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Pelé a 80 ans, vive le Roi !

Par Chérif Ghemmour
Pelé a 80 ans, vive le Roi !

Pelé est, avec Zagallo, le dernier survivant des joueurs brésiliens ayant disputé la finale de 1958. En marge du personnage mielleux jusqu’à la nausée qu’il incarne depuis la fin définitive de sa carrière en 1977, il convient de rendre un petit hommage mérité au « plus grand footballeur de tous les temps ».

Imaginez Pelé qui débarque en Suède : il déclarera que Dejan Kulusevski de la Juventus pourrait remporter bientôt le Ballon d’or. Imaginez-le maintenant arrivant en Angleterre : il louera le talent de Dele Alli en affirmant que dans ses meilleurs moments, il est aussi bon que Sócrates ! Ainsi va Pelé, robinet d’eau tiède au bon sourire UNICEF doublé de l’homme-sandwich multicarte qui fustige « la mainmise des grands monopoles sur le football »… tout en assurant grandement leur promotion ! Tel Pepsi auquel il s’était associé autrefois pour des programmes foot-jeunesse : « Pour moi, c’était un superbe exemple de ce que les multinationales pouvaient accomplir pour rendre le monde meilleur, tout en assurant la promotion de leur produit. »

Depuis qu’il a raccroché les crampons en 1977, Pelé n’aura de cesse de préserver son statut de Roi, se livrant à une lutte fatigante avec Maradona. Au-delà de la vanité, Pelé a tout simplement souffert qu’une bonne partie de sa carrière ait été occultée par le manque d’images TV. Au Brésil, on considère que ses meilleures années se situent au début des années 1960, juste avant que sa nouvelle carrure, plus musclée, le dépouille de sa gracieuse sveltesse. De ses débuts en 1956 jusqu’à cet âge d’or, ce sont des centaines de buts qui ont échappé aux caméras ! C’est pourquoi il jalousera, entre autres, Maradona dont les actions éclatantes et les buts ont été filmés live & direct sous toutes les coutures… Pelé est à baffer ! Voilà, c’est dit. Place à la plaidoirie !

Équipier sympa

Rappelons d’abord que malgré le surnom de « Roi Pelé » qu’on lui a attribué dès les années 1960, il n’a jamais joué les divas. Son ancien coéquipier en Seleçāo, Tostão, qui n’a jamais ménagé O Rei, affirmait ainsi en 2011 : « Pelé n’était pas égoïste. Et sur le terrain, il avait conscience que ses coéquipiers étaient importants pour lui. Il n’a jamais montré de dédain pour ses collègues, il était un vrai joueur d’équipe. Il aimait se sentir tel un joueur comme un autre au sein du groupe. Il n’aimait pas être traité comme une star. » La preuve lors du Mundial 1970, où il s’est brillamment fondu dans le collectif durant le tournoi, sans exiger de poste fixe, ni même le capitanat. Il avait même assuré au sélectionneur Mario Zagallo qu’il accepterait de ne pas figurer dans le onze type au Mexique à la seule condition qu’il le lui dise clairement en face.

Au départ, d’ailleurs, Pelé ne devait pas jouer la Coupe du monde 1970. Meurtri par la violence du Mondial 1966, il avait abandonné la Seleção au soir de la défaite contre le Portugal en Angleterre (3-1) pour n’y revenir qu’en 1968. À sa façon, Pelé avait dénoncé le jeu dur qui faisait courir le football à sa perte. Et ce n’est pas tout à fait par hasard si la FIFA avait institué les cartons jaune et rouge au Mundial 70 : quel spectacle offrir si les artistes sont massacrés ? Fasciné par la boxe et Mohamed Ali, Pelé aura la sagesse de ne pas faire non plus le combat de trop. Un an après le titre mondial au Mexique, il prendra sa retraite internationale lors d’un match contre la Yougoslavie au Maracaña le 18 juillet 1971 (2-2). Les « Fica ! Fica ! » ( « Reste ! Reste ! » ) de la foule chavirée n’y changeront rien : « Il faut partir quand le public veut qu’on reste, pas quand il veut qu’on s’en aille », écrira-t-il.

La fortune après la ruine

Surtout que ce statut ne lui était en aucun cas promis. Le petit pauvre de Baurù a été un temps cireur de chaussures pour apporter un peu d’oseille à la maison. Ça marque à vie… Passé pro à Santos, il a commencé à faire de la pub pour Tetra Pak après la Coupe du monde 1958. Il faut dire que dans les années 1960, il n’était pas le joueur le mieux payé de Santos et que, malgré son statut de « Roi » et ses 1000 buts, son club lui avait proposé un contrat à la baisse juste avant le Mundial 70 ! Tout ça parce qu’il traversait alors une mauvaise passe sportive. Alors que le Santos FC s’en était mis plein les poches lors de tournées mondiales incessantes en capitalisant sur le nom de Pelé. Plus grave : Pelé a connu deux fois la ruine financière. Une première fois dans les années 1960, à la suite d’une escroquerie classique de footballeur naïf. Il contractera un prêt auprès du Santos FC qui en profitera pour prolonger son contrat et multiplier les tournées du club de 1970 à 1974.

Quand il compte raccrocher en 1974, justement, il croit pouvoir jouir d’une retraite paisible avec un compte en banque bien garni. Horreur ! Une caution bancaire imprudente d’une société (la Fiolax) l’a totalement ruiné : il doit vite régler une dette colossale de plusieurs millions de dollars, ainsi qu’une amende salée au fisc brésilien. Payer ce lourd passif sera l’une des raisons majeures qui le pousseront à signer au New York Cosmos alors qu’il avait toujours dit non à une multitude de grands clubs européens. Aux USA, Pelé fera fortune en gardant désormais un œil plus attentif à son business. Contrairement à la légende qui raconte que Garrincha est mort seul et pauvre, Pelé affirmera qu’il lui a souvent proposé de l’argent et même d’organiser des matchs de gala au Maracaña pour le sortir de la dèche. Mais Mané a toujours refusé cette aide d’Edson Arantes. Enfin, de façon discrète, Pelé a toujours aidé du mieux qu’il pouvait ses anciens potes de la Seleção en difficulté.

Grand héros noir, malgré tout

Pelé, l’idiot souriant et trop apolitique ? C’est l’image un peu Uncle Ben’s qui lui colle à la peau… C’est oublier qu’en tant que Noir né pauvre, Pelé a dû surmonter ces complexes ethnico-raciaux pour s’élever : « J’appartenais à la troisième génération née libre de ma famille. Dona Ambrosina, ma grand-mère, qui vivait avec nous, était elle-même fille d’esclave. » Pelé est entré par la petite porte dans le monde blanc qui ne l’acceptait vraiment que parce qu’il était une star mondiale du futebol. Il s’est fait petit, souriant et bien poli à la manière de Louis Armstrong aux États-Unis parce qu’il était le seul à représenter sa communauté dans la bonne société brésilienne. Et puis son immense talent et sa renommée mondiale ont agi comme une force invisible dans la reconnaissance et la promotion des minorités dans son pays. C’est par la petite porte par laquelle il était entré que ses frères de couleur ont pu parvenir aux sphères plus élevées de la société brésilienne.

Dans L’Équipe d’aujourd’hui, le chanteur noir Seu Jorge ne dit pas autre chose : « Il nous a libérés, nous, les Noirs. Même sans manifester, il est le symbole du succès pour les Noirs, il a fait son boulot. » Quand il est devenu ministre des Sports en 1995, Pelé était ainsi devenu le premier ministre noir de l’histoire du Brésil : « Il a fallu attendre deux siècles après l’indépendance du Brésil pour que cela se produise, ce qui en disait long sur les difficultés rencontrées par les Afro-Brésiliens », écrit-il dans son autobiographie Ma vie de footballeur. À ce titre, il a promulgué la Loi Pelé sur le foot en 1998. Il avait tenté alors une timide moralisation du foot brésilien en forçant les clubs du pays à publier des bilans annuels et en accordant aux joueurs soumis au bon vouloir de leurs présidents le libre choix de pouvoir changer de club plus facilement. Quand on voit aujourd’hui dans quelle panade patauge le foot brésilien…

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