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Paul Kessany : « Le confinement n’est pas forcément adapté à la façon de vivre de beaucoup d’Africains »

Propos recueillis par Alexis Billebault
Paul Kessany : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le confinement n’est pas forcément adapté à la façon de vivre de beaucoup d’Africains<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Le Gabon compte officiellement moins de quatre-vingts cas de coronavirus, pour un décès. Le pays a néanmoins pris plusieurs mesures relativement strictes pour limiter la propagation du virus. Paul Kessany (35 ans), l’ancien défenseur et capitaine de la sélection nationale, passé notamment par Istres (2009-2011), estime que le confinement sera difficile à vivre pour les Gabonais qui vivent de petits boulots journaliers. Et il s’inquiète aussi pour les joueurs.

Le gouvernement gabonais a décidé de confiner Libreville, un couvre-feu a été instauré dans tout le pays, les rassemblements publics sont interdits, de nombreux commerces sont fermés… Le pays, depuis quelques jours, a durci les mesures pour lutter contre le coronavirus…C’était prévisible. Pour l’instant, le Gabon est assez peu touché par le virus, mais tout le monde a bien compris qu’il pourrait faire des ravages en Afrique si des mesures n’étaient pas prises. Avant le confinement et le couvre-feu, il avait été demandé aux Gabonais de respecter certaines mesures, comme les distances à respecter, éviter de se serrer la main, de se faire la bise… Globalement, les gens les respectent très bien. Il y a eu des campagnes de sensibilisation, et les Gabonais ont vite compris.

Les rues de Libreville, d’habitude très animées, sont-elles aujourd’hui désertées ?Non, pas complètement. Il y a encore un peu de circulation, car des gens vont travailler, des commerces d’alimentation sont ouverts. Le gouvernement a décidé que les marchés seraient ouverts tous les jours, alors qu’initialement, ils ne devaient l’être que trois jours par semaine. Mais les restaurants et les bars sont fermés.

Le confinement n’est pas forcément adapté à la façon de vivre de beaucoup d’Africains, même s’il est nécessaire pour limiter la propagation du virus. Au Gabon, beaucoup vivent au quotidien, c’est-à-dire qu’ils vont aller chercher un petit boulot à la journée. Et ces personnes, si elles ne travaillent pas, elles ne mangent pas. C’est aussi simple que cela.

La vie tourne au ralenti. Les forces de l’ordre – l’armée, la Garde républicaine, la police – sont très présentes dans les rues. Certains arrondissements de Libreville sont bouclés, et il est donc très difficile de se déplacer d’un quartier à un autre, ou de se rendre dans une commune proche de Libreville. Et cela pose évidemment pas mal de problèmes… Il y a sur les réseaux sociaux des vidéos qui circulent, avec des gens humiliés, mis à genoux par les forces de l’ordre.

Lesquels ?Je prends l’exemple des commerçants qui ont des étals sur les marchés, par exemple. Tous ne vivent pas dans le quartier où ils travaillent. Et ils sont obligés d’aller s’approvisionner parfois assez loin. Comme les transports en commun ne fonctionnent plus normalement, imaginez les difficultés qu’ils peuvent rencontrer… Et puis, le confinement n’est pas forcément adapté à la façon de vivre de beaucoup d’Africains, même s’il est nécessaire pour limiter la propagation du virus. Car au Gabon, comme dans de nombreux pays du continent, beaucoup vivent au quotidien, c’est-à-dire qu’ils vont aller chercher un petit boulot à la journée. Et ces personnes, si elles ne travaillent pas, elles ne mangent pas. C’est aussi simple que cela. Et comme l’activité est fortement ralentie à cause du virus, trouver du travail est de plus en plus compliqué…

Comment le gouvernement tente-t-il de limiter les impacts de cette crise ?Une banque alimentaire a été ouverte. Le gouvernement a également assuré que l’eau et l’électricité seraient gratuites pour les plus démunis. Il y a également des initiatives personnelles, comme celle de Bruno Ecuele Manga (Dijon), qui a offert des colis alimentaires. Des mesures devraient également être prises pour que ceux qui le souhaitent bénéficient de délais pour payer leurs loyers.

Le problème, c’est que sur une population de 1,8 million d’habitants, 600 000 Gabonais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Alors que le pays est riche, grâce aux revenus du pétrole, du bois, du manganèse… C’est à se demander où va l’argent, notamment celui du pétrole…(Rires.) Je pense qu’avec autant de richesses et aussi peu d’habitants, on devrait vivre beaucoup mieux au Gabon. Vous dites que 600 000 de mes compatriotes vivent en dessous du seuil de pauvreté ? Moi, je pense que c’est davantage… Sincèrement, il y a des choses choquantes. Notre système de santé connaît de grandes difficultés également. À Libreville, il y a plusieurs hôpitaux, mais ils connaissent tous de gros problèmes : le personnel soignant manque de blouses, de masques, de gants…
Craignez-vous une explosion sociale ?Pour l’instant, non. Il n’y a pas de pénurie alimentaire pour les principaux produits, même s’il est un peu plus difficile de trouver certains aliments, comme les œufs, les yaourts, comme j’ai pu en faire l’expérience. Mais on peut l’envisager. Cette crise va appauvrir les plus faibles. Le système D, qui permettait à des milliers de Gabonais de pouvoir travailler, va être rendu plus difficile. Au Gabon, nombreux sont ceux qui ne font qu’un vrai repas par jour.

Dans le championnat gabonais, les meilleurs salaires peuvent osciller entre 800 et 1000 € par mois, mais on trouve surtout des joueurs payés autour de 200 €. En ce moment, beaucoup n’ont quasiment rien pour vivre.

Et la vie est chère, particulièrement à Libreville. Cette crise sanitaire va mettre en lumière les dysfonctionnements des politiques en Afrique en général et au Gabon en particulier.

Que savez-vous de la situation des joueurs gabonais ?Les championnats sont bien évidemment à l’arrêt. Et je peux vous garantir, en me basant sur les différents retours que je parviens à obtenir, que la situation d’une grande majorité des joueurs est précaire. Il faut savoir qu’au Gabon, où les footballeurs ont déjà beaucoup de mal à toucher leurs salaires, les contrats de travail pour les joueurs sont quasi inexistants, et ils ne cotisent donc pas à la Sécurité sociale. Comme il n’y a pas de compétitions, des dirigeants estiment qu’ils n’ont pas à payer les salaires ! Il faut quand même savoir que le football, au Gabon, est presque entièrement pris en charge par l’État. Donc, où va l’argent ? Les meilleurs salaires peuvent osciller entre 800 et 1000 € par mois, mais on trouve surtout des joueurs payés autour de 200 €. En ce moment, beaucoup n’ont quasiment rien pour vivre.

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Propos recueillis par Alexis Billebault

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