- International
- France
Paul Pogba : un Bleu difficile à gommer
L'histoire dans laquelle est embarqué Paul Pogba depuis ce week-end, en plus de ses soucis physiques, pourrait avoir des conséquences sur sa présence dans le groupe de l'équipe de France en septembre, mais aussi au Qatar. Si la suite des événements aura forcément un poids non négligeable, la balle est surtout dans le camp de Didier Deschamps, qui a toujours considéré Paul Pogba comme un ponte de la maison bleue.
Le 15 septembre prochain, Didier Deschamps montera les marches de l’estrade de l’auditorium du siège de la fédé avec une feuille A4 pliée entre ses doigts et dont le contenu ne sera bientôt plus confidentiel. À l’instar de Mathias Pogba dans ses vidéos, il dictera mot à mot ce qui y est inscrit. Mais à l’inverse de Mathias Pogba, le nom de Paul Pogba ne devrait pas être mentionné. Aucun scoop là-dedans : le Juventino risque de ne pas être remis à temps de sa grave blessure au ménisque du genou droit, subie fin juillet. Et si par bonheur, sa convalescence venait à être écourtée, il y a peu de chances que la tornade dans laquelle il se trouve depuis ce week-end ait arrêté de souffler.
Hormis pour les cas qui le dépassent, sauf quand les charges ou la pression se montrent trop lourdes pour son large dos (dans les cas de Karim Benzema, Kurt Zouma et a fortiori Benjamin Mendy), Didier Deschamps a toujours protégé aussi longtemps qu’il le pouvait ses joueurs lorsque le vent tournait, qui plus est ses cadres. Les exemples de Kingsley Coman, Lucas Hernández et Hugo Lloris quand ils étaient dans la tourmente en sont la preuve. Impossible donc qu’il jette le Double P en pâture en l’exposant davantage ; impossible également qu’il ne lui apporte pas son soutien si les faits connus dans cette affaire d’extorsion et de chantage supposés ne changent pas de teneur. Les propos de Noël Le Graët, son président à la FFF avec qui il partage 99% du temps la même ligne, ne peuvent être qu’un avant-goût de ce que répondra la Dèche aux journalistes. « Pour le moment, on est au début d’une affaire. Personne n’est allé au tribunal à ce que je sache pour le moment. À ce stade, ce ne sont que des rumeurs, avait réagi NLG. J’adore Paul. J’espère que ça ne remet pas en cause sa place en équipe de France. »
De la lumière au mauvais endroit, au mauvais moment
Dans le cœur et l’esprit du sélectionneur, Paul Pogba a toujours eu une place à part. Alors qu’il lui avait ouvert les portes du château de Clairefontaine en mars 2013, le Basque avait dû protéger le garçon dès son deuxième match avec les Bleus, lors duquel il fut expulsé après avoir fait goûter ses crampons à Xavi. Le boss des tricolores avait alors sorti le bouclier médiatique — « Pogba a fait voir tout son potentiel » — tout en remontant les bretelles du jeune milieu en coulisse. Cette relation spéciale s’est peaufinée avec le temps, les deux hommes aux caractères opposés devant s’apprivoiser. « Je me souviens d’une conversation avec Tonton Pat lors de mes premières sélections. Je lui ai dit :« Le coach ne m’aime pas, il est toujours sur moi, il me rappelle toujours à l’ordre. »Pat m’a répondu qu’au contraire, s’il était toujours derrière moi, c’était justement parce qu’il m’appréciait, qu’il voulait me faire progresser, racontait Pogba à L’Équipe cet été. Il y a eu un déclic quelques semaines plus tard lorsque je suis allé parler au coach. On s’est dit les choses. À partir de là, j’ai vraiment pu apprendre comment il fonctionnait et j’ai surtout pu le comprendre. » Depuis, malgré les hausses de ton lors de matchs crispés, comme face à la Suisse lors du dernier Euro, rien n’a pu altérer la confiance de Deschamps en celui qu’il voit comme « un leader expressif ». Et celui-ci le lui rend bien, que ce soit pour donner de la voix dans les vestiaires, comme les images inside de la campagne de Russie ont pu le montrer, ou pour désamorcer les tensions, comme lorsqu’il s’est présenté face à la presse le lendemain des tensions entre Mbappé et Giroud lors de la préparation de l’Euro 2021.
Pourtant, malgré tous ses efforts, Didier Deschamps ne peut pas tout contrôler, tout maîtriser. L’entourage, notamment. Paul Pogba s’est toujours construit et affiché avec sa famille. Ses frères étaient sur la pelouse du Loujniki lorsque leur cadet soulevait la Coupe du monde, sous la pluie et les cotillons. Mathias – puisque c’est avec lui que le torchon brûle aujourd’hui – était aussi flanqué en tribunes pendant l’Euro, même quand Mme Rabiot et M. Mbappé s’écharpaient dans celles de Bucarest. Ces liens, ces soutiens, ont jusqu’ici été perçus comme une force et un des facteurs du bien-être de La Pioche. « Je suis resté très proche de mes amis d’enfance, de mes gars, ce sont eux qui me donnent cette confiance. Et mes frères, la base… Je suis en contact tous les jours avec eux. Ça me fait rester moi-même, je n’oublie pas d’où je viens », expliquait-il à So Foot en mai 2016. D’où il vient, c’est son quartier, son city-stade de Roissy-en-Brie, son clan. Celui avec qui il jouait au ping-pong hier et qui aujourd’hui lui porte atteinte. Paul Pogba est un homme qui a en partie bâti sa carrière sur son image, de la couverture de So Foot qu’il fracasse comme un miroir en disant « Je veux être une légende » à son Pog’mentary. C’est une fois que cette image se trouve écornée que les choses commencent à se gâter. D’autant que la distance qu’il a longtemps cultivée avec les médias peut lui jouer des tours. À ce sujet, Deschamps l’avait pourtant mis en garde, par le passé : « Ne mène pas ce combat-là, tu vas le perdre. »
N’oublie pas tes affaires
Le souci, du moins pour l’équipe de France, c’est que le temps sportif n’est pas le même que celui des scandales. Dans tous les cas, le temps presse. La réalité est que Paul Pogba, depuis la victoire en Ligue des nations en octobre dernier à Milan, a manqué deux des trois derniers rassemblements des Bleus, et six matchs sur huit. Entre-temps, Aurélien Tchouaméni s’est révélé au niveau international et a pu montrer des qualités qui laissent penser que Paul Pogba n’est plus indispensable. Les observateurs de l’équipe de France savent très bien que La Pioche, sous le maillot du coq, reste tout de même un des plus beaux joueurs à voir évoluer. Mais depuis un an, le garçon a cumulé une année cauchemardesque en club, a connu trois blessures différentes, a perdu son conseiller Mino Raiola, s’est fait cambrioler assez violemment, a dévoilé qu’il avait traversé une période de dépression… tout ça avant que son frère Mathias n’entame son show. Ça fait beaucoup pour un seul homme. Ça fait beaucoup aussi pour un sélectionneur qui aimerait pouvoir embarquer au Qatar un groupe sain et délesté de tout bagage superflu. Et ce n’est pas les rumeurs du mauvais sort lancé à Mbappé qui allégeront le barda.
Par Mathieu Rollinger