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Kadioğlu, un K d’école
Cheveux mi-longs, activité incessante et polyvalence, difficile de ne pas avoir remarqué le piston turc Ferdi Kadioğlu. Ce samedi soir en quarts de l’Euro, c’est un autre défi qui l’attend, affrontant les Pays-Bas, le pays qui l’a vu naître il y a 24 ans. Une histoire de binationalité loin d’être isolée dans une sélection qui se reconstruit aussi grâce à ses expatriés.
Vous avez forcément aperçu sa tignasse sur le côté gauche de la Turquie depuis le début de l’Euro. Inépuisable, indispensable à son équipe, au point qu’il a disputé toutes les minutes de la compétition, Ferdi Kadioğlu semble au sommet de son art pour son premier tournoi avec la Turquie. Jamais las d’enchaîner les déboulés ballon au pied, le joueur du Fenerbahçe va probablement changer d’air cet été, après six saisons à Istanbul, qui l’ont vu devenir le chouchou des fans. Et ce n’est pas sa performance en huitièmes de finale contre l’Autriche qui va faire redescendre sa cote. Avec 12,2 bornes parcourues sous les trombes d’eau de Leipzig, il a établi la plus haute marque de la compétition, en plus d’une prestation globale plus que consistante. S’il est aujourd’hui fixé comme arrière gauche, après avoir débuté comme milieu offensif, le droitier peut jouer un peu partout. Pour preuve : à 24 ans, il a déjà joué au moins 15 fois en professionnel à huit postes différents. D’ailleurs, Peter Hyballa, l’entraîneur qui l’a lancé en Eredivisie à 16 ans avec le NEC Nimègue, se souvient d’ailleurs de lui comme « d’un numéro 10 très bon techniquement et très bon dribbleur ».
Un croissant et des Oranje
Mais si Kadioğlu s’épanouit aujourd’hui avec les Ay-Yıldızlılar (les Croissants étoilés, surnom de la sélection turque), il aurait très bien pu les affronter ce samedi soir, maillot néerlandais sur le dos. De toutes les sélections de jeunes jusqu’en Espoirs chez les Oranje, c’est un produit de la formation néerlandaise, lui qui est né aux Pays-Bas, à Arnhem. International turc depuis juin 2022, il a pris le temps de faire son choix avant de se diriger vers le pays de son père, lui qui aurait aussi pu choisir ceux de sa mère, néerlando-canadienne. Et il n’est pas seul, au sein d’une sélection qui s’appuie sur de nombreux joueurs binationaux, dont Orkun Kökçü, blessé et suspendu pour le quart, qui est aussi né aux Pays-Bas. Dans les colonnes de L’Équipe, ce dernier a pourtant concédé n’avoir jamais hésité : « Je n’ai jamais pensé à jouer pour les Pays-Bas. […] J’ai rêvé avec la génération dorée de l’Euro 2008. »
Il a d’ailleurs côtoyé Kadioğlu chez les Oranje, des U17 aux U19. Une confrontation que ce dernier aborde différemment, comme il l’a confié à NOS : « Je suis né et j’ai grandi là-bas, mais nous voulons les battre. » Un cas de figure qui s’est appliqué à Mert Müldür, le latéral droit, né et formé à Vienne en Autriche, où il a évolué jusqu’à ses 20 ans, lors du tour précédent. S’il avait rappelé son attachement pour le pays, il n’avait lui non plus pas tergiversé au moment de faire son choix. Historiquement très forte, la communauté turque en Allemagne est aussi fortement représentée au sein des quarts-de-finalistes, puisque Kaan Ayhan, Cenk Tosun, Salih Özcan, Kenan Yıldız et Hakan Çalhanoğlu sont nés en Allemagne et que les trois premiers cités ont fait leurs classes internationales dans les équipes de jeunes de la Mannschaft.
Turkey have reached the #Euro2024 quarterfinals. With a diverse mix of players born also in other European countries. Clever scouting
Mert Müldür 🇦🇹 Ferdi Kadioglu 🇳🇱 Orkun Kökcü 🇳🇱 Hakan Çalhanoğlu 🇩🇪 Kaan Ayhan 🇩🇪 Salih Özcan 🇩🇪 Kenan Yildiz 🇩🇪 Cenk Tosun 🇩🇪#AUTTUR pic.twitter.com/UGYPGW9ujb
— Pascal Jochem (@pascwale) July 2, 2024
Désormais membre du conseil d’administration des équipes nationales, Hamit Altıntop (84 sélections avec la Turquie et né en Allemagne), a confirmé à L’Équipe cette volonté d’aller vers ces jeunes pour porter le projet de Vincenzo Montella. « Nous venons de relancer une cellule de détection des binationaux en Europe », a-t-il dit, avant de justifier cela par un vivier trop faible. « Au pays, nos académies ne sont pas assez performantes, des clubs plus que centenaires ne forment pas assez de joueurs. » D’où la nécessité d’aller chercher des jeunes comme Kadioğlu, pour qui la décision de représenter la Turquie est avant tout un choix du cœur. « Pour moi, c’était un choix difficile, bien sûr. J’ai parlé à mes parents, à l’entraîneur de la sélection, mais à la fin, c’était un choix personnel, a-t-il confié au média turc Ajansspor l’an dernier. J’ai eu un très bon feeling avec la sélection turque, et je suis très heureux d’avoir fait ce choix. Je suis très fier de porter ce maillot. »
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Tout un tas d’individualités du calibre de Kadioğlu, qui apportent des résultats, mais pas encore au point de faire chavirer les foules en Turquie. Du moins, pas comme Arda Güler peut le faire, lui le pur produit du football turc. Cette double vitesse de la sélection, entre joueurs locaux et expatriés, se fait aussi ressentir chez les supporters turcs. Si Ferdi ne s’est pas exprimé sur le sujet, Orkun Kökçü l’a fait. « Si tu es un joueur qui vient des équipes jeunes d’un grand club turc, puis qui perce chez les pros et rejoint les rangs de la sélection, il y a un immense soutien. Même si tu joues mal. […] Pour des joueurs comme moi, les critiques sont un peu plus rapides, ou faciles. »
Ça Bosphore le turc
Pour certains joueurs, cette prétendue distance avec la sélection est symbolisée par le fait qu’ils ne parlent pas ou très peu le turc. Depuis son arrivée sur la rive asiatique d’Istanbul en 2018, Ferdi donne ses interviews en anglais, même s’il s’essaye de plus en plus dans sa langue paternelle. À sa décharge, le turc est loin d’être une langue intuitive, comme il le faisait remarquer quelques mois après son arrivée : « Je ne parle pas turc, je suis en train de l’apprendre. C’est très différent du néerlandais, mais mon professeur dit que je peux l’assimiler rapidement. » Une vidéo de lui avait d’ailleurs beaucoup tourné sur les réseaux sociaux l’an dernier, quand après avoir gagné la Coupe de Turquie, un journaliste avait commencé à lui parler en anglais, faisant réagir son pote Arda Güler : « Mon frère, oui il comprend le turc ! »
— damla (@bakbioluyormu) June 11, 2023
Mais Ferdi est loin d’être le seul joueur de la sélection à galérer avec la langue d’Orhan Pamuk. Kenan Yıldız déclarait récemment en conférence de presse : « Je parle turc avec l’équipe, mais tout le monde rit (à cause de son accent, NDLR). » Ironiquement, Kenan et Ferdi sont beaucoup plus à l’aise pour donner des interviews aux médias de leur pays de naissance. Certains supporters turcs regrettent ainsi que l’homme à tout faire de la sélection ne maîtrise toujours pas la langue de son pays, mais ses performances se chargent de mettre tout le monde d’accord. Les critiques les plus vives venant finalement de son pays de naissance, où son choix a été vécu comme une trahison par certains. Récemment interrogée par le quotidien local De Gelderlander, la mère du numéro 20 s’est plainte de la vision qu’avaient certains de son fils : « Ça nous fait du mal que les gens disent que Ferdi est un “traître” parce qu’il porte le maillot turc. Tous ces gens ne connaissent pas notre histoire. La fédération turque de football a montré qu’elle croyait en lui. » Concernant son intégration, Ferdi ne parle peut-être pas encore un turc parfait, mais ses progrès sont notables. Culturellement, le joueur de Fener s’est aussi fait aux coutumes du pays de son père, en témoignent les nombreuses publications où on le voit jouer au backgammon, jeu très populaire en Turquie. À Berlin, la « plus grande ville turque en dehors de la Turquie » selon les médias néerlandais, les expatriés turcs donneront de nouveau de la voix pour leur sélection. Ferdi, lui, verra en tribune une immense fête familiale.
Par Julien Faure et Jules Reillat