentaire est riche en images, mais finalement, on n’apprend pas grand-chose sur Riquelme pendant ces deux heures.
Non, rien. Ce n’était pas le projet. Nous, on voulait simplement retracer sa carrière, montrer à travers ses matchs et ses interviews quel joueur et quel personne il est, en essayant de ne pas non plus en montrer trop pour ne pas ennuyer les gens. Mais heureusement, malgré le fanatisme des supporters, il y a des choses dont ils ne se rappelaient pas, qui les ont émus.
On voit un joueur aussi bon lors de son tout premier match avec Boca, en 1996, contre Union, que lors de son dernier, 18 ans plus tard, en mai dernier, contre Lanus.
Oui, c’est ce que lui-même dit, que dans les deux cas, il a été l’une des figures du match et est sorti sous les ovations de la Bombonera. Et que c’est ce qui le rend heureux et fier : il n’a jamais trompé les supporters de Boca, en jouant du début à la fin à son niveau maximum.
Il a ce profil un peu caractéristique du joueur argentin surdoué qui aurait pu faire une plus grande carrière à l’international, mais qui a préféré jouer chez lui et se consacrer à son club.
Et c’est pour cela que le documentaire est centré sur Boca. Même s’il a joué toute sa carrière à un très haut niveau, même s’il a – selon moi – très bien joué pendant cinq saisons en Europe, il a choisi de passer la majorité de ses années de footballeur à Boca, pour porter les couleurs du club qu’il aime depuis tout petit. Le club de sa famille.
Au-delà du joueur, exceptionnel, il y a le personnage Riquelme. Cet insoumis qui s’embrouille avec les journalistes, ses dirigeants, les autres idoles de Boca, Maradona, Palermo et même Bianchi, celui qu’il appelle pourtant « son père » à plusieurs reprises.
Le problème, c’est que Roman n’était pas assez charismatique pour les médias. Beaucoup de choses ont été inventées sur lui et beaucoup de gens ont encore cette image négative de lui, celle d’un mec difficile à vivre, néfaste pour le groupe. Tout ça a rendu ses années à Boca turbulentes, mais a aussi construit son personnage. Ses fans l’admirent autant pour ce qu’il était sur le terrain qu’en dehors.
Mais cette forte personnalité, ces embrouilles répétées ne viennent pas uniquement de la presse. Elles ont été confirmées et constatées sur le terrain, comme on le voit dans le documentaire avec Martin Palermo (Riquelme lui offre un but tout fait et s’en va fêter seul avec le public).
Oui, ceux qui ne sont pas d’accord avec sa posture sortent de son camp. Mais ces conflits avec Maradona ou Palermo n’ont jamais vraiment été expliqués. Il faudrait voir d’où ils viennent, ce qui se trame derrière. Ça ressemble généralement plus à des différences qu’à des embrouilles. Les médias argentins ont toujours préféré les alimenter que les expliquer, parce que Riquelme ne leur était pas utile médiatiquement. Je m’explique : Riquelme était hermétique, comme les joueurs d’avant, il ne donnait jamais d’infos aux journalistes sur le vestiaire. Pour lui, les tensions ne devaient pas sortir du groupe. La pression et l’envie de gagner peut conduire à de fortes explications, mais une fois que les choses sont dites, c’est terminé. Boca est le club le plus médiatisé du pays, alors les médias veulent tout savoir, ils doivent produire, vendre de la polémique, et Roman n’est jamais entré dans ce jeu-là. Il n’a jamais rien laissé filtrer.
Dans le documentaire, on le voit dire aux journalistes : « Vous avez essayé de me faire du mal, mais vous m’avez en fait rendu heureux et sûr de moi. »
Oui, parce que ces différends avec la presse ou avec ses présidents, Macri et Angelici, ont fait de lui une idole encore plus grande, parce que quand quelqu’un comme lui se dresse face au pouvoir, il représente une posture, celle de l’insoumission, qui fait que ses fans l’admirent encore davantage. Plus seulement comme joueur, mais comme symbole. C’est pour cela que j’aime parler de « riquelmisme » . Je crois qu’on peut dire qu’il y a le joueur, le meilleur que j’ai vu, et le « riquelmisme » : l’être Riquelme, cette façon d’affronter le pouvoir, de ne pas se sentir inférieur aux plus puissants, qu’ils soient présidents de Boca Juniors, de Villarreal ou autre.
À ce propos, il y a une autre séquence. Riquelme raconte dans une conférence de presse que des amis qui allaient au stade se sont vu confisquer leurs banderoles pro-Riquelme parce qu’il refusait de donner de l’argent à la barrabrava du club, contrairement à d’autres.
C’est un des grands sujets du football argentin. Il y a énormément de joueurs dont les noms sont scandés par la barrabrava dans les stades parce qu’ils lui passent de l’argent. Si tu allais à la Bombonera, tu pouvais constater que la Doce, la barrabrava de Boca, ne chantait jamais en l’honneur de Riquelme. D’autres n’auraient pas pu tenir cette position, mais lui avait les épaules pour assumer parce que sur le terrain, il a tout gagné avec le maillot de Boca et à plusieurs reprises. C’est sans doute le joueur le plus influent de l’histoire du club. Son football le plaçait au-dessus de tout, des dirigeants, des journalistes, de la barrabrava. Pendant 18 ans, peu importe l’âge et le contexte, il a toujours été le meilleur joueur de Boca et ça, personne ne peut le discuter.
Toutefois, depuis que Bianchi et lui ont quitté Boca, on voit certes moins de merveilles techniques, mais les autres joueurs semblent plus libérés, plus responsables. Et l’équipe va nettement mieux. Ne peut-on pas voir là les effets négatifs du « mythe vivant » ?
Moi, je crois qu’avoir Riquelme dans son effectif est une arme. Il y a plein de joueurs à Boca qui grâce à lui ont franchi des étapes, se sont montrés, et ont terminé en Europe. Depuis que Bianchi a été remplacé par le Vasco Arruabarrena, l’équipe trouve son chemin. Il me semble que Roman prendrait plaisir à travailler avec ce staff technique et à jouer avec les nouveaux joueurs comme Chávez, Meli, Carrizo ou Calleri.
Retourner à Argentinos Juniors, c’était la meilleure façon pour lui de terminer de construire sa légende ?
Sans doute, surtout si on prend en compte le contexte : Argentinos, son club formateur, qui traverse un des pires moments de son histoire avec la relégation en deuxième division. Le tout en prenant bien en compte que Riquelme en a encore sous la semelle. Son dernier match avec Boca, face à Lanus, a été l’un des meilleurs de sa part que j’ai vus. Et pendant ces quelques mois à Argentinos, dans le club qui l’a vu naître, il a démontré par son niveau et ses buts qu’il n’était pas venu pour boire du maté et voler l’argent du club, mais bel et bien pour le réinstaller en première division. Il a rappelé à ceux qui voulaient l’envoyer à la retraite qu’ils se trompaient. À 36 ans, Riquelme est encore vivant.
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