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Pélissier : « À Revel, on a été élevé au Get 27 »
Christophe Pélissier a vécu l'extase de la montée en Ligue 2 avec Luzenac, avant la désillusion de la relégation administrative du club ariégeois. Amer mais pas revanchard, l'homme a forcé le verrou du monde professionnel avec Amiens. Après l'accession arrachée lors de la dernière journée du National au printemps dernier, le promu picard trône aujourd'hui en tête de la Ligue 2 au quart du championnat. Entretien où il est question de football, de Laurent Labit et de liqueur maison.
Vous avez grandi à Revel, en Haute-Garonne, une terre de rugby. Pour vous, c’était tout de suite le foot ou vous avez joué au rugby ?Je suis allé au foot de suite, à l’âge de cinq ans. Chez mes amis, c’était partagé. À l’époque à Revel, une ville de dix/douze mille habitants, il n’y avait que deux possibilités si on voulait faire du sport : soit on faisait du rugby, soit on faisait du foot. Laurent Labit, l’entraîneur du Racing (champion de France 2016, ndlr), est mon ami d’enfance. J’ai aussi joué au tennis à côté et j’ai été prof de tennis par la suite. J’ai carrément basculé sur le foot à l’âge de vingt-quatre ans.
Au-delà de votre amitié, vous vous nourrissez l’un et l’autre en tant que coach avec Laurent Labit ?Oui, parce qu’on discute beaucoup, au grand désarroi de nos épouses respectives. On parle foot, rugby, management, gestion de groupe, parce qu’on se retrouve avec les mêmes problématiques. Laurent Travers (le co-entraîneur du Racing, ndlr) est aussi un ami. Moi, je suis très curieux de nature, c’est important de se nourrir les uns les autres de nos expériences.
Vous avez espéré un temps faire une carrière en professionnel ?Quand j’étais joueur, je suis allé jusqu’en National avec Muret. J’ai reçu quelques sollicitations par des clubs de Ligue 2, mais ça ne s’est pas concrétisé. Je suis revenu à Revel à la fin de ma carrière en tant qu’entraîneur-joueur. Le passage de joueur à entraîneur s’est fait naturellement. J’avais grandi et joué avec certains joueurs de l’équipe. Ma chance, ça a été de monter en CFA 2 la première année. La dynamique s’est installée d’entrée. Même quand je suis venu à Luzenac, on était en CFA, je travaillais à côté ; dans un premier temps, j’étais entraîneur de tennis et puis ensuite, j’ai été éducateur sportif à la ville de Revel. Il n’y avait pas de plan de carrière. C’est le fait de gravir les échelons, de prendre goût à ce métier.
Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans ce métier ?Le sens des gens. Mon objectif numéro un, c’est donner une identité, une mentalité collective à ce groupe de joueurs, au staff. Un état d’esprit qui nous permet d’avancer ensemble vers le même objectif.
Après Revel et Muret vient donc Luzenac. Une sacrée aventure. À l’époque, vous avez même conduit le minibus des joueurs…Quand je suis arrivé en 2007, ma mission était de maintenir le club en CFA. Dans une ville de 600 habitants, c’était déjà un exploit. La première saison, on s’entraînait tard le soir et on rentrait chez nous à minuit. Les joueurs organisaient chacun leur tour le repas dans le mini-bus. La deuxième année, il y a cette montée en National. Pour moi, c’est la bascule parce que je passe entraîneur à plein-temps. À ce moment-là, le club doute un peu de s’engager dans cette voie avec tout ce que cela comporte. Et puis, il se trouve qu’on gagne les quatre premiers matchs de National et on finit la saison dixièmes. On prend goût au truc. La deuxième année, on se maintient. Jérôme Ducros devient président du club la troisième année. Il se dit : « On tente un truc un peu fou pour professionnaliser le club et pourquoi pas envisager une montée en Ligue 2 dans les trois ans. » La suite, tout le monde la connaît. On fait une saison exceptionnelle en 2013-14, on est promus dès le mois d’avril, mais malheureusement derrière…
Vous l’avez vécue comment, cette montée avortée en L2 ?Comme un vrai ascenseur émotionnel. On a vécu des choses exceptionnelles. Et derrière, ça s’écroule du jour au lendemain. Atteindre la Ligue 2 avec Luzenac, c’est comme atteindre la Ligue des champions pour certains clubs. (Rires) La chute est vertigineuse parce qu’elle est très brutale. Au mois d’avril, on fête la montée, on se pince en se demandant si c’est bien nous et, deux mois plus tard, on est pris dans la tourmente. Nous, on ne comprend pas ce qui se passe. On vivait un conte de fées. Du jour au lendemain, on nous coupe la tête.
Vous êtes toujours en contact avec les anciens joueurs de Luzenac ?On s’appelle ou on se rencontre souvent au détour d’un match. Cette histoire nous a marqués. Même pour ceux qui ont réussi après. Beaucoup de joueurs ont rebondi à un bon niveau, ce qui prouve que l’on avait un groupe de qualité. Après, il y en a toujours qui restent sur le carreau. Il faut aussi retenir le positif, cette aventure restera quand même dans leur mémoire.
Après le chapitre Luzenac, vous avez passé six mois sans club. Il se passe quoi dans votre tête à ce moment-là ?Je me pose des questions : savoir si je retournais à mon travail ou si je continuais dans cette voie d’entraîneur professionnel. J’ai passé mon DEPF dans l’idée d’aller au bout de ma formation, en me disant que si jamais ça ne se passait pas bien, je retournais à mon travail. Au mois de décembre, Amiens m’appelle. Derrière, j’enchaîne avec l’obtention du DEPF et puis on monte en Ligue 2. Dans la vie, il faut prendre des risques. Pour moi, ce risque a été payant – du moins professionnellement. La situation a eu un impact sur mon entourage, ma femme. Mais elle a été d’un soutien remarquable. Mon énorme chance, c’est qu’avec l’accord d’Alain Casanova et du Téfécé, j’ai pu travailler avec la CFA 2 et le centre de formation du club toulousain. Ils m’ont super bien accueilli. Je les remercie grandement parce qu’ils m’ont permis pendant trois, quatre mois d’être au contact d’un staff. J’étais sur le terrain, ça me libérait un peu la tête.
Vous quittez donc le Sud-Ouest pour la première fois de votre carrière…Je pars seul pendant six mois à mille kilomètres de chez moi, ce n’est pas évident. C’est un choc géographique et au niveau des infrastructures. Tout était déjà prêt pour le monde professionnel. Et tu arrives dans un groupe un peu en souffrance, avec l’ancien staff. Il a fallu cinq, six mois pour prendre mes repères. Ces six mois m’ont permis de prendre la température du club. Sur les vingt-six joueurs du vestiaire, il y en a vingt-trois qui arrivaient en fin de contrat en juin 2015. À la fin de la saison, il y en a dix-neuf qui sont partis. La difficulté, c’était d’impliquer tout le monde dans un projet à moyen terme. Avec le recul, je me dis que ça a été une bonne chose d’arriver en cours de saison. Après, on a pu repartir sur une saison « normale » .
La saison dernière, vous avez dit à vos joueurs que tout se jouerait lors de la dernière journée et tout s’est joué lors de la dernière journée à Belfort…On était treizièmes, à huit points du podium, au mois de février. En matière de management, ça a été un moyen d’impliquer mon groupe. Je les persuadais à petites doses, toutes les semaines. Je leur disais qu’on allait avoir nos cartes en main le 3 juin, et c’est ce qui s’est passé. Et le jour J : « Ça y est, on y est. Je vous le dis depuis février, je vous l’avais promis quand personne ne croyait en nous. » Est-ce que j’ai douté ? Non, j’étais convaincu de la force du groupe. Si on a pu remonter, c’est aussi parce que d’autres équipes se sont écroulées, mais ça fait partie d’un championnat. On est invaincus sur les treize dernières journées de championnat avec huit victoires et cinq nuls.
Sportivement, ça fait deux montées en trois saisons. Mais deux montées dans deux contextes totalement différents…La première accession est incroyable parce qu’on ne peut pas imaginer Luzenac arriver en Ligue 2. On était dans la peau du petit qui devait défier tous les pros et la logique sportive. À Amiens, on faisait partie des grosses écuries favorites pour la montée. L’approche à l’intérieur et à l’extérieur du club est complètement différente, et donc de fait la forme de management aussi.
Vous avez dit que « ce n’était pas une revanche » (France Football en juillet). Même pas un petit peu après tout ce qui vous est arrivé à Luzenac ? Non, non, j’ai pris ça comme un nouveau challenge. On pouvait se dire : « Celui-là, il a juste réussi un coup avec Luzenac. » Le challenge, c’était d’arriver dans un club « favori » et de l’emmener en haut.
Comment définiriez-vous votre philosophie de jeu ? Vous avez aussi dit : « La passe à dix ne m’intéresse pas » (On a tous un côté foot, en septembre)… En fait, la possession, il faut qu’elle serve à quelque chose. C’est pour ça que j’ai caricaturé. Pour moi, la possession, c’est très bien, mais ce n’est qu’un moyen. Sans l’intensité dans le jeu, sans insister sur les transitions, sans l’envie de casser les lignes, sans l’envie de faire mal à l’adversaire, ce n’est pas du tout ma philosophie. Moi, je veux voir mon équipe aller de l’avant. Je ne veux pas enfermer mon équipe dans une seule manière de jouer. Je dis souvent à mes joueurs : « Tout le monde peut attaquer, mais tout le monde doit défendre. »
La photo de la finale de la Coupe de France 2001 (perdue aux tirs au but contre le Racing Strasbourg) est-elle toujours sur votre bureau ?Oui, elle est au tableau. Denis Troch (le coach qui a emmené Amiens SC au Stade de France, ndlr) est passé me voir. Il m’a dit de l’enlever. Je lui ai répondu que j’enlèverai la photo le jour où je ferai aussi bien. La finale de Coupe de France 2001, c’est la date qui a marqué l’histoire du club.
Est-ce qu’une montée en L1, ça vaut une finale de Coupe de France pour Amiens ?(silence) Ah, je pense que oui, parce que c’est un club qui n’a jamais connu la Ligue 1, donc ce serait historique. Mais on en est encore très très loin.
Il faut qu’on en parle quand même : vous êtes leader de Ligue 2 avec un promu !Si vous m’aviez dit qu’on serait leader il y a deux mois… Je crois que France Foot nous avait déjà classé dans les équipes qui allaient descendre. C’est une surprise, mais dans le contenu, je ne suis pas surpris. Je pense que les dix-huit points empochés jusque-là sont mérités. On les a tous gagnés de haute lutte. Sur les neuf premiers matchs, j’ai rarement titularisé plus de trois recrues. Donc ce sont des joueurs habitués à des principes de jeu, ils les mettent en œuvre. Mais la place de leader après neuf journées, c’est anecdotique.
Il y a eu un déclic ?On a eu la chance de recevoir Reims d’entrée, le favori du championnat. Les joueurs ont été rassurés sur le projet de jeu. Ils ont montré qu’en allant vers l’avant, ils embêteraient beaucoup d’équipes. Les joueurs, je ne leur ai pas parlé de classement. La seule chose que je leur ai dite, c’est de rester ambitieux dans le jeu. Je veux une équipe qui pétille, qui a une mentalité collective. Il n’a jamais été question de parler de maintien parce qu’on sait que c’est normal. Parce qu’on sait qu’à un moment de la saison, ça sera plus difficile. C’est dans les moments faibles de la saison qu’il faudra garder ces attitudes collectives.
Vous venez de Revel, la ville où le Get 27 a été créé à la fin du XVIIIe siècle. Vous en avez forcément emmené une bouteille dans vos bagages ? À Revel, on a été élevé au Get 27, donc après une bonne soirée, on aime bien boire un verre. Malheureusement, le Get n’est plus fabriqué dans la ville.
Vous avez transmis votre culture locale aux joueurs à Amiens ?Bon, je ne leur ai pas fait découvrir, mais je leur ai expliqué que c’était fait chez moi. Le jour de la montée en Ligue 2, un journaliste m’a apporté une bouteille de Get 27, avec les glaçons, pour fêter ça dans le vestiaire. Ce verre, il était excellent !
Par Florian Lefèvre