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Paul Pogba, un cas à part en équipe de France
Une entrée contre l’Ukraine, une première titularisation contre le Portugal, Paul Pogba est de retour en Bleu après seize mois d’absence. Et si Didier Deschamps lui a gardé une place particulière dans son groupe, le Mancunien devra tout de même cavaler pour prendre le train en marche.
Dans le monde de la restauration, il y a plusieurs sortes de formules : midi, enfant, plat du jour, sur place, etc. Paul Pogba, lui, est plus du genre à emporter, par ses formules. Et si les murs du vestiaire du Loujniki avaient des oreilles, ils ne pourraient pas dire le contraire. « On va écrire l’histoire, là on a juste le stylo », martelait le maître de cérémonie des Bleus avant la finale contre la Croatie. Pour le coup, elle fut belle, cette histoire. En Russie, l’ex-poulain de Pat Évra s’était transformé à son tour en grand frère, capable de parler à toutes les générations. Un porte-drapeau aussi galvanisant dans l’intimité du groupe que sous les projecteurs de la pelouse.
Pourtant, cette gouaille, cette verve et ce sens du storytelling ont récemment été mis en sourdine à cause d’un corps fragile et d’une épidémie robuste. Les blessures et un test positif à la Covid-19 ont asséché l’encre, la Pioche a bien essayé de frotter la mine sous sa semelle, mais c’est seulement en ce mois d’octobre qu’il a pu reprendre le fil de sa carrière internationale. « Ce n’était pas facile, je suivais les matchs, mais, en tant qu’amoureux du foot, je voulais être là avec mes coéquipiers, les aider et revenir en forme, expliquait le Red Devil en conférence de presse. Un long moment d’absence comme ça avec la sélection, c’est pas facile. Quand tu prends du recul et que tu as ce moment où tu reviens, tu te dis encore plus que c’est un plaisir de rejouer pour l’équipe de France, de rejouer au Stade de France, de rentrer pour jouer avec mes coéquipiers. C’est beau. »
G.O trouve-tout
515 jours se sont alors écoulés entre une dernière apparition en Andorre le 11 juin 2019 et son entrée en jeu, à la place d’Eduardo Camavinga, contre l’Ukraine. Et c’est non sans émotion qu’il a repris son numéro 6. « Je suis très content de remettre ce maillot, cela m’avait vraiment manqué », savourait-il au micro de France Info. Et visiblement, l’inverse est réciproque tant Paulo a repris naturellement sa place : « Avec le groupe qu’on a, je suis très à l’aise, c’est comme si je n’étais jamais parti. » Didier Deschamps connaît lui aussi son importance dans l’équilibre du groupe. « Par rapport à tout ce qu’il a pu faire et l’importance qu’il a dans le groupe, je préfère l’avoir là disponible au milieu de ses partenaires », jurait le sélectionneur. Ainsi, il ne fallait pas s’étonner de voir l’escogriffe chaperonner Eduardo Camavinga, un gamin qui a pu en quelques minutes montrer que le futur était déjà là. « L’avenir est entre ses mains, promet son aîné Pogba. C’est un petit danseur, pas timide, il me fait penser à moi, il a confiance en lui et ses qualités. »
Mais voilà, en sélection, si le vécu et l’attitude sont indispensables pour s’inscrire dans la durée — surtout avec Deschamps —, être le meilleur G.O du pays ne suffit pas pour garder sa place de titulaire. Il faut aussi prouver par le jeu qu’on a sa place sur le champ de bataille. Face à une équipe bis de l’Ukraine, le Mancunien n’a eu aucun mal à se fondre dans le moule. Mais contre le Portugal, le redémarrage en côte n’a pas été aussi simple. Placé à droite du milieu en losange, plus éloigné de son complice N’Golo Kanté et avec la charge de couvrir tout le flanc droit, la Pioche s’est coltiné tour à tour son coéquipier Bruno Fernandes, puis le musculeux William Carvalho. Deux profils qui lui ont posé quelques difficultés. Régulièrement coincé le long de la ligne de touche, il a eu du mal à se dégager, que ça soit par des dribbles finalement peu percutants ou des diagonales mal ajustées (notamment celle destinée à Hernandez arrivant bien dix mètres dans son dos). Ce soir-là, il a été le joueur français qui a touché le plus de ballons (98), mais aussi celui qui en a le plus perdu (24). Pris à la gorge, Pogba a semblé pressé par le temps et restreint dans l’espace, étant dépossédé à six reprises du ballon dans les duels. Et si la seconde période lui a permis de se montrer un peu plus à son avantage, avec notamment quelques frappes trop peu appuyées pour être dangereuses, cette première titularisation n’a été en rien une promenade de santé.
Tout cadre qu’il est, Paul Pogba doit aujourd’hui savoir qu’il devra réaliser une saison solide avec United, et retrouver son rôle dans le XI de Deschamps s’il veut s’offrir un Euro à la hauteur de son statut de taulier. Le risque de voir « un petit danseur », mais aussi des joueurs comme Corentin Tolisso, Adrien Rabiot voire Houssem Aouar lui couper l’herbe sous le pied est aujourd’hui réel. « La concurrence, c’est normal, tempère le joueur de 27 ans. J’étais titulaire depuis des années, mais les choix du coach, je les respecterai toujours. Si un joueur arrive et apporte plus, que le coach le décide, il faut l’accepter, et tant mieux. » Accepter son sort est une chose, le prendre en main en est une autre. Après avoir insufflé la hargne à ses coéquipiers, c’est à lui qu’il doit maintenant réciter ces paroles comme un mantra : « On sait tous où on est, on sait tous ce qu’on veut. On sait tous le chemin qu’on a fait. On connaît. Dans nos cœurs, dans nos regards, on est concentrés. […] Je veux qu’on rentre sur le terrain, des leaders, des guerriers. Et après je veux voir des larmes, pas des larmes de tristesse, des larmes de joie, en train de s’embrasser sur le terrain. » Ça tombe bien : revoilà la Croatie et son maillot à damier qui repointent leur nez. À Paulo de placer ses pions.
Par Mathieu Rollinger