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Jan Jongbloed, l’Oranje-gardien

Par Chérif Ghemmour

Jan Jongbloed (1940-2023) est décédé à l'âge de 82 ans des suites d'une longue maladie. Il fut le gardien du premier âge d’or des Pays-Bas, celui des deux finales de Coupes du monde perdues en 1974 et 1978.

Jan Jongbloed, l’Oranje-gardien

Ce moderniste un peu casse-gueule laisse un souvenir sportif contrasté mais teinté d’une grande sympathie à son encontre sur le plan humain… Par les effets du hasard mais aussi des règlements de comptes proverbiaux de la longue histoire des Oranje, Jan Jongbloed a connu le rare privilège de disputer deux finales de Coupes du monde tout au long d’une carrière internationale ramassée en seulement 24 sélections entre 1962 et 1978.

1974 : sans peur, sans reproches et sans gants !

Lorsque le 15 juin 1974, l’équipe des Pays-Bas déboule sur la pelouse du Niedersachsenstadion d’Hanovre pour y disputer son premier match de Coupe du monde contre l’Uruguay, les supporters oranje sont surpris de voir le gardien Jan Jongbloed titulaire. Et il y a de quoi… Il a 33 ans, il n’est pas très grand (1,79 mètre), il porte un improbable numéro 8 au dos, il joue sans gants (« sinon tu ne peux pas ressentir la balle », disait-il), il garde les buts du petit club du FC Amsterdam, et son visage au tarin écrasé est agité de tics nerveux. Mais le plus surprenant, c’est que sa dernière sélection avec les A remonte à un banal match de préparation face à l’Argentine fin mai (4-1), depuis sa première cape en 1962 et une sacrée déculottée contre le Danemark (4-1). Comment ce gars peut se retrouver gardien de la grande équipe des Pays-Bas, cofavorite du tournoi avec la RFA ? Tout simplement parce que le gardien numéro 1, Jan van Beveren, a été écarté par le sélectionneur Rinus Michels juste avant le Mondial en Allemagne.

Revenant de blessure, Van Beveren se disait parfaitement rétabli pour cette compète. Mais Michels n’a pas voulu retenir l’immense gardien du PSV Eindhoven, cette grande gueule en conflit ouvert avec les barons Oranje du Feyenoord et de l’Ajax. Dont Johan Cruyff, son ennemi juré. On raconte encore aujourd’hui que Johan Ier aurait agi personnellement pour faire virer Jan… Or, le second meilleur gardien était Piet Schrijvers, du FC Twente. Mais c’est bel et bien Jongbloed qui fut bombardé titulaire pour cette Coupe du monde. À raison, quelque part : ses arrêts de balles bien bloquées et son jeu au pied moderne avaient convaincu Michels. Neuer des temps anciens, il avait aussi cette capacité à participer au jeu hors de sa surface, notamment dans les fins de match où il montait parfois pour tenter de marquer. Michels voyait donc en lui le parfait gardien-libéro, comme son ex-keeper de l’Ajax, Heinz Stuy.

Le choix de titulariser Jongbloed, assez pote avec Cruyff, se révèle judicieux : hormis un but contre la Bulgarie (4-1, un CSC de Ruud Krol), Jan conserve inviolée la cage néerlandaise jusqu’à la finale, totalisant cinq clean sheets, contre l’Uruguay (2-0) et la Suède (0-0) en poule, et au second tour contre l’Argentine (4-0), la RDA (2-0) et surtout face au redoutable Brésil (2-0). Le 7 juillet, en finale contre la RFA (1-2), il concède les deux buts de la défaite. Si les fans néerlandais pinaillent sur une certaine « passivité » lors du penalty égalisateur de Paul Breitner (1-1), on lui reproche son absence de réactivité immédiate sur le but de Müller, dont le shoot croisé en pivot n’était pas très puissant et à sa portée, malgré le tir rasant. Jan effectue tout de même quelques parades de haute volée, et après cette finale perdue, on a cru que c’était sa dernière sélection en Oranje. Erreur…

1978 : bévues monumentales à l’Estadio Monumental ?

S’il dispute encore quelques rencontres pour son pays en 1974-1975, il disparaît des radars, rappelé parfois pour faire le nombre en restant sur le banc. C’est Jan van Beveren, plus que jamais meilleur portier néerlandais à Eindhoven et un des meilleurs en Europe, qui avait gardé la cage des Oranje. Mais d’autres conflits à couteaux tirés avec Johan Cruyff provoquent le renoncement définitif de Van Beveren à la sélection. Piet Schrijvers, qui alternait avec le gardien du PSV, redevient numéro 1. Jusqu’à ce que Jongbloed réapparaisse à partir de fin 1977 pour des matchs amicaux et la fin des qualifs de Coupe du monde 1978. Et étonnamment, il est retenu par le sélectionneur autrichien des Oranje, Ernst Happel, dans la liste des 22 pour le Mundial argentin de 1978 ! Il a alors 37 ans, n’est toujours pas très grand (1,79 mètre), il porte un improbable numéro 8 au dos (le numéro 1 était attribué à Schrijvers, présumé titulaire), il joue cette fois avec des gants, il garde les buts du petit club du Roda JC et son visage au tarin écrasé est encore plus agité de tics nerveux.

Et contre toute attente, c’est encore lui qui débute en Argentine comme titulaire ! Au premier tour, après deux clean sheets contre l’Iran (3-0) et le Pérou (0-0), il essuie comme les autres une défaite 3-2 contre l’Écosse qui, à 3-1, a failli éliminer les Pays-Bas. Sans doute inquiété par la nervosité de Jongbloed, Happel le remplace par Piet Schrijvers au second tour. Fini pour Jan ! Schrijvers performe contre l’Autriche (5-1), contre la RFA (2-2), mais se blesse lors du troisième match crucial contre l’Italie, à la 21e minute alors que les Pays-Bas étaient menés 1-0… Et Jan de rentrer dans ce match grandiose où les siens l’emportent finalement 2-1 pour se qualifier pour leur deuxième finale de Coupe du monde d’affilée contre l’Argentine, pays hôte ! Le 25 juin 1978, sous la marée de papelitos du bouillant Estadio Monumental de Buenos Aires, les Oranje sans doute tétanisés par l’hostilité du public et l’agressivité de l’Albiceleste perdent le match 3-1 après prolongation.

Sans le nommer vraiment comme bouc émissaire de cette défaite, on blâme toutefois Jongbloed sur deux des trois buts adverses. Une sortie hésitante sur la percée de Mario Kempes et un ballon qui lui glisse sous le corps (1-0 à la 38e), et un placement un peu lunaire sur une autre sortie hasardeuse afin de contrer la percée de Bertoni (3-1 à la 115e). Heureusement pour Jongbloed, l’opinion publique néerlandaise préfère ressasser dans les regrets éternels l’absence de Johan Cruyff en Argentine plutôt que de l’accabler. Reste que depuis 1978, le football néerlandais a sans cesse « refait le match » de ces deux finales perdues en imaginant ce qu’auraient réalisé les Oranje avec Jan van Beveren dans les buts. En septembre 1984, Jongbloed recueille l’empathie nationale lorsque son fils Éric, lui aussi gardien de but au DWS Amsterdam, meurt à 20 ans, frappé par la foudre pendant une rencontre. Jan Jongbloed met fin à sa carrière à 45 ans, à la suite d’une attaque cardiaque survenue durant un match contre Haarlem. Il détient toujours le record absolu de matchs joués en Eredivisie (717), au milieu de tous ces grands souvenirs.

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