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Pays-Bas-Argentine : l’envol de Bergkamp
Le 4 juillet 1998, Dennis Bergkamp terrassait l’Argentine en quarts de finale de la Coupe du monde. Un chef-d’œuvre éternel, que tenteront de faire revivre les Oranje ce vendredi au Qatar.
On se demande bien à quoi pensera Roberto Ayala au moment de s’asseoir sur le banc du Lusail Stadium de Doha et de défier les Pays-Bas. Il est en tout cas probable que l’adjoint de Lionel Scaloni à la tête de l’Albiceleste se remémore cet après-midi du 4 juillet 1998, qui vit Dennis Bergkamp le mystifier dans la fournaise du stade Vélodrome, pour inscrire l’une des plus belles réalisations de l’histoire du Mondial.
Le grand huit
Cette dramaturgie s’inscrit sous le signe du chiffre « 8 » . Dans le sillage de l’Ajax, redevenue une machine à talent au milieu des 90s, les Pays-Bas débarquèrent effectivement en France le couteau entre les dents. Légèrement en retrait depuis le glorieux Euro 1988, la bande à Guus Hiddink se cherchait un idéal sur le plan international, et ce quart de finale face au rival argentin – vainqueur sous leur nez en 1978 – faisait office de décor adéquat. En tête du groupe E (devant le Mexique, la Belgique et la Corée du Sud), les Néerlandais s’étaient ensuite difficilement débarrassés de la Yougoslavie en huitièmes de finale (2-1) avant donc de croiser le fer avec les Ciel et Blanc. Des Argentins tout aussi dominateurs dans un groupe H abordable (Croatie, Jamaïque et Japon) et à leur tour poussés à bout, par l’Angleterre (2-2, puis victoire 4-3 aux tirs au but).
Ainsi posé, le scénario laissait alors naturellement place à 22 superbes acteurs. Pourtant, dans les vestiaires du Vélodrome, Daniel Passarrella restait aux aguets. Avant de laisser partir les siens, l’autoritarisme quasi militaire du sélectionneur argentin refaisait surface l’espace d’un instant, prenant entre quatre yeux Roberto Ayala et José Chamot, ses deux défenseurs, pour leur dire : « Ne faites pas n’importe quoi ! Soyez ri-gou-reux ! » Une semaine auparavant, Michael Owen, 19 ans à peine, s’amusait en effet des deux géants d’une chevauchée iconique. Dans le local d’à côté, c’est au contraire un Dennis Bergkamp détendu qui s’apprêtait à enfiler sa tunique floquée du 8. Il faut dire que la présence du meneur de jeu en quarts est assez inespérée, lui qui, lors du tour précédent, s’était généreusement essuyé les crampons sur le torse de Siniša Mihajlović, sans que Laurent Rausis, arbitre assistant du soir, n’ait daigné réagir.
Le saut du Non-Flying
Le duel à distance pouvait donc démarrer, sous les yeux de 55 000 spectateurs surchauffés. Et les choses ne traîneront pas. Sur une percée de Frank de Boer, Bergkamp s’illustre une première fois en remisant de la tête vers Patrick Kluivert, venu ouvrir le score en face à face (12e). Les Pays-Bas mènent, mais ne tardent pas à être rejoints, la faute à un alignement défensif hasardeux et au sens du but de Claudio López (17e). Égalité totale, en prémices d’une fin de match d’anthologie. À dix contre dix, à la suite des expulsions d’Arthur Numan et Ariel Ortega (pour une simulation et un coup de tête à Edwin van der Sar, en moins de 30 secondes), les deux équipes libèrent de l’espace. Profitable à Dennis Bergkamp. « N’importe qui, môme, rêve un jour de marquer un but de ce style en Coupe du monde », nous racontait l’intéressé. En effet, à une minute du terme, sur un long ballon de De Boer, Bergkamp démarre dans le dos d’Ayala, s’élève dans les airs pour contrôler en suspension, redescend en éliminant son adversaire d’un petit pont aérien et place le cuir dans la lucarne de Carlos Roa, d’un sublime extérieur. Le tout du pied droit.
Un instant de grâce, entré dans la légende, que le Non-Flying Dutchman narre mieux que quiconque. « Avec Frank (de Boer), on s’était vus. Juste un instant. Je le regarde, il me regarde, et je sais qu’il va me donner le ballon. Alors je cours aussi vite que je peux. Je n’ai qu’une idée en tête, créer ce petit espace qui me permettra d’aller au bout. Il n’y avait pas beaucoup de vent, donc j’ai surtout regardé devant pour continuer ma course et être là à l’arrivée du ballon. » Le sprint devant Ayala est réussi, le porte-manteau qui suit l’est encore plus. « Là, deux options. La première, je le laisse rebondir et je le contrôle au sol. C’est le plus facile, mais je risque de me retrouver au niveau du poteau de corner. La seconde, c’est de sauter et d’essayer de le récupérer en l’air. Tu dois rester aussi calme et immobile que possible, comme si tu te tenais debout sans bouger… mais en l’air, et en contrôlant le ballon. » L’étape du contrôle est également surpassée, avant que n’arrive la dernière. Celle de la finition. « Je me dis que ce n’est pas le bon angle pour la prendre du gauche, alors je choisis de la prendre du droit, je vise le poteau opposé, et hop ! C’est ce que je voulais. La mettre loin du gardien. Il ne peut pas l’arrêter. Je suis dans mon truc… »
DENNIS BERGKAMPPPP !
Le « truc » est maîtrisé au millimètre, les Pays-Bas s’imposent pour rejoindre le Brésil en demi-finales et Jack van Gelder, commentateur pour la télévision nationale NOS, passe à la postérité en s’époumonant à coups de « Dennis Bergkamp ! Dennis Bergkampppp ! » Le son fait frissonner, au même titre que l’image, pour un Bergkamp ému aux larmes, les mains sur le visage.
« J’aime le beau football, mais ça doit avoir un sens. Cela doit m’emmener quelque part. C’est ce qu’il s’est passé avec ce but. C’est mon plus beau, je pense. Alors sur le coup, j’ai repensé à moi gamin, à moi à 7 ou 8 ans, à l’époque où je jouais au football dans mon jardin. C’était ce moment ! J’ai mis les mains sur mon visage comme pour dire« je n’y crois pas ». » Les souvenirs impérissables d’un artiste ayant fait rêver toute une génération, et faisant dire à son adversaire direct qu’« il est impossible de défendre sur des gestes de génie ». Alors oui, ce vendredi soir, on se demande bien ce qui trottera dans la tête de Roberto Ayala.
Par Adel Bentaha
Propos de Dennis Bergkamp tirés du SoFoot hors-série 100% Pays-Bas.