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Paul Pogba : et maintenant ?
Suspendu à titre conservatoire le 11 septembre 2023, Paul Pogba a été condamné à quatre ans de suspension pour infractions aux règles antidopage, après un contrôle positif à la testostérone. Deux experts en lutte antidopage analysent cette décision, rare dans le monde du foot.
La Pioche n’a pas encore touché le fond, mais s’en rapproche. À deux semaines de son 31e anniversaire, Paul Pogba vient de recevoir un cadeau anticipé dont il se serait bien passé : une suspension de quatre ans pour non-respect des règles antidopage. Déjà suspendu à titre conservatoire depuis le 11 septembre dernier, après un contrôle positif à la testostérone remontant à août 2023, le champion du monde 2018 pourrait ne plus jamais refouler les terrains de football professionnel. Même s’il a fait savoir, via son entourage, qu’il n’allait pas abandonner si vite. Et pour cause, malgré la gravité des faits, Paul Pogba peut encore faire appel.
« Penser le foot à l’abri du dopage serait naïf »
« En matière de dopage, après avoir épuisé les voies de recours internes, dans ce cas en Italie, on peut faire appel devant le Tribunal arbitral du sport. Quand la décision sera publiée, il aura 21 jours pour faire appel devant le TAS », explique Me Laurent Plagnol, avocat en droit du sport et spécialiste des questions de dopage. Relancé sur la dimension historique, ou du moins inhabituelle, de cette décision dans le monde du ballon rond, l’homme en robe noire ajoute : « Dans le monde du foot, c’est peut-être inhabituel, mais cette décision est conforme au code mondial antidopage, et donc pas surprenante. Penser le foot à l’abri du dopage serait naïf. Il y a du dopage dans tous les sports, à tous les niveaux : la triche est consubstantielle au sport et à la nature humaine. Vous pensez qu’un sportif qui court 90 minutes tous les trois jours pendant huit mois ne carbure qu’à l’eau claire ? »
« Dans le cas Pogba, sa seule chance de diminuer sa peine, c’était de prouver qu’il n’a pas pris de testostérone intentionnellement. A priori, il n’a pas réussi à le prouver, ajoute le membre d’une agence européenne de lutte antidopage. Quatre ans, dans le code mondial antidopage, c’est la plus grosse peine. On considère que la testostérone ne peut qu’être prise de façon intentionnelle, comme les anabolisants, l’EPO, les hormones de croissance. On considère que c’est volontaire, pas médical, donc c’est quatre ans. » La lourdeur de la sanction n’est donc liée ni à la notoriété du joueur, ni à la volonté de faire un exemple, mais serait juste une application à la lettre des textes. D’autant que la testostérone a des effets multiples : gains de masse musculaire, endurance… « Les effets sont indéniables. Ce n’est pas du dopage léger. C’est un produit dopant très efficace », ajoute ce même expert. Dans le cas d’un blessé de longue date, comme Paul Pogba l’a été, les suspicions sont donc d’autant plus grandes.
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La piste du complément alimentaire
Habitué à ce genre d’affaires, Me Plagnol phosphore : « Pogba était blessé, avait du mal à revenir, et il est contrôlé positif à la testostérone, une hormone qui permet d’augmenter la charge de travail, la masse musculaire, etc. Ça colle, d’accord. Mais est-ce volontaire ? Était-il au courant ou a-t-il été trompé par un médecin ? » Ce contexte pèse aussi d’une autre façon sur la décision, puisqu’un athlète blessé, qui a passé la trentaine, est considéré plus à risque concernant la prise de produits divers, explique l’expert d’une agence européenne : « C’est plus dangereux de prendre de la testostérone dans son cas que pour un joueur en pleine forme, qui joue et qui est plus jeune. » Ce dernier poursuit, étonné : « Les footballeurs, souvent, ce sont plutôt des affaires de cocaïne, de cannabis, parfois de stimulants. Ils sont normalement hyperencadrés par les staffs médicaux, et justement, là, Pogba est sorti du cadre du club. Il a pris un truc qu’un ami d’ami lui a donné, a priori. S’il avait fait confiance au staff médical de la Juventus… »
Quant à la piste du complément alimentaire, défendue par le joueur, elle n’est pas à exclure. « Huit fois sur dix, ces compléments sont contaminés dans la chaîne de production, ou alors certaines substances en quantités infimes ne sont pas indiquées par le fabriquant. Ce n’est pas une thèse improbable », estime Me Plagnol, avant de rappeler un point fondamental dans ce genre d’affaires de dopage : « Par principe, un sportif doit se gérer, et est responsable de tout ce qu’il ingère. Si un médecin prescrit un médicament, le sportif doit vérifier s’il peut prendre ou non ce médicament. Une fois que vous êtes pris, il faut trouver comment la substance est arrivée dans le corps, et, le cas échéant, prouvé que c’était à son insu. » Voilà le défi qui attend Paul Pogba : prouver qu’il n’avait aucune intention de se doper. « Pour qu’il soit blanchi, il faudrait même prouver un sabotage à son encontre, estime l’expert d’une agence européenne antidopage. Que sa peine passe de 4 ans à 0, ça paraît très peu probable. Déjà, s’il passe de 4 à 2 ans, ça sera fort. »
Par Adrien HEMARD DOHAIN
Propos recueillis par AHD.