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Pellegrini et Zidane, un CV à enrichir
Ce soir, Manchester City affronte le Real Madrid. Manuel Pellegrini affronte Zinédine Zidane. Un duel entre deux hommes, pour connaître les joies d'une finale de C1 pour la première fois sur un banc de touche.
Les deux hommes sont stressés. Il fait terriblement chaud dans cette salle d’attente. La climatisation est en panne depuis quelques jours. Cintrés dans leur costume trois pièces, assis sur le bord des sièges en plastique, les mains jointes, les deux entraîneurs ont la même attitude. Ils regardent leurs pieds, comme pour essayer de les empêcher de taper frénétiquement sur le sol. Ils marmonnent dans leur barbe, répètent leurs argumentaires, testent leurs petites plaisanteries sur eux-mêmes. Et surtout, ils ne se regardent pas, et tentent tant bien que mal de dissimuler leur inquiétude. Mais les gouttes de sueur les trahissent. À gauche, Manuel Pellegrini tente de maintenir sa coiffure impeccable. Mais le petit peigne qu’il passe régulièrement ne cesse de se coincer dans la chevelure graissée par la transpiration. À droite, Zinédine Zidane n’a pas ce problème. Mais son crâne parfaitement lustré laisse tout de même perler quelques gouttes. Nous sommes à Nyon, 46 route de Genève, en Suisse, au siège social de l’UEFA. Aujourd’hui, l’institution doit choisir entre les deux coachs. Lequel des deux aura le privilège d’ajouter à son CV la prestigieuse ligne : « Finale de la Ligue des champions en 2016 » ?
Manuel et la raison
C’est Manuel Pellegrini qui passe l’entretien en premier, avec un énorme dossier sous le bras. En face de lui, cinq recruteurs lui font face. Ils ont tous un rôle différent, il y a le meneur qui dirige les débats, celui qui est là pour le déstabiliser, celui qui tente de le rassurer, celui qui ricane dans son coin, et celui qui s’ennuie. Le Chilien mise sur un argumentaire en trois points. D’abord, il fait valoir son expérience. En bientôt trente années de coaching, dont douze en Europe, il serait temps qu’il soit récompensé. Il est directement coupé par le jury. « Justement, comment se fait-il qu’en douze ans, vous ne soyez parvenus à vous hisser en demi-finales qu’une seule fois avant cette année ? Et encore, c’était avec le sympathique Málaga, mais quelles sont vos excuses avec le Real Madrid et Manchester City ? Vous n’aviez pas assez de budget ? » , ironise celui qui tient le rôle du méchant. Le visage de l’entraîneur chilien se referme. Mais il ne se démonte pas et fait vite marcher la machine à excuses.
« Avec le Real, j’avais Florentino Pérez qui me chiait dans les bottes en coulisses, et puis, vous avez vu ce but de Jean II Makoun, sans déconner. Avec Manchester City, c’est la première fois que je ne me tape pas le Barça dès les huitièmes. Ça aide. » Ensuite, Manuel se vante d’avoir « éliminé l’Inter en 2006 avec Villarreal » , puis met en avant son parcours cette saison. Il réclame une place en finale en parlant de mérite. Comme d’habitude, Manchester City a hérité du groupe de la mort, et cette fois-ci, il a réussi à terminer premier devant la Juventus (Manuel esquive de manière espiègle le fait qu’il a perdu à l’aller et au retour contre la Vieille Dame), le FC Séville et le Borussia Mönchengladbach. Ensuite, les Anglais n’ont pas tremblé une seconde dans une double confrontation qui aurait pu être piège face au Dynamo Kiev. Et enfin, les Citizens ont vaincu le PSG, qui se voyait déjà en demi-finale, malgré les absences de Kompany, Zabaleta, Yaya Touré et Sterling. Un bon point. Pour finir, Pellegrini joue sur la corde sensible. Cette finale de la Ligue des champions, ce pourrait être son dernier match à la tête des Sky Blues. « On me fout à la porte comme un malpropre pour prendre Pep Guardiola. Alors laissez-moi le fumer en finale, ce serait superbe comme scénario » , supplie-t-il presque. Gênés, les recruteurs prennent son CV, et lui demandent de quitter la salle.
Zinédine et le cœur
C’est au tour de Zinédine Zidane de plaider pour sa cause. Zinédine est beaucoup moins méthodique et surtout beaucoup moins à l’aise. Sa stratégie : jouer de son aura et de son passé glorieux de joueur. « Vous savez, sans me vanter, il se passe toujours quelque chose lorsque je participe à une finale. Vous vous souvenez de 2002, de ma volée contre le Bayer Leverkusen ? Ça vous dit quelque chose » , avance-t-il, pour paraître sûr de lui. Sauf que les recruteurs sont là pour enrôler un nouvel entraîneur, pas un joueur. « On vous adore M. Zidane, vous nous avez déjà beaucoup apporté. Mais ce n’est pas ça qui fait la différence sur un CV de technicien. Je ne vais pas vous citer tous les exemples de grands joueurs qui ne valent pas mieux que Jean Fernandez sur un banc de touche » , répond celui qui tient le rôle du gentil. C’est ce que craignait Zizou, qu’on ne décèle pas ses talents d’entraîneur, à cause du joueur qu’il a été. Pourtant, depuis qu’il est à la tête du Real, il n’a perdu qu’une fois, il a remis Ronaldo sur le chemin du but, il a fait tomber le grand Barça au Camp Nou et relancer le suspense en Liga, et il a montré tout son caractère en renversant la situation contre Wolfsburg. Il quitte la salle la mine basse. Les recruteurs se concertent. Ils promettent de faire passer un second entretien aux deux coachs après cette manche aller.
Par Kevin Charnay